Saint Martin Lys - Articles de presse

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Voyage pittoresque dans les Pyrénées françaises et les départements adjacents" de Joseph-Antoine Cervini, illustrations de Antoine-Ignace Melling page 278-285 (141 - 146 selon la pagination du livre)

PIERRE-LYS, VALLEE DE L'AUDE.

La forge de Quillan

Ce paragraphe peut être sauté si le fonctionnement de la forge ne vous intéresse pas...
la forge de Quillan

La forge de Quillan, construite et exploitée comme toutes les autres forges des Pyrénées, d'après la méthode catalane, réunit les principales conditions qui doivent amener tous les résultats qu'on peut attendre de ses sortes d'établissements. Elle trouve dans les forêts d'alentour la facilité de se procurer du charbon ; les mines sont à sa proximité, et au moyen d'une percée souterraine de 163 mètres de profondeur horizontale, traversant de part en part la colline contre laquelle elle est adossée et qui donne passage à une prise d'eau de la rivière d'Aude, dont le cours ne tarit jamais, elle obtient constament le volume d'eau nécessaire pour être tenue en activité dans tous les temps de l'année (L'idée de percer cette colline, et la direction des travaux faits pour l'exécuter, sont dus au P. Bellon, jésuite. On rapporte que l'excavation, commencée en même temps des deux côtés opposés, fut si bien calculée et si sagement conduite que les ouvriers se rencontrèrent au milieu de leur ouvrage.). Ces avantages joints à l'exacte application des procédés de fonte, à la bonne qualité du minerai qu'on y élabore, et à la beauté de l'acier natif qu'on y fabrique par le mélange de la mine de Vic-de-Sos avec celle de la Grasse, font considérer cette usine comme une des plus remarquables de la contrée. Cependant la cherté toujours croissante du charbon nuit beaucoup à son succès ; la forge de Quillan ne donnera des bénéfices réellement satisfaisants que lorsqu'on pourra y amener et y employer la houille tirée de la chaîne voisine des Corbières. Il est à regretter que l'esprit d'entreprise ne se porte pas vers l'exploitation de ce combustible, et que l'on ne puisse profiter d'une ressource qui serait de la plus grande utilité et d'une économie notable pour toutes les forges établies sur le versant des Pyrénées françaises et dans les plaines adjacentes.
Rien de plus simple ni de moins dispendieux que la forme et la construction de ce genre d'usines. Une forge à la Catalane ne présente à l'extérieur qu'une espèce de halle carrée, close par quatre gros murs, servant de support à une toiture solide, percée au comble pour donner issue à la fumée. L'intéreur n'offre de remarquable que le creuset, d'environ trois pieds de diamètre, adossé à l'un des murs de l'enceinte, et le gros marteau disposé de manière à pouvoir agir sur une énorme enclume située au niveau du sol. Les frais de construction de ces sortes d'usines ne montent au plus qu'à 12 ou 15 mille francs, c'est-à-dire à la moitié du prix que coûte l'établissement d'un haut-fourneau. La disposition, les proportions du creuset ainsi que le procédé suivi dans ces forges, et qui consiste à mettre la mine dans le creuset sans la couler en gueuse ou la faire préalablement passer à l'état de fonte, voilà ce qui constitue véritablement la méthode catalane. Cependant le chargement du creuset, la fonte du minerai, le cinglage des loupes (massets), la division de ces loupes en masselottes, et leur étirage en barres exigent des malipulations particulières qui différent sous plusieurs rapports des opérations analogues pratiquées dans les hauts-fourneaux. Nous ne donnons point l'explication en détail de ces divers objets qui ne sont pas de notre ressort ; mais le mécanisme de la trompe, qui remplace le soufflet, est trop peu connu dans l'intérieur de la France, pour que nous puissions nous dispenser de le décrire. La trompe est un tuyau en bois tantôt quadrilatère et formé avec des planches, tantôt cylindrique et ne consistant a1ors que dans un arbre creusé dans sa longueur. Ce tuyau placé verticalement derrière le mur contre lequel s'appuie le creuset, se termine à sa partie supérieure en une sorte d'entonnoir où tombe un courant d'eau provenant d'un réservoir ou d'une source ; l'extremité opposée s'engage dans une caisse d'un diamètre beaucoup plus grand, et de forme carrée ; cette caisse percée vers le bas, plonge inférieurement dans un bassin d'eau constamment maintenu au même niveau par un trop-plein. L'entonnoir de la trompe est muni intérieurement de deux conduits ou petits tuyaux dits les trompils, faits en bois, et un peu évasés par le haut. Ces trompils ne se prolongent dans le corps de Trompe que de 15 pouces, et sont placés latéralement de telle manière que le seul espace intermémaire, dit le coin, reçoit l'eau qui, en se précipitant, entraîne le courant d'air qu'ils alimentent sans cesse. Dès-lors cet air puissamment refoulé dans la caisse inférieure dont nous avons parlé, et qui s'appelle tambour ou caisse-à-vent, s'y accumule, et n'ayant qu'une ouverture pratiquée dans la partie supérieure du tambour, s'en échappe avec toute la violence due à sa force élastique, et s'introduit dans la sentinelle. On appelle de ce nom la partie extérieure et surhaussée de la caisse-à-vent à laquelle se trouve adapté un premier tuyau en bois nommé bourrec ; à ce tuyau s'ajuste un canon de fer qui emboîte un autre tuyau de cuivre dit tuèle (la tuyère), d'où le vent s'élance et se répand dans le foyer.
Pour compléter la description de ces divers appareils, il nous reste à dire qu'au dehors du corps-de-trompe et au-dessous de l'entonnoir, sont deux ou quatre soupiraux qui paraissent favoriser l'introduction d'une plus grande quantité d'air, et que la caisse-à-vent contient entre ses deux fonds une planche ou une pierre fortement attachée aux parois, afin qu'elle puisse résister au choc de l'eau qui la frappe en tombant de 15 à 16 pieds de hauteur, sous un volume assez considérable. Cette planche est placée à près de 4 pieds au-dessus de la surface du sol, et quelques pouces plus haut que le niveau de l'eau environnante.
Aux avantages que les forges à la Catalane ont sur les hauts-fourneaux, on peut ajouter l'économie du combustible, la promptitude du fondage, et le peu d'ouvriers qu'elles emploient. D'après la méthode qu'on y suit d'un bout à l'autre de la chaîne des Pyrénées, huit hommes suffisent pour mener la forge ; encore ne travaillent-ils pas tous à la fois. Ils ne sont occupés ensemble qu'au moment où il faut charger le creuset, et lorsqu'on retire le masset ; quatre ouvriers seuls conduisent l'opération pendant tout le temps de sa durée (Dans les hauts-fourneaux il faut dix ouvriers pour la seule fusion préparatoire du minerai). On fait ordinairement de trois à quatre loupes ou massets en 24 heures, et chaque fois le creuset est chargé de près de mille livres de minerai, dont la fonte n'exige que de onze à douze quintaux de charbon. Quatre cents livres environ de fer forgé sont le produit qu'on en retire, et par conséquent une livre de fer ne coûte que trois livrés de charbon. Enfin le masset donne en même temps du fer doux, du fer fort et de l'acier, tandis que le fer obtenu dans les hauts-fourneaux est tout d'une seule qualité.

Ginoles

Un peu hors sujet aussi - mais je garde l'intégralité du texte "Pierre lys"...

Après avoir esquissé la vue qui précède, examiné la forge dans toutes ses parties et visité la fonderie, le foulon et le moulin-à-farine que l'abondance de l'eau a permis de réunir à cette usine, et dans la même enceinte, nous nous remîmes en marche pour rentrer en droite ligne à Quillan, où nous avions décidé de passer la nuit ; mais étant arrivés deux heures avant la fin du jour au débouché du vallon de Ginoles qui en est peu éloigné, nous profitâmes de ce temps pour aller prendre sur le lieu les renseignements que nous désirions avoir au sujet des eaux minérales fort estimées qu'on y trouve. En nous bornant à consigner ici ce qu'il importe le plus de connaître à leur sujet, nous résistons avec peine au desir de faire partager à nos lecteurs tout le plaisir que nous causa l'aspect de ce vallon si riant et si frais.
Les trois sources de Ginoles n'ont point d'odeur ni de saveur déterminées ; elles s'épanchent dans toutes les saisons de l'année sous le même volume, et elles conservent la même limpidité. La température d'une de ces sources est très - froide, puisqu'elle s'élève à peine à un degré du thermomètre de Réaumur ; les deux autres le font monter, la première au 16e, la seconde au 24e degré. Cette température est constante, et n'obéit ni à l'influence des chaleurs de l'été, ni à l'intensité quelconque du froid, très - vif en ce lieu pendant l'hiver. La propriété reconnue de ces eaux est d'être laxatives et diurétiques ; les maladés qui souffrent d'engorgements et de douleurs provenant du défaut de circulation et de l'épaississement des humeurs, obtiennent de leur usage beaucoup de soulagement, et souvent une guérison complète.

Belvianes

Belvianes, où l'on arrive en trois quarts d'heure par une large et belle route qui suit les contours de la rive gauche de l'Aude, est le premier lieu que nous rencontrâmes le lendemain au-delà de Quillan, d'où nous partîmes à l'aube du jour. L'activité que nous vîmes régner dans ce village aurait pu nous surprendre, si nous n'avions pas su d'avance qu'elle était due aux établissements industriels qu'il possède, et qui alimentent les fabriques de Quillan (On file beaucoup de laine dans le village de Belvianes, et on y trouve une forge et une scierie. Lors de notre passage, M,Rivals de Carcassonne y faisait établir un laminoir). Hommes, femmes et enfants, tous étaient en mouvement pour se rendre à leurs travaux, et l'on pouvait lire dans leur physionomie si animée et si expressive tout le bien-être qui résulte pour eux de 1a certitude d'y trouver les ressources que leur refuse un sol rebelle à la culture. Cependant la végétation est riche et variée aux environs de Belvianes. Des sapins séculaires couronnent les cimes des montagnes ; les rameaux ondoyants de la vigne ornent leurs pentes, et les figuiers aux larges feuilles couvrent leur base comme une forêt. Mais à un quart de lieue de distance vers le sud la vallée fait un angle, le chemin tourne, et le tableau change tout-à-coup. Vous ne voyez plus des deux côtés que d'énormes quartiers d'une roche blanchâtre et nue, superposés les uns aux autres, s'élevant comme des murailles coupées à pic, et n'offrant à leurs sommets que des crêtes déchirées. L'Aude en torrent fougueux mugit au bas de ces remparts, et son lit encombré de débris, remplit entièrmement le peu d'espace qui les sépare.

Pierre-lys

La planche suivante nous dispense de décrire en détail le sauvage et curieux défilé, connu dans le pays sous le nom de Pierre-Lis, et que l'on est tout émerveillé de rencontrer: au centre d'une vallée secondaire, et si près du territoire si fertile de Quillan. Nous l'offrons même comme le type des sites semblables que nous avons souvent essayé de peindre dans notre texte et dont la représention par la gravure a dû être supprimée pour ne point franchir les bornes que nous nous étions imposées. Tous ces défilés ont généralement le même caractère et la même physionomie ; ils ne présentent quelque différence que dans la nature des montagnes environnantes qui tantôt sont schisteuses, tantôt granitiques, tantôt,calcaires, et dans des accidents partiels résultant du cours des eaux, et de la quantité plus ou moins considérable des éboulements et des débris qui les accompagne. En portant les yeux sur cette gravure, on concevra facilement l'émotion, le mouvement involontaire d'effroi que l'on ressent, et dont on cherche vainement à se défendre à leur aspect. Ce sont toujours ces rochers dépouillés et élancés dans les airs qui surplombent et menacent d'écraser de leur chute le voyageur étonné. Ce sont ces blocs de toute dimension qui du haut des deux versants se sont précipités dans le lit du torrent, et que les ondes recouvrent d'une blanchissante écume ; c'est encore ce mugissement des vagues et du vent qui empêche de s'entendre à deux pas de distance, ce désordre, cette stérilité qui affectent si péniblement les regards.
Pendant le trajet de Pierre-Lis, qui dure l'espace d'une demi~lieue, ainsi que dans ces tristes défilés des hautes vallées, dont l'étendue est parfois plus considérable, on se trouve sans cesse en face d'une montagne qui semble ne laisser aucune issue ; mais le sentier qui s'élève sur la rive gauche, en suivant ses sinuosités très-rapprochées, tourne à tout instant, se prolonge avec elles et détruit cette erreur pour la renouveler peu après, et la faire disparaître encore. C'est à chacun de ces tournants que le vent souffle avec plus de violence ; c'est là que ses sifflements aigus se font entendre avec plus de force. On dirait que le roc sur lequel est tracé le chemin tremble sous vos pieds, et l'on croit aisément qu'en hiver, sans la précaution de se coucher à terre ou de s'accrocher fortement aux roches qui sont à votre droite on court par moments le risque d'être enlevé et d'être précipité dans le torrent.
Nous avoue cherché à reproduire ici cette partie du défilé de Pierre-Lis, où le roc faisant saillie présentait un grand obstacle à la continuation du chemin de la vallée. Ce rocher a été creusé, et la route passe au-dessous de l'issue qu'on y a pratiquée. Cette excavation s'appelle le Traou du curé, et ce nom donné et consacré par la reconnaissance doit à jamais perpétuer le souvenir du bienfait. C'est à l'abbé Armand, curé de Saint-Martin de Pierre-Lis, que les canton de Quillan et de Roquefort sont redevables de cet ouvrage, et de la majeure partie des travaux faits pour établir entr'eux la communication dont ils étaient privés, et qui leur est devenue si avantageuse. Non seulement ce respectable pasteur employait chaque année une partie de son temps à leur exécution, mais il trouvait encore dans ses faibles revenus les ressources suffisantes pour encourager et récompenser les montagnards qui le secondaient dans cette utile entreprise. Ce bel exemple n'a pas été sans fruit, et depuis on a continué d'échancrer les rochers pour faciliter le passage aux bêtes de somme, de même qu'on a pris le soin d'élever et de réparer les parapets du côté du torrent. Cependant c'est près de l'escavation dite le Traou du curé, que le chemin est plus large, et le parapet plus exhaussé et mieux conservé ; au-delà, ce parapet fort dégradé et un sentier très-étroit ne permettent parfois que de marcher à la file. Dans ces passages difficiles, si des voyageurs arrivent avec leurs chevaux dans la direction contraire à celle que vous suivez, il faut pour les laisser passer s'effacer autant que possible, le dos collé contre les parois du rocher, et dans une pareille occurrence c'est à qui ne prendra pas le côté dangereux, lors même qu'il n'y a rien à risquer ni à craindre ; on cherche à éviter l'effet désagréable que produit la vue du torrent, dont les eaux bondissent constamment par cascades, avec un bruit semblable à celui-du tonnerre.
Nous avons vu un exemple frappant de l'impression que ce spectacle fait éprouver aux animaux eux-mêmes. Un mulet placé en tète d'une petite caravane de bêtes de somme chargées de charbon et avançant sur nous du côté opposé de la vallée, se rue sur un de nos chevaux qu'il veut mordre. Pour réprimer cette attaque, le conducteur lui applique un vigoureux coup, de fouet; malgré cette correction ou peut-être à cause d'elle, le mulet se redresse sur ses pieds de derrière, et lance ceux de devant sur le cheval, qui en reculant esquive le coup. Le mulet entraîné par l'élan qu'il a pris, et repoussé par notre guide, retombe un pied sur le haut et l'autre en dehors du parapet. A la vue du gouffre et de la fougue impétueuse de l'Aude, il dresse les oreilles, raidit fortement ses jarrets, se rejette en arrière, et reste immobile dans une attitude qui peint l'effroi et la terreur dont il est saisi. Dès-lors l'instinct de sa conservation se réveille, sa colère s'apaise ; il se laisse approcher et délivrer de la position critique où il se trouve placé, et obéissant à la voix du muletier, il souffre sans nouvelle opposition que nos chevaux s'avancent.

St-Martin-lys


RUINES D'UN ANCIEN COUVENT, PRÈS SAINT-MARTIN DE PIERRE-LIS.

L'entrée du vallon de Saint-Martin participe de la sauvage âpreté du défilé de Pierre-lis. Les monts ceints à leur base d'arbrisseaux et de broussailles, continuent à montrer sur leurs flancs droits et perpendiculaires d'énormes blocs de rochers, dont l'aridité repousse les regards. L'Aude ne roule plus sur un lit de roche vive ; mais ses bords formés des débris qu'il a charriés et qu'il dépose encore dans ses débordements, sont toujours nus et dévastés. Moins resserrée et moins profondément encaissée, cette rivière n'en conserve pas moins son aspect effrayant; sa surface ridée par les cailloux roulés et les fragments de roches dont elle est encombrée et qui gênent son cours, se divise en lames d'un jaune sale, et s'étend en mugissant sur la plaine; tandis que du côté opposé bouillonnant en flots agités, mais retenue par le rempart de rochers que couronne la forêt de Fanges, elle écume, bondit et laisse plus d'une trace de sa fuite tumultueuse.
Cependant les deux chaînons ne courent plus parallèlement, et bientôt un plus grand espace les sépare. Dès-lors la végétation est plus abondante, et des vignobles et des cultures annoncent l'approche de lieux habités. En effet on ne tarde pas à apercevoir les ruines d'un bâtiment assez considérable, et plus loin un village, ainsi que le pont en planches qu'il faut franchir pour s'y rendre. C'est au milieu de ces ruines, qui sont celles de l'ancien couvent de Saint-Martin de Pierre-Lis, que nous ressentons de nouveau ce malaise, cette sorte de lassitude et de frémissement secret, suite ordinaire de la vue des spectacles qui inspirent tour-à-tour l'étonnement, l'admiration et l'effroi. Nous mîmes pied à terre. Le site, que nous avions devant nous, nous offrait le sujet d'une intéressante esquisse ; et d'ailleurs la nécessité de reprendre haleine et de réparer nos forces épuisées par la fatigue et la chaleur aurait suffi pour nous déterminer à faire halte en ce lieu. Mais nos montures ne trouvaient près de nous qu'un gazon rare et chétif, et nous-mêmes pressés par une soif très-vive, nous cherchions en vain aux environs une source, où nous pussions nous désaltérer; l'eau de la rivière chargée de limon et actuellement grossie par la fonte des neiges inspirait le dégoût, et devait être malsaine. Le guide occupé à surveiller nos chevaux ne pouvait aller à Saint-Martin chercher le foin et l'avoine qui leur étaient nécessaires, et nous rapporter de l'eau que l'on trouverait sans doute dans ce village. Ce soin nous préoccupait surtout, à cause de la station prolongée qu'exigeait le dessin, que nous nous étions proposé de prendre, des ruines et du paysage d'alentour. Le hasard nous servit admirablement quelques instants après. Une femme montée sur son âne et revenant de Quillan à Saint-Martin, instruite de notre embarras, nous fit l'offre de nous apporter tout ce que nous désirions, et nous promit d'être bientôt de retour.
Une demi-heures était à peine écoulée que nous vîmes revenir cette paysanne chargée de fourrages, d'une carafe remplie d'eau limpide et d'un verre en cristal. Elle était suivie d'un ecclésiastique qui nous dit en s'approchant,: « Cette brave femme vient de m'apprendre que des voyageurs arrêtés près de ces ruines lui avaient demandé de l'eau, dont ils paraissaient avoir un besoin extrême. J'ai craint que vous n'eussiez éprouvé quelque accident fâcheux, et je suis accouru pour vous offrir mes services.» Nous nous empressâmes de rassurer le bon prétre, et sa physionomie d'abord sombre et inquiète reprit aussitôt l'air de sérénité qui paraissait lui être habituel. «Je vois, ajouta-t-il alors, que mes secours vous sont inutiles ; mais ce qui ne l'est jamais dans aucune occasion, c'est une bouteille de bon vin que je tiens toujours en réserve pour des cas extraordinaires, et je vous l'apporte. » Touchés de ce procédé et de la manière franche qui l'accompagnait, nous lui fimes nos remerciements en refusant toutefois la liqueur. Néanmoins le bon prêtre renouvela ses instances, et il fallut céder pour ne point lui déplaire. Pleinement remis de ses inquiétudes, M. l'abbé Utéza (c'est le nom du curé de Saint-Martin qui s'était rendu près de nous) ne nous pressa pas moins de venir partager son dîner, et d'accepter un asile dans son presbytère. Nous lui répétâmes tout ce que la reconnaissance put nous inspirer de plus juste et de plus vif, et il reprit le chemin du village. Nous avions terminé notre croquis et nous étions au moment de remonter à cheval, lorsque le bon curé reparut près de nous. Possesseur d'un manuscrit contenant les titres du couvent dont nous avions dessiné les ruines, il venait pour nous le communiquer et même pour nous en faire l'abandon. Nous étant assurés, en le parcourant, que tout l'intérêt de ce document consistait principalement dans les formules, les clauses, le style et la langue du temps ; qu'il aurait fallu le citer textuellement, et que, par sa longueur, son insertion aurait été incompatible avec le cadre de notre ouvrage, nous ne voulûmes point profiter de son offre, mais nous n'en fûmes pas moins sensibles à cette nouvelle preuve d'obligeance et de générosité. En dernier lieu et avant de nous quitter, l'abbé Utéza excita vivement notre attention, lorsqu'il nous fit remarquer la fente de forme triangulaire que l'on voit sur les rochers à la gauche de la planche suivante. "Cette fente, nous dit-il, est l'ouverture d'une caverne assez profonde, où jadis on a trouvé un grand nombre d'ossements humains. Dans le temps des guerres de religion les prêtres de ce monastère se réfugièrent dans cette grotte, et ils y périrent tous, faute de vivres." Il ne fit que nous répéter en cela une tradition du pays, laquelle parait bien peu vraisemblable, si l'on considère la hauteur où se trouve l'entrée de cette grotte, au-dessus du sol de la vallée, et la coupe perpendiculaire du roc, dans lequel elle est creusée. Nous dirons plus : en admettant que de hardis montagnards se soient introduits dans la crevasse et qu'ils y aient trouvé des ossements, il resterait encore à examiner si ces débris faisaient réellement partie de squelettes humains, ou s'ils n'appartenaient pas plutôt à des animaux qui, dans leur charpente osseuse, offrent quelque ressemblance avec celle de l'homme. Cette grotte ne serait-elle pas plutôt une de ces cavernes à ossements qui mit ont récemment donné lieu à des observations si intéressantes, et dont l'importance géologique se manifeste toujours davantage à mesure que des découvertes semblables se multiplient ? Nous livrons ces indications et la tradition elle-même aux investigations des naturalistes qui parcourront après nous ce canton si peu connu, si rarement visité.
Au-delà du village de Saint-Martin, le bassin de l'Aude se rétrécit de nouveau, et l'étranglement qu'il forme se prolonge jusqu'à l'embouchure du Rebenti, où il s'élargit encore(Cette rivière prend sa source sur l'arête du chaînon transversal qui sépare la vallée de l'Ariège de celle de l'Aude. Le vallon qu'elle arrose est animé par un grand nombre de villages, de forges et de moulins à scie. Le chemin assez fréquenté de Bélestat à Quérigut la coupe au-dessous de Belfort).

En remontant l'Aude

Le vallon qui s'ouvre du côté opposé est riant et fertile ; il présente un moyen de communication toujours praticable pour atteindre un petit col d'où l'on descend sur les bords de la Boulsane ; de ce col à Caudiès, première ville du département des Pyrénées-Orientales, il n'y a guère qu'une heure et demie de marche. Quant à nous, nous passons devant l'entrée de ces vallons latéraux, et nous laissons à droite et derrière nous, Cailla, la Prade, Artigues, hameaux d'un accès difficile, et les plus misérables de la vallée. Axat, lui-même, où il serait aisé d'aborder en franchissant le pont, en pierre que l'on voit sur la gauche de route, ne peut nous détourner de notre marche directe. On trouve pourtant dans ce village une forge, un martinet et des scieries, appartenant à M. d'Ax d'Axat, maire de Montpellier; mais nous avons déjà donné assez de temps à l'observation de ces diverses espèces d'établissements, et nous avons hate d'arriver à Roquefort au Bousquet qui sont le but le plus éloigné de notre excursion. A cet effet, nous passons le pont en pierre qui porte le nom de Pont-de-Baïra, près duquel sont les forges de MM. Cosse frères, et les scieries de M. le baron de La Rochefoucault.
L'absence de villages et de hameaux, l'énorme détour par lequel l'Aude descend de l'étang, où il prend sa source, le défaut de bonne route, tout est fait pour déterminer les voyageurs à ne plus remonter le cours de cette rivière depuis le lieu où la Guette vient le grossir de ses eaux. On préfère Longer les bords de ce torrent, et l'on arrive ainsi par un bon chemin, montant, mais très-court, à Sainte-Colombe, puis à Roquefort qui est le chef-lieu de tout le canton.
La gorge de la Guette, d'abord si étroite, s'élargit bientôt pour se resserrer plus loin en présentant des étages toujours plus exhaussés. De grands rochers que blanchit l'écume des eaux s'élèvent sur la rive gauche; le chemin passe au-dessous de la montagne boisée qui domine la rive droite, et nous mène jusqu'aux approches de Sainte-Colombe, où il fait un coude en se prolongeant au Sud-Ouest. Au-delà, cette gorge se rétrécit, s'ouvre peu après et conserve la même physionomie jusqu'à ce qu'on ait atteint la région des forêts. C'est dans ce trajet que nous voyons rouler, des flancs des montagnes, de très-beaux sapins ébranchés qu'au moyen de deux ou trois paires de bœufs on fait arriver jusqu'à Quillan, où ils sont réunis en radeaux dirigés par un seul homme, dit radelier, qui se tient toujours debout et les conduit ainsi jusqu'à Limoux et même jusqu'à Carcassonne et au canal du Midi. On exploite et l'on convertit en planches, dans les scieries des environs, les parties détachées de ces arbres qui ne sont pas destinées à la grande charpente et à la mâture des bâtiments.
Le hameau de Sainte-Colombe ainsi que le bourg de Roquefort n'ont que des pommes de terre pour toute récolte; mais leurs habitants trouvent des ressources dans le travail des forges et dans l'exploitation des forêts. Il faut en dire autant du Bousquet, petit village éloigné de Roquefort d'une bonne heure de marche. Ce lieu est même le plus favorisé de la vallée, depuis que le baron de La Rochefoucault y a fait construire une maison que l'on nomme, dans le canton, château de Monplaisir. Le séjour que fait tous les ans dans cette jolie retraite son bienfaisant propriétaire répand beaucoup d'avantages parmi les habitants. Le château de Monplaisir s'élève au milieu de magnifiques prairies et d'un beau jardin qu'on ne s'attendait pas à rencontrer dans ces déserts et parmi les vastes forêts de sapins qui l'entourent. A l'exception d'une petite partie de ces forêts qui appartient à l'état, toutes les autres sont la propriété de M. de la Rochefoucault et de M. Debosque d'Espéraza, plusieurs usines du canton, des scieries, des moulins á farine, leur appartiennent également.
Il aurait fallu marcher encore pendant une bonne heure pour descendre du Bousquet à Escouloubre, commune assez considérable, où l'on compte environ 700 habitants. Depuis que les Espagnols ne sont plus les maîtres du Roussillon, ce dernier bourg placé à la limite des trois départements de l'Ariége, de l'Aude et des Pyrénées-Orientales a perdu toute l'importance que lui donnait sa position. Il n'intéresse plus aujourd'hui que par les eaux thermales qui sourdent des flancs d'une montagne voisine. Ces sources sont de la même nature que celles de Carcanières, village peu éloigné, mais qui est du département de l'Ariège; les ruines et les autres extrêmement abondantes et actives sont d'une grande efficacité dans les affections rhumatismales et dans les maladies de la peau. La journée déjà trop avancée, et les dispositions que nous avions prises à Quillan, ne nous permettaient point d'aller visiter ces deux établissements thermaux ni le pays d'alentour, et nous en: éprouvámes un grand regret. La botanique de cette contrée, tout ce qui concerne la coupe, l'aménagement, le recépage des forêts, et bien d'autres sujets d'attention, auraient offert de l'aliment à notre avide curiosité. Il fallut nous résigner. Partis du Bousquet vers les trois heures après midi, nous ne fûmes de retour à Quillan qu'à la nuit close, et après 7 heures d'une marche continuelle et des plus fatigantes. Cependant du canton, où nous étions parvenus, nous aurions pu entrer bien facilement et en peu de temps dans le département des Pyrénées-Orientales, si nous n'avons pas été obligés d'aller reprendre notre voiture dans la ville que nous venons de nommer. Les voies de communication qui s'ouvraient autour de nous étaient nombreuses. Le sentier qui conduit du Bousquet à Escouloubre se prolonge jusqu'à Carcanières et à Quérigut, où l'on rejoint le chemin de Formiguère, des Angles et de Llagonne à MontLouis. Celui qui vous ramène à Roquefort se rattache au chemin de Counousouls sur la Guette, et de ce village on peut monter au col de la Marguerite, et descendre à Mosses. En suivant l'une ou l'autre direction on parcourt un pays montueux, sauvage et couvert de belles forêts de l'essence de pins ou de hêtres. La première offre l'avantage de vous conduire à proximité de l'étang, ou l'Aude prend naissance, et fournit l'occasion de visiter la partie la plus haute et la plus reculée de la Cerdagne Française, district le plus remarquable du département; l'autre chemin vous transporte sur la ligne de séparation des divers affluents qui, à l'Ouest, grossissent l'Aude, et au Nord et au levant vont se joindre à la Têt. Le chainon par lequel passe cette ligne, forme la plus orientale des deux branches. intermédiaires des montagnes par lesquelles les Pyrénées se rattachent aux Alpes. Si l'on traverse ce chaînon du Nord-Ouest au Sud-Est on peut atteindre le Roc d'Escales, et aborder aux sources de la Boulsane; en longeant les bords de cette rivière, on arrive très-promptement à Caudiès. Cette traversée qu'il est possible d'abréger encore en revenant de Roquefort à Sainte-Colombe, et en franchissant la montagne et la forêt qui se trouvent entre cette dernière commune et celle de Montfort, est propre à exciter l'intérêt par l'importance des bourgs, des villages, des hameaux, des forges et des autres établissements industriels que l'on a occasion de voir sur son chemin. Le village de Gincla et le bourg de Puylaurens appellent particulièrement l'attention. Le premier, placé dans un vallon très resserré, et où l'on compte seulement 180 habitants, se fait surtout remarquer par la beauté de ses environs et par les martinets, les scieries, un laminoir et diverses autres usines d'un produit utile, qui sont disséminées çà et là dans la plaine, et qu'entourent des touffes d'acacias, de mimosa et de tulipiers de Virginie. La belle et vaste maison que M. Rivals a fait construire à la proximité de ces établissements, est aussi environnée de magnifiques plantations d'arbres exotiques qui se sont acclimatés dans le territoire de Gincla, et qui ajoutent à son embellissement. Les forêts de Boucheville et de Salvanières qui s'étendent sur les montagnes d'alentour ceignent ce village d'une immense couronne de la plus fraîche et de la plus brillante verdure.
C'est en continuant à descendre le vallon de la Boulsane qu'on arrive à Puylaurens, dominé par une forteresse flanquée de tours et bordée d'une large esplanade. On s'étonne que la singulière architecture et la belle conservation de ce petit fort, monument très-curieux dans son genre, n'aient pu le préserver de l'abandon, où il languit depuis que, vers le milieu du siècle dernier, on lui a retiré la compagnie de vétérans qui l'avait habité jusqu'alors. Une heure et demie suffit pour se rendre de Puylaurens à Caudiès, et ce trajet est loin d'être sans agrément, car les rives de la Boulsane sont constamment riches en sites d'une fraîcheur et d'une variété qui ne laissent rien à désirer.


La Pierre-Lis par H. Fonds-Lamothe dans Mosaïque du Midi - 4ième année - 1840 p354-356 - Toulouse J.B Paya propriétaire - éditeur - 1840

Il n'est rien de si digne d'intérêt pour le voyageur, que le tableau qui lui montre les travaux imposans de la nature, mêlés aux travaux plus modestes que l'homme a consacrés à la piété et à la bienfaisance. C'est qu'il décèle à la fois la puissance et l'intelligence de l'Etre suprême, et la puissance et l'intelligence finies de l'être créé à son image ; c'est qu'il atteste le privilége que l'homme a seul sur la terre de connaître et de révérer son auteur et les sentimens d'humanité qui l'animent, les plus beaux titres dont il puisse s'enorgueillir.
Telles étaient les réflexions que la vue de la Pierre-Lis m'inspirait, il y a quelques jours, lorsque, fuyant les affaires, je voulus, pour cause d'agrément, revoir les montagnes. Or, je veux dire la description de ce lieu peu connu ; j'ose espérer que le lecteur aura le désir de le visiter, pour y puiser des émotions qu'il chercherait vainement ailleurs.
C'était dans le département de l'Aude que je me trouvais. Arrivé dès la veille à Quillan, petite ville industrielle, située sur les bords de l'Aude, et environnée de hautes montagnes, je me dirigeai vers le midi, remontant par une belle route la rive gauche de l'Aude, laissant à ma droite les ſorges à fer de M. le maréchal Clausel, alimentées par une prise d'eau qui s'y dirige sous la montagne, à l'aide d'un canal artificiel, et plus loin découvrant sur ma gauche le laminoir de Belvianes. Frappé à l'aspect des forêts recevant les premiers rayons du soleil, et rencontré à chaque pas par de jeunes filles qui transportaient sur des bêtes de somme du minerai, du fer ouvré, du charbon ; leurs chants mêlés aux chants des oiseaux, le calme de l'air, le mouvement rapide du fleuve, le bruit des arbres, tout était bien propre à me plonger dans une douce rêverie.
Mais ce n'était que le pérystile du monument. Arrivé au village de Belvianes, je n'avais devant moi que des montagnes abruptes. J'aurais pu me demander par où l'Aude se frayait un passage, par où moi-même je pourrais suivre ses bords. Qu'on se représente une rue étroite et tortueuse de Toulouse, dont les maisons, s'avançant en torchis, comme au moyen-âge, s'élèveraient à une hauteur de plus de deux cents pieds, sur une longueur d'environ une demi-lieue, et l'on aura une idée de la Pierre-Lis. La charpente de la montagne consiste en un calcaire de transition, ou plutôt en un marbre gris homogène, composé de couches superposées, redressées presque perpendiculairement à l horizon, et concassées par mille endroits, quoique d'une dureté à résister long-temps aux efforts de l'art. Là, ses parois avancent parfois en angles, et semblent vouloir, par leur chute prochaine, combler le vide qui est au pied ; là, ses parois opposées reculent en angles parallèles, offrant dans leurs fentes nombreuses quelques traces de végétation, respectées par le temps et inaccessibles ; au-dessus, s'étendent de vastes plateaux couverts de forêts de sapins qui forment le chevelure de ces montagnes. Oh ! qu'ils sont imposans ces arbres séculaires qui fuient de toutes parts sur un sol gazonné, et dont le feuillage s'élève si haut sur vos têtes ! Oh ! que l'impression de ces forêts silencieuses, entourées de nuages stationnaires, et au pied desquelles gronde la foudre, justifie les mœurs des peuples antiques, qui en avaient fait la demeure des dieux !
Après un instant de contemplation, j'entrai dans la gorge, en suivant un chemin admirable. Il y a peu d'années que, pour franchir la montagne, le voyageur était contraint de gravir jusqu'à sa crête, à travers mille dangers, par un sentier à peine tracé. Aujourd'hui, grâces à la bienfaisance d'un humble prêtre, une chaussée hardie a été construite le long de la rivière, soutenue par un fort mur de soutenement, et courant horizontalement sous des arcs de triomphe ou sous des voûtes taillées dans le marbre. Cette route est éminemment utile ; elle ouvre une contrée riche par son sol et son industrie, car elle renferme d'immenses forêts appartenant à l'état ou à des particuliers ; elle possède dix forges à fer, deux laminoirs, une fabrique d'acier, une infinité de scieries qui fournissent le fer et le bois aux principales industries du midi ; elle jouit des eaux thermales d'Escouloubre et de Carcagnères, qui attirent de nombreux étrangers ; et si par les progrès constans des arts, les chemins de fer viennent à se propager, si un jour cette contrée doit être gratifiée d'une innovation aussi utile, la Pierre-Lis offrira une route parfaitement convenable. Il est vrai que le génie militaire a opposé des obstacles à sa confection ; il a appréhendé qu'en cas d'hostilités avec la nation voisine, le Midi ne fût exposé à l'invasion. En effet, l'histoire atteste qu'au temps de la puissance de Charles Quint, deux fois les Espagnols, maîtres du Roussillon, parvinrent jusqu'au village d'Axat, qui fut livré aux flammes, et ne tentèrent pas de franchir la montagne.
Mais les temps sont changés; les frontières sont reculées ; le sentiment de notre supériorité repousse des craintes aujourd'hui chimériques, et d'ailleurs il serait aisé, dans un pressant danger, de rompre en un instant la chaussée, et d'arrêter ainsi la marche de l'ennemi.
Au pied et le long de la chaussée, l'Aude précipite ses ondes, qui bondissent contre les aspérités de son lit étroit, et font retentir la montagne du bruit qu'elles causent. Sans doute que ce fleuve, qui plus loin occupe un vaste lit, alimente des canaux, arrose des plaines, et donne le mouvement à tant d'établissemens industriels, gémit ici dans les chaînes, impatient d'étaler sa majesté. On a lieu de se demander comment les eaux ont pu s'ouvrir si profondément un passage à travers un marbre si dur et d'une épaisseur si considérable. Tenaient-elles en dissolution , dans les temps anciens, quelques principes corrosifs ? Ont-elles rencontré et élargi une crevasse tellement qu'elles ne se sont point déviées de leur marche directe ? Erodent-elles insensiblement la montagne ? Les phénomènes présens n'étayent point ces hypothèses, mais la science géologique fournit des élémens propres à résoudre la difficulté : il est certain que ces roches, aujourd hui si dures, si inattaquables, se sont formées, et ont séjourné dans les mers; il est certain qu'elles se sont redressées subitement par l'effet d'une grande commotion ; or, se trouvant encore imbibées et molles, les eaux du fleuve venant à passer immédiatement, creusèrent sans effort ces profonds sillons.
En visitant ces lieux singuliers, mon esprit porta ses regards sur des objets propres aussi à lui plaire. Quiconque a voyagé a sans doute éprouvé des jouissances à la vue de la végétation qui embellit les montagnes. Pour moi, une plante a toujours attiré mon attention : non point que les parfums qu'elle distille puissent seuls me satisfaire; mais son port, ses organes, le rang qu'elle occupe dans la nature, sa demeure, ses compagnes, tout m'inspire de l intérêt. Je ne vous parlerai point des menthes, des colchiques d'automne, et de tant d'autres revêtues de leurs fleurs, que je rencontrai à chaque pas, et qui ne laissaient pas de piquer ma curiosité; mais, en pénétrant dans une forêt voisine, une d'elles frappa mes regards. Je désire la faire connaître, sans toutefois employer le langage de la science. De ses feuilles qui tiennent à la racine s'élève une tige semblable à celle de l hyacinthe, au milieu de la tige une feuille qui l'embrasse, et à son sommet une seule fleur étoilée : jusque-là rien d'extraordinaire. Mais sur chacun des pétales, on a à considérer un organe en forme de main, dont les doigts supportent des globules semblables à des pierres précieuses. Son nom est le Gazon du Parnasse.
A la distance d'une demi-lieue, les parois de la gorge s'élargissent en prenant une forme arrondie, présentant comme un cirque d'une grandeur assez considérable, au fond duquel s'étend un vallon rocailleux qui, grâce aux efforts du cultivateur, produit quelques céréales. C'est le vallon de Volcarne.

Vers le milieu, sur les bords du chemin et de la rivière, on aperçoit des ruines. Les yeux, fatigués de la vue de ces montagnes sauvages, se reposent avec complaisance sur ces ouvrages délabrés, qui indiquent le passage d'anciens hommes. Bientôt les mâsures d'une église attirent votre attention ; des pans de murailles couvert de lierres et de lambrusques, des arceaux à plein cintre, dépendant de l'église ou qui formaient un portique, des murs raz de terre qui vont se perdre dans les champs, une chétive maison, rajustée à ces débris et récemment réparée, qu'habite aujourd hui une modeste famllle : voilà tout ce que vous avez à observer. Que signifient ces pierres que l'art a amoncelées à côté de ces masses entassées par la nature ? Pourquoi des hommes, fuyant le monde, ont-ils pu se résoudre à vivre ici dans la retraite ? Comment a péri cet état de choses ? Est-ce qu'au calme de la vertu a succédé l'excès des passions ? Est-ce au contraire que de meilleures mœurs ont remplacé les mœurs antiques ?
Or, voici ce qu'enseignent des documens.

Au temps où Charlemagne fesait retentir le monde de sa gloire, cette contrée était en proie à la désolation. Le paganisme avait poussé de trop profondes racines pour être facilement extirpé, et le fer et le feu des Sarrasins venaient de passer. Ce grand conquérant, après avoir reculé les bornes de son empire jusqu'aux bords de l'Ebre, voulut civiliser le pays qui avait applaudi à ses victoires : il y établit des gouverneurs ou comtes pour faire respecter les frontières ; il y députa des sujets éclairés pour faire régner la justice; il y répandit des ministres de Dieu pour faire aimer la religion chrétienne. Ce fut alors que s'élevèrent de toutes parts des abbayes, composées de religieux qui, s'oubliant eux-mêmes, aimaient Dieu et les hommes, et portaient ceux-ci, par leur exemple, au travail et à la vertu. Telle est l'origine de l'abbaye de Saint-Martin-de-Lis ou de Lez. Là, de pieux cénobites, chargés de moraliser les habitans des montagnes, adressaient de constantes prières au ciel pour le succès de leur entreprise ; là, ils cultivaient dans un terrain ingrat des racines pour se substanter ou pour accorder les secours de l'hospitalité ; là, enfin, au fond de ces roches, ensevelis aux yeux du monde, ils creusaient tous les jours leurs tombeaux pour s'ensevelir bientôt aux yeux de la nature.
L'abbaye de Saint-Martin-de-Lez, de l'ordre de Saint-Benoît, fut très florissante pendant le cours des neuvième et dixième siècles. Basile la gouvernait au temps où Charles-le-Simple était roi des Français, et la trentième année du règne de ce prince. Arnaud lui succéda. Sous le règne de Lothaire, Séguier, et après lui Raoul, en étaient les abbés. Ce fut en 955 que le pape Agapet donna à ce monastère, pour l'honneur et la gloire de Dieu, et afin de faciliter les religieux à payer une redevance de dix sous d'argent onze deniers, les églises de Sainte-Marie au lieu de Corronulle, de Saint-Etienne au lieu de Bolorde, de Saint-Jean au lieu de Combrette, et de Saint-Pierre au lieu de Petralate, avec les terres, vignes, forêts et moulins en dépendant, et de plus les lieux de Bux, de Pelrus, de Cassange, de Barose, d'Adesate et d'Attosol, avec ce qui en dépendait, situés dans les comtés de Fenouillèdes, de Rasez et de Roussillon.
Mais bientôt la possession de ces biens considérables excita l'avidité des hommes puissans de la contrée. Vainement, vers la fin de ce siècle, le bruit se répandit que le monde allait finir : des seigneurs, ne tenant aucun compte de la vie future, envahirent les biens ecclésiastiques, s'érigèrent eux-mêmes en abbés, pour jouir des droits utiles qui leur étaient attachés, et vendirent les dignités à des hommes incapables, vicieux, mais riches, qui vivaient dans le luxe et la débauche. Tel était le désordre qui régnait dans l'abbaye de Saint-Martin, lorsque, en 1070, Bernard, comte de Besalu, indigné de la simonie et de la dépravation des gouverneurs, par amour de Dieu et pour le repos de son ame et de celles de son père et de tous les siens, en fit don, pour y maintenir la réforme, à l'abbaye de Saint-Pons de Thomières, qui, sous la puissance des papes, s'était maintenue dans la régularité ecclésiastique.
Dès lors, Saint-Martin perdit son éclat, et ne forma qu'un prieuré conventuel jusqu'au seizième siècle, époque à laquelle ses religieux furent expulsés et ses édifices détruits par les huguenots.
En quittant les ruines de cette sainte et antique habitation, j'arrivai à l'extrémité de la vallée, dans le village de Saint-Martin, qui doit sans doute son origine à l'abbaye. Sa position est des plus pittoresques : occupant la rive droite de l'Aude, à laquelle on aboutit à l'aide d'un pont formé de troncs d'arbres, ses maisons, blanches et ramassées, sont abritées par la montagne qui les menace sans cesse. On dirait des cygnes ou des oies sauvages qui, chassés par les froids hyperboréens, sont venus se réfugier dans ces lieux solitaires pour éviter les traits du chasseur.
C'est dans ce chétif village que reposent les cendres d'un ministre de bonté dont les habitans ont conservé le précieux souvenir. Félix Armand, né d'une famille modeste, aurait pu, par ses talens et sa vertu, occuper un poste éminent dans le clergé; il dédaigna ces faveurs pour soulager des malheureux ; il voulut demeurer curé de Saint-Martin. Ses jours, ses faibles revenus, ses sollicitations auprès des hommes puissans, furent consacrés à la construction de la route de la Pierre-Lis. Aussi, pour récompenser et faire éclater sa charité, le roi lui accorda, en 1823, l'étoile d'honneur. Il mourut octogénaire, en odeur de sainteté, pleuré de ses paroissiens, et regretté de tous ceux qui purent apprécier son mérite. Un jeune littérateur a écrit dignement sa vie, et sur la pierre modeste qui couvre ses restes, on lit cette inscription :
Ici repose Félix Armand,
Curé de ce village.
La charité fut son génie.
Voyageur qui l'as béni dans la route,
Salue sa tombe en passant.

H. FONDS-LAMOTHE.




11/03/1876 - La Fraternité - Elections à la chambre des députés - comportement du maire1

Anecdote sur le comportement du maire de St Martin Lys Baptiste Delpech lors du dépouillement des élections législatives

Dans la commune de Saint-Martin-Lys, canton de Quillan, le maire de la commune, après la fermeture du scrutin a lu les bulletins sans les laisser voir à personne, malgré les réclamations des membres du bureau et d'un grand nombre d'électeurs qui entouraient la table. Puis, quand il a eu terminé son singulier dépouillement, le maire a mis les bulletins au feu sans permettre qu'on les vérifiât, ce qui n'a pas empêché plusieurs électeurs de remarquer que plusieurs bulletins Détours portaient des marques extérieures. Ces bulletins auraient été distribués par le sieur Vincent Montagne, garde de la comtesse Fabre, qui promettait, des faveurs aux électeurs.
Le maire de Saint-Martin-Lys, d'ailleurs, est, paraît-il, un homme à poigne ; il ne parlait de rien moins que d'envoyer les républicains à Cayenne.
Les faits sont attestés par une protestation signée de deux membres du bureau et du secrétaire, protestation que nous avons sous les yeux.




LA PIERRE-LYS. Félix Armand, curé de Saint-Martin dans "Le Magasin pittoresque" - 46ième année - p115-118 - Paris publié sous la direction de Édouard Charton - 1878

Le principal du texte apparaît à la page sur la Pierre-Lys - Ci dessous la suite et fin qui ne présentait pas d'intérêt particulier sur la page en question :

...De ce point jusqu'au village d'Axat, situé à douze kilomètres de Quillan, la vallée s'élargit un peu, mais sans cesser d'être sauvage et grandiose. Axat, dominé par les ruines de son vieux château, présente l'aspect le plus pittoresque. Au delà de ce village, la vallée se resserre de nouveau, et l'on arrive aux gorges de Saint-Georges, second défilé moins allongé que celui de la Pierre-Lys, mais non moins imposant.
De nouvelles surprises attendent le voyageur qui, continuant à remonter le cours de l'Aude, s'engage dans les forêts antiques qui couvrent les pentes abruptes de la montagne, et où l'on chassait encore l'ours il n'y a pas bien longtemps. Un sentier étroit, construit récemment et entretenu aux frais de l'Etat, est d'ailleurs le seul chemin qui s'offre à lui, en attendant qu'une route nationale, actuellement en construction, ait ouvert à la circulation et a la civilisation ces gorges sauvages, au fond desquelles la nature a fait jaillir d'abondantes sources thermo-minerates dont la valeur est scientifiquement constatée.




05/07/1882 - La Fraternité - Monsieur Escach. Ancien "Maire" de St Martin nominé à Lagrasse

Nous enregistrons avec un vif plaisir la nomination de M. Escach, ancien maire de St-Martin-Lys, un ferme républicain, à la Justice de paix du canton de Lagrasse. M. Escach a toutes nos sympathies et nous sommes heureux de les lui témoigner en cette circonstance. Nous avons même la conviction que ses justiciables n'auront qu'à se louer de cette nomination.

Monsieur Jean-Baptiste Escach était instituteur à St Martin en 1874, puis maire en 1878/1879, il habitait au Rébenty - J'ai découvert son nom dans un article de 1879 sur le chemin de fer et son indignation de ne pas le voir passer à St Martin.
Plusieurs entre-filets de la presse locale font apparaître son nom, d'abord au travers de ses nominations en tant qu'instituteur dans différentes localités du pays de Sault (Bessède de Sault -1864, Belcaire - 1868, Escouloubre - 1870, Quirbajou, St Martin Lys - 1874) (d'où sa connaissance et sa défense de ce pays dans l'article indiqué ci-dessus). Puis en tant que juge de paix à Lagrasse en 1882, jusqu'en 1896 où il prend sa retraite. Doit être le père d'Adèle ESCAICH (avec un "I") épouse de Zéphirin DUMONT (maire de St Martin pendant plus de 40 ans) Avec le "I" (Escaich) j'ai trouvé un autre article dans "La Fraternité", 6 novembre 1879 : participation à une réunion du parti républicain (indique bien une origine de St Martin) Et avec l'ortographe "Escaichs" Instituteur à Roquefort de Sault en 1850 est indiqué comme révoqué pour ses idées politiques socialistes dans Le Narbonnais, 6 janvier 1850, La Gazette du Bas Languedoc, 17 janvier 1850, Le Journal des Pyrénées Orientales, 25 janvier 1850 (l'article est le même).


09/10/1886 - Le rappel de l'Aude - tournée d'un journaliste dans le canton d'Axat1

Cet extrait de l'article de Jean du Pech est un des rares où j'ai trouvé une référence au maire de St Martin Zéphirin Dumont

A SAINT-MARTIN-Lys où je passai avant d'arriver à Axat, je vis des rochers gigantesques, la rivière d'Aude passant devant le village sous un pont magnifique. Non loin se trouve la fameuse pierre lisse qui est une chose grandiose. On y lit cette inscription tracée dans le roc lui-même à l'entrée d'un tunnel :
Arrête, voyageur, le maître des humains
A fait descendre ici la force et la lumière.
Il a dit au pasteur : Accomplis mes desseins,
Et le pasteur des monts a brisé la barrière.

Sur la rive opposée sont creusés des tunnels où doit passer le chemin de fer de Quillan à Perpignan. Le village de Saint-Martin-Lys est pauvre, mais ses habitants sont industrieux. Ils ont défriché les coteaux exposés au soleil, et y récoltent un vin aigrelet qui pomponne assez bien. Les femmes vont dans les villages voisins, légères et court vêtues, vendre des figues ; elles amènent avec elles de dociles ânesses aux clochettes au son argentin. Le parti républicain à la majorité dans la commune, il a à sa tête un maire aux idées socialistes, le sieur Dumont, pas mauvais homme cependant.


21/06/1888 - Le Vigneron Narbonnais - La forêt des Fanges1

Cet article sur une sortie à la forêt des Fanges apporte des informations sur la flore qu'on pouvait trouver dans la forêt en 1888. (Remarque : l'article montre aussi combien la région fut touchée par le phylloxéra, comporte quelques approximations historiques comme un début de route de la Pierre-lys en 1806, la conservation du nom erroné de St Martin de Taissac en 1888..., et une explication sur le nom de pierre-lys des plus cocasse...)

EXCURSION BOTANIQUE à la forêt des Fanges.
L'heure de la dernière herborisation de la session extraordinaire des Corbières avait sonné et vendredi, à 7 heures du matin, les membres de la Société botanique de France, disaient adieu à Narbonne et s'embarquaient pour Quillan.
Cette petite ville, chef-lieu de canton comptant une population d'environ 2.609 âmes, se trouve construite sur la rive gauche de l'Aude. dans un bassin triangulaire, clos de toutes parts et dominé par de hautes montagnes escarpées, en partie couvertes de belles forêts de sapin.
Le commerce des bois est une des principales ressources de ce pays, aussi voit-on à Quillan plusieurs scieries à eau ; on y trouve également plusieurs fabriques de chapeaux, des moulins à blé, ainsi que des forges qui produisaient autrefois environ 2,000 quintaux de fer par an.
Grâce au comité d'organisation et surtout à M. Flahaut, on a trouvé à Quillan bon souper, bon gite et beaucoup d'herbes, ainsi que l'avait fait prévoir l'excursion préparatoire faite le jour même de l'arrivée.
Samedi, de grand matin, les herborisateurs prenaient place sur 10 voitures, la plupart à quatre chevaux. C'est le cas ou jamais de dire avec notre excellent maitre et ami, le félibre majoral Achille Mir:
   Lou poustilhou lacho la brido,
   Fa fiula dous pans de respet
   E partissen coumo l'foulhet.
   Un zéfir frescoulet bufabo ;
   Lou bebion a plenis paumous
   En nous diguent : s'aco durabo,
   Sario 'n jour trop delicious!

Pour se rendre à la forêt des Fanges, on prend à Quillan l'ancienne route de Bayonne à Perpignan qui mesure environ 16 kilomètres jusqu'au col Saint-Louis. Cette route est très belle et en même temps très accidentée : on y voit tour à tour des terrains cultivés au pied des plus sauvages montagnes, les unes boisées, les autres aux rochers complètement dénudés se dressant dentelés et allant perdre leurs cimes dans les nues.
Qu'il y a loin de ces montagnes aux garrigues poudreuses du Narbonnais !
A mesure que l'on monte sur cette route aux capricieux contours, le froid se fait sentir ; le bon cers que l'on demandait pour la marche n'est pas agréable en voiture et d'intenses brouillards qui enveloppent la cime des montagnes ont peine à se dissiper; et l'on monte toujours et l'on va les rejoindre!
La vigne aux pampres chétifs et rabougris qui dénotent la présence de la petite bète sur ses racines, n'apparaît plus qu'à de rares intervalles pour cesser tout à fait avant Saint-Louis.
Puisque le nom de ce coquet village vient sous notre plume, félicitons les administrateurs de la contrée pour les grands approvisionnements de gravier faits sur ce point, alors que la route est en parfait état. Nos très chers conseillers du pays-bas ne feraient pas mal de prendre modèle sur ces pays reculés et tàcher de faire procéder à une répartition d'allocations un peu plus équitable.
Enfin le col Saint-Louis, limite du département de l'Aude avec les Pyrénées-Orientales se présente, et l'on entre dans la route forestière des Fanges.
C'est avec plaisir que tout le monde abandonne la voiture car par défense de M. l'organisateur général on n'a pas herborisé depuis Quillan ; si l'on avait enfreint la defense on aurait été exclu du déjeuner et par suite obligé de manger..... sa propre récolte.....c'était dur!
Pas de crainte de s'égarer ici, car M. le garde général, à notre tête, nous fait les honneurs de son domaine d'une façon charmante.
Mais, avant de continuer le récit de notre excursion, nous allons tâcher de rapporter les divers détails qui nous ont été fort gracieusement donnés par M. Durand, inspecteur, M. Cantegril, conservateur et surtout M. Vidal, garde général.

La forêt des Fanges, une des plus belles sapinières de France, occupe au sud est de Quillan une très pittoresque position sur un des massifs les plus considérables de la chaine de Saint-Antoine de Galamus ; le plateau sur lequel s'élève la forêt a une contenance de 1120 hectares, son altitude moyenne est de 1,000 mètres.
La belle route que l'administration forestière a fait construire il y a quelques années, part du col Saint-Louis et traverse la forêt dans presque toute sa longueur jusqu'au Prat del Rey : de là, elle descend à travers les vacants communaux jusqu'au col de Campérié où elle rejoint la nouvelle roule nationale de Bayonne à Perpignan.
Cette route forestière a une longueur totale de 12 kilomètres : à droite et à gauche des chemins empierrés circulent en boucles dans la forêt, ramenant toujours et en de nombreux points à la route forestière par où passent tout les bois qui sortent de la forêt.
En entrant dans les Fanges au col Saint-Louis, on trouve la première maison de garde ; il y en a deux autres, l'une au Prat del Rey où est logé le brigadier forestier, l'autre non loin, au col del Fraiche.
La route suivant l'arète centrale du plateau, ne traverse pas les plus beaux peuplements de sapins ; néanmoins on parcourt en la suivant, de belles futaies de sapins sans mélange, où on remarque nombre d'arbres de 40 et même 45 mètres de hauteur, et de 1 mètre à 1 mètre 40 de diamètre à la base. Ces vieux arbres ont deux cents ans et plus.
La moyenne hauteur de ceux qui sont traversés par la route est de 32 mètres, leur diamètre est de 0 mèt. 70 à 0 mèt. 80 ; ces arbres là de cent cinquante ans environ, ont à peu près les dimensions auxquelles on les exploite.
On trouve en arrivant au Prat del Rey une jeune futaie de 110 ans environ, qui est remarquable par la régularité et la beauté des sujets qui la composent, par leur grand nombre sur de faibles surfaces et par la vigueur de leur végétation. Ces arbres de 35 à 40 mètres de haut, ont à peu près terminé leur croissance en hauteur, mais ils ne seront exploités que dans 35 ou 45 ans époque à laquelle ils auront de 0 mèt. 90 à 1 mèt. 10 de diamètre au moins.
La forêt des Fanges donne chaque année de 3 à 4,000 mètres cubes de bois de sapin, vendus ordinairement à Quillan. C'est donc une forêt d'un revenu considérable, et l'on comprend combien est important l'entretien à l'état boisé de sols aussi pauvres et aussi stériles par eux-mêmes, que les plateaux calcaires comme celui qui porte les Fanges. Une fois dénudés, il serait impossible non seulement d'y refaire les belles forêts qui s'y trouvent, mais, peut-être même, d'y faire venir les plus modestes taillis.
Quillan est, du reste, un pays essentiellement forestier ; les deux cantonnements d'Axat et d'Espezel qui n'occupent qu'une faible partie de l'arrondissement de Limoux, sont formés de vingt forêts domaniales, couvrant ensemble 9,736 hectares, et de 31 forêts communales occupant ensemble 5,375 hectares. Il y a de plus, dans l'étendue de ces deux cantonnements, 17,200 hectares de forêts particulières. Ces deux cantonnements sont gardés par 45 gardes forestiers et 6 brigadiers.

Aussitôt après avoir mis pied à terre quel magnifique spectacle s'offre à nos regards !
Tout d'abord, un immense tapis de verdure sur lequel les fraises en fleur ressemblent à autant de petites étoiles, plus loin, ce sont les paquerettes qui émaillent le sol et que la rosée fait ressembler à autant de diamants, alors surtout que quelques rayons de soleil perçant la voûte de la forêt viennent mêler ensemble les couleurs de ces splendides fleurs. Elles sont nombreuses ces fleurs, car nous avons un retard d'un bon mois puisque l'aubépine, le chevrefeuille et tant d'autres passées depuis de longs jours, sont ici dans tout leur éclat.
Les grands arbres ont bien changé et les sapins presque seuls remplacent les chènes verts, les chènes blancs, les pins sylvestres, les hêtres échelonnés sur la route depuis notre départ de Quillan.
Nous ne reviendrons pas sur la description faite plus haut à propos des sapins, il nous suffira de dire que lors de la construction de la route, pour soutenir le niveau de la chaussée, on a dů, sur certains points, combler des gorges profondes et qu'on peut maintenant en passant toucher la cime de magnifiques sapins dont le pied se perd à une grande profondeur dans des massifs de verdure. Au lieu de nous contenter de moissonner pour notre herbier, plantes et fleurs, nous n'avons pu maitriser notre désir d'emporter un souvenir du roi de la forêt ; nous avons frustré les domaines d'une demi-douzaine de sapins ! Nous nous empressons cependant de rassurer les gardiens de la loi, en avouant qu'il nous serait bien difficile de nous bâtir un chalet avec ces six arbres, dont le plus jeune âgé de un mois est haut de 0 mét. 04 centimet. et le plus vieux, àgé de cinq ans, mesure 10 centimètres de hauteur.
Nous avons vu beaucoup de mousses et ainsi de nombreux champignons.
De grands amas de fourmis rouges mêlées aux approvisionnements qu'elles préparaient pour la mauvaise saison, nous ont frappé ; ces fourmilières sur terre étaient d'une forme conique ayant bien un mètre de haut et deux mètres de circonférence à la base ; il se dégageait de ces surprenants monticules une désagréable odeur d'acide formique.
C'est tout ce que nous avons vu en fait d'animaux ; on nous avait promis des écureuils nous les attendons encore : quelques renards et des liévres, dit-on, se trouvent dans la forêt, mais pas le moindre lapin.
En plus de magnifiques fougères de toutes variétés qui orneraient bien les appartements de Narbonnaises ou même de Parisiennes, nous donnons ci-après la liste des principales plantes qui ont été trouvées. Mais auparavant il ne sera pas inutile de dire que nous étions, bien loin des plages de la Méditerranée et de nos garrigues brûlées ; aussi nous n'entendions plus le fameux « Qu'es aco» lancé par nos Parisiens au moindre Salicornia. Ici, au contraire, grâce à l'altitude, les botanistes de la capitale ont trouvé aux Fanges la même flore qu'à Paris :
Helleborus occidentalis, plante vénéneuse dont la racine mâchée calme, dit-on, les maux de dents ; Atropa Belladona poison redoutable, narcotique puissant employé avec succès pour calmer les douleurs externes et les névralgies ; Valeriana montana et valeriana pyrenaica, Valérianées qui fournissent l'acide valerianique servant à préparer des sels fort employés en médecine; Rosa canina dont la racine est employée contre la rage; Asperula lævigata, Myrrhis odorata, Cynoglossum montana, Lamium grandiflorum, Meconopsis cambrica (coquelicot à fleurs jaunes), Ophrys myodes, Orchis galeata, Aceras antropophora (homme pendu), Aceras hircina, Cistus laurifolius, Sambucus racemosa (sureau à fruits rouges), Sideritis tomentosa, Trigonella hybrida, Rhamnus alpina, Dentaria pinnata, Scrophularia alpestris, Lunaria rediviva, Cirsium crinitum, Euphorbia hyberna, Chrysosplenium oppositifolium, et bien d'autres raretés qui font tressaillir les botanistes les plus calmes ; Monotropa hypopitys, Clandestina rectiflora, Neottia nidusavis ; ces dernières plantes sans chlorophylle, parasites ou humicoles.
Ce n'était pas le tout, car si les boites vertes étaient pleines, les estomacs étaient vides, et c'est avec grand plaisir qu'on s'est trouvé réunis dans la clairière du Prat del Rey pour prendre part au plantureux déjeuner de cinquante couverts fort bien servi par M. Moulines, le Vatel quillanais.
Bien que vivant ensemble de la même vie depuis plusieurs jours déjà, le contentement était plus grand que d'habitude parmi les excursionnistes, au milieu de ces splendeurs de la nature. Aussi les toasts ont-ils été retentissants lorsqu'on a bu à la santé du Garde général et des braves forestiers, à la presse représentée par un rédacteur du Vigneron Narbonnais, à la prospérité de la Société botanique, enfin à la santé de M. Rouy, de M. Gautier et de M. Flahaut.
A deux heures, les excursionnistes ont continué leurs travaux en se dirigeant vers Belviane: quelques-uns cependant, ont fait l'entier retour en voiture par le col de Camperié suivant au grand trot ces vertigineux lacels qui contournent de hautes montagnes tout en cotoyant d'effroyables précipices.
Nous sommes enfin engagés dans le défilé de la Pierre-Lis (1).
«Gorge étroite et profonde qui suit l'Aude entre Belvianes et Saint-Martin et dans laquelle passe également la route, qui accompagne la riviére sur sa rive gauche. Le défilé coupe obliquement, dans toute son épaisseur, la chaîne de Saint-Antoine, à l'extrémité ouest de la forêt des Fanges, et se trouve ainsi limité : à l'est par le haut massif de la forêt, atteignant 951 mètres et à l'ouest par le commencement de la crête rocheuse qui va contourner le bassin de Quillan, et s'élève, en ce point, au Pic ou Pucquès-de-la-Pèops, presque immédiatement au-dessus du défilé à 1,145 mètres.
« Il est difficile de rendre l'impression saisissante et profonde que l'on éprouve en entrant dans ces gorges élevées à pic, à l'aspect de ces hautes murailles souvent verticales, formées par une pierre grisâtre, au milieu desquelles quelques rares arbustes, croissant dans l'espace et sans support apparent, ne font que mieux accuser le caractère abrupte et grandiose de cette œuvre de la nature. » C'est en 1806 que Félix Armand, curé de Saint-Martin-de-Taissac, entreprit d'ouvrir un passage dans les gorges. Après 10 années de labeur et de fatigues, en 1814 il eut la joie d'avoir mis le village de Saint-Martin en communication avec Quillan. La décoration de la Légion d'honneur qui lui fut donnée en 1823, fut la légitime récompense de son zèle et de sa charité.
A quelques mètres après Saint-Martin on peut voir le « Trou du Curé, » percé dans le roc qui est la tête du chemin construit par Félix Armand.
Nous avons continué de suivre l'Aude au cours torrentueux et nous sommes rentrés à Quillan ou le fleuve comprenant qu'il rentre en pays industriel, devient flotable et ainsi commence à être utile.
De l'avis de tous, cette session a été l'une des plus belles qu'ait faites la Société. Nous en sommes fiers pour notre pays et nous remercions sincèrement le Comité d'organisation de l'avoir choisi.
M.
(1) Le nom de Pierre-Lis, que l'on donne aujourd'hui à ce passage, n'est que l'abréviation de celui de la Pierre-Lisse employé d'abord, lequel était tiré lui-même de la forme et de l'aspect dénudé des roches perpendiculaires qui, de chaque côté, resserrent le lit de la rivière.




03/02/1889 - Le courrier de l'Aude - Décès de l'abbé Pelofy

NÉCROLOGIE
La tombe vient de s'ouvrir pour un vénérable vétéran du sacerdoce : M. Pélofi. Curé de Saint-Martin-Lys est mort dans sa paroisse, le 30 janvier.
Né à Belcaire le 10 mars 1813, M Pélopi Philippe, fut nommé vicaire dans son pays natal en 1838. Après une année de vicariat, l'Autorité diocésaine lui confia la paroisse de Comus qu'il administra, avec le plus grand zèle, jusqu'en 1858.
A cette époque, l'état de sa santé l'obligea à renoncer aux fonctions du saint ministère et à se retirer au sein de sa famille. Ne pouvant rester inactif, il s'occupa pendant deux ans de l'éducation de quelques enfants.
A peine rétabli, il se mit à la disposition de l'Autorité diocésaine qui le nomma, en 1860, curé de Saint-Martin-Lys. Il est resté 29 ans dans cette paroisse qu'il a toujours édifiée par ses vertus sacerdotales. M. Péloli était un prêtre cultivé qui s'exerça plusieurs fois, non sans succès, à la traduction en vers des hymnes liturgiques.
Ce digne prêtre, dont la santé avait toujours été chancelante, a succombé à une courte maladie de huit jours, après avoir reçu, avec la plus grande piété, les derniers Sacrements de l'Eglise.
Ses obsèques ont eu lieu hier, sous la présidence de M. le Doyen de Quillan, entouré de plusieurs ecclésiastiques.




11/10/1893 - Le courrier de l'Aude - Le monastère de Saint-Martin-du-Lez ou de la Pierre-Lys

Cet article, au demeurant assez complet, ne cite malheureusement pas ses sources. Il a comme principal avantage... de défendre la même thèse que moi.

(Etiam pierere ruinæ)

A une faible distance de la petite ville de Quillan et sur la rive droite de l'Aude en montant vers Axat se trouve le village de St-Martin de la Pierre-Lys.
Situé dans une vallée sauvage appelée autrefois la Vallée de Valcarme, dominée de toutes parts par de hautes montagnes et à l'entrée de gorges de la Pierre-Lys, ce village doit sa fondation à un couvent qui fut durant des siècles un des plus importants du haut Razès.
Mais moins heureux que les fondateurs des monastères de Rieunette, Alet, St-Polycarpe, St-Hilaire, le ou les fondateurs de cette antique Maison sont restés inconnus, et ce n'est que vers la fin du IXe siècle que St-Martin-du-Lez commence à avoir une place marquante dans notre histoire locale.
Quelques annalistes ont fait remonter l'origine de cette abbaye vers l'année 898, il a été prouvé aujourd'hui qu'elle existait avant cette époque et qu'elle était déjà assez importante. Charles-le-Chauve (870), donne en apanage à Oliba, comte de Carcassonne, la vallée de Valcarme avec St-Martin-du-Lez, Rebenty, ect.,ect. Quelques années plus tard, Sig bolle, archevêque de Narbonne (873), prit avec lui les abbés de St-Martin-en-Lez et de Joucou pour l'assister dans la consécration de l'église de Formiguéry.
Une charte du même roi Charles-le-chauve (898), - c'est cette charte, la plus ancienne concernant St-Martin qui a fait dire à M. Buzairies que le couvent datait de cette époque - nous apprend que grâce au moine Lueva, le monarque fit don au monastère d'une vigne et d'autres terres cultes, et que son église avait le titre de Basilique et était d'une grande importance.
Plus tard (950-952), le pape Agapet, par une bulle qu'il dicta à Léon, secrétaire du St-Siège; donna à Ségarius, abbé de St-Martin-de-Lez, les églises de Ste-Marie-de-Cornulès, de Saint Etienne-de-Balorda, de St Jean-de-Cambret, de St-Pierre-de-la-Pradelle, les villages de Adesatus (Axat), Debuxe, Perlus, Cassainge (Cassaigne), Artozols (Artozouls) et quelques autres dépendances du Razes, du comte de Fenouillèdes et du Roussillon, ect., ect.
Dès lors le pays du Lez devint le lieu des rendez-vous de tous les grands noms de la haute vallée de l'Aude ; les seigneurs du Razés, du Roquefortéz, du Capsir, du Donezan et même de la Cerdagne fréquentèrent souvent la vallée de Valcarme. Aussi quand Guifred, évêque de carcassonne, vint consacrer la nouvelle église du Monastère de St-Martin, ce fut, entouré de tous les nobles de la contrée et accompagné d'une foule immense accourue de tous côtés, qu'il fit la dédicace de l'église abbatiale (1044).
Puis après avoir tracé lui-même les limites des possessions des abbés, cet évêque, dans un acte en faveur du Couvent, dit et ordonne : "Que tout ce qui avait été donné antérieurement et tout ce qui serait donné à l'avenir, resterait sous la possession unique de l'abbé, dit aussi que le franc-alleu y fut reconnu et respecté de tout le monde ; et enfin, comme privilège spécial, quiconque viendra demander un asile dans cette Abbaye était en sûreté et fût-on coupable de crime, il était expressément défendu de poursuivre l'abbé et de tracasser le fugitif."
II. - Il est incontestable que tant de donations, de privilèges et de revenus durent faire monter cet antique monastère au premier rang parmi les établissements religieux de notre contrée et exciter la convoitise et la jalousie des seigneurs et des congrégations voisines.
Guillaume de Bezalu, comte du Fenouillides, dans le but de posséder le couvent de St-Martin et de jouir de ses revenus, s'empara de l'abbaye et de quelques autres possessions écclésiastiques, mais il ne garda pas longtemps ces biens usurpés, une excommunication vint bientôt le forcer à abandonner cette maison aux évêques de Carcassonne.
Le monastère de St-Martin était alors arrivé à l'apogée de sa gloire, de cette gloire qui est si près de la roche Tarpéienne !
Plus que jamais la basse jalousie fomentait de sourdes intrigues, et poussées par Frottard, abbé de St-Pons, Bernard de Bézalu, comte de Fenouillèdes, et Udalger, usèrent de tous leurs moyens possibles pour ruiner l'abbaye de Saint-Martin du Lez.
Accusés de Simonie, les vénérables religieux de St Martin se virent forcés de quitter leurs cellules et errer dans les sauvages montagnes, en proie à toutes les vexations des paysans ameutés contre eux. L'ambition de Frottard porta un coup fatal à cette auguste communauté, car ce fut à partir de ce moment que St Martin perdit toute son importance. Un acte de cette époque (1070) porte que le Monastère de St-Martin du Lez ne fut plus qu'un simple prieuré conventuel dépendant de l'abbaye, alors opulente, de St-Pons.
En perdant sa prépondérance, Saint Martin perdit ses privilèges, ses droits et revenus, ses franchises et sa juridiction sur le pays voisin.
Et cet état de chose dura jusqu'aux sanglantes guerres de religion.
Le 30 août 1573 Quillan tomba au pouvoir des Calvinistes. Après la prise du château du bourg de Belviannes les huguenots qui montaient le cours de l'Aude, surprirent les malheureux moines de St-Martin, aucun d'eux dit-on ne pût échapper à la haine inassouvie de leurs agresseurs.
C'est de cette époque que date la ruine du monastère du Lez : le couvent fut saccagé, l'église en partie détruite et le bourg complètement ruiné, et, lorsqu'en 1530(?!) Anne de Joyeuse avec son père eurent complètement réduit le parti des réformés, le Monastère de St-Martin du Lez avait existé. Dès lors ce coin de terre fut abandonné, on ne songea plus à relever les restes du prieuré qui servirent plus tard à la réédification du village de St-Martin de la Pierre-Lys.
Mais ainsi qu'il est écrit dans le livre des destinées la vallée du Lez ne devait pas tomber dans l'oubli. Après trois siècles de misères la providence nous envoya un homme, qui, animé de la même ardeur et du même amour que le premier fondateur du Monastère, sut accomplir une œuvre gigantesque, rendant son nom illustre à jamais. Félix Armand, humble curé de St Martin, qui a percé à travers ces montagnes infranchissables, la belle route de Quillan à Axat. Aussi c'est avec admiration et respect que nous nous arrêtons devant le tunnel où la reconnaissance publique a fait graver en lettres d'or ce quatrain qui résume toute son œuvre.
Arrête voyageur, le maître des humains
A fait descendre ici la force et la lumière
Il a dit au pasteur : accomplis mes dessins,
Et le pasteur, des monts, à rompu la barrière.

Luc P.




1897 - Revue des eaux et forêts - Adjudication forestière dans la forêt des Fanges en 1723

Ce texte explique certains comportements des adjudicataires (négociants achetant des arbres sur pied) de la forêt des fanges. Comment Étienne Espezel ent parvenu à tromper l'administration royale et comment finalement celle-ci a réagi - une vrai enquête policière. Le détail à remarquer : la mention du port de St-Martin-Lys

1897 - Revue des eaux et forêts : économie forestière, reboisement... / dir. : S. Frézard ; réd. en chef : A. Frézard (gallica.bnf.fr)- LES CONSÉQUENCES D'UNE ADJUDICATION FORESTIÈRE A LONG TERME
En 1723, Étienne Espezel, marchand de bois à Quillan, se rendait adjudicataire de 1800 sapins à couper à son choix et sans désignation de grosseur sur toute l'étendue de la forêt des Fanges évaluée alors à 2989 arpents (1627 hectares), à raison de 3oo sapins, au prix de 325o livres par an, pour chacune des six années 1724 à 1729.
L'usage de la maîtrise de Quillan était de faire les ventes et adjudications à l'expurgade, c'est-à-dire par nombre d'arbres à prendre dans toute une forêt ; il n'y avait pas même de désignation de triages pour l'assiette des coupes, et il faut convenir que cette forme de ventes, qui depuis fut abandonnée dans la maîtrise comme vicieuse, était de nature à favoriser les fraudes des adjudicataires peu scrupuleux. Le sieur Espezel s'aperçut vite de cette facilité, et la mit à profit; de 1724 à 1733 il trouva le moyen d'exclure tous ses concurrents et de rester seul adjudicataire de presque toutes les ventes qui furent faites dans la forêt des Fanges. De 1724 à 1728 son marché avait été augmenté de 52 sapins et 46 hêtres au prix de 6-ff- les sapins et 3 -ff- 10 sols les hêtres.
En 1729, il se porta adjudicataire, — au prix de 6 -ff- 10 sols pour les sapins et de 3 -ff- pour les hêtres, - de 1200 sapins et 4o hêtres exploitables en quatre ans, à raison de 300 sapins et 10 hêtres et moyennant la somme de 1990 livres par an, ce qui portait jusqu'en 1733 le total de ces ventes à 3052 sapins et 86 hêtres. De 1723 à 1725 il fut en outre concédé dans la même forêt 159 sapins à 13 particuliers pour leurs usages, soit un total de 3211 sapins à exploiter de 1723 à 1733.
Espezel s'était fait autoriser à construire une scierie sur le ruisseau du Bac St-Bertrand (bac, versant nord), afin de profiter de cet expédient pour dénaturer le plus grand nombre possible d'arbres coupés en délit. En outre, sous prétexte d'avoir coupé les arbres en plusieurs pièces, en forêt, pour la commodité du transport, ou d'avoir trouvé des arbres jumeaux ou fourchus, il s'était fait marquer lors de la vérification des pièces à la scierie un nombre d'arbres supérieur à celui qui avait été ou aurait dû être martelé en forêt. Aussi, pour obvier à cette tricherie, le grand maître résidant à Toulouse, Anceau de Lavelanet, avait-il, en 1733, sur les représentations des officiers de la maîtrise, décidé qu'à l'avenir les adjudicataires seraient tenus de ne faire qu'une seule pièce de chaque arbre jusqu'au jour de la reconnaissance et vérification.
Vers 1728, entrait en fonctions à Quillan en qualité, de garde-marteau de la maîtrise, Le sieur Loubet qui pendant les cinq premières années de sa charge, parait avoir rempli à la légère les fonctions qu'elle comportait ; il avait trouvé dans la maîtrise des habitudes invétérées d'incurie, d'abandon, de laissre faire et de laisser aller, et autant par nonchaloir que par crainte de donner l'éveil et de provoquer des réformes radicales, il avait suivi ces errements. Les martelages ne se faisaient que très irrégulièrement et avec intermittences, tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, sans règle ni suite. Dans tous les cas, il n'appert de nulle pièce qu'une désignation préalable précédât l'exploitation : au rebours de la pratique actuelle c'était l'adjudicataire qui désignait les arbres à abattre et les marquait de son marteau ; le garde-marteau venait ensuite et apposait l'empreinte du marteau du roi à côté de celle du marteau de l'adjudicataire. Telle devait être du moins la marche réguliére; mais il est probable que le garde-marteau, ne montant pas toujours en forêt pour faire cette opération aussitôt qu'il en était requis par l'adjudicataire, permettait explicitement ou tolérait l'exploitation et même l'enlèvement d'un certain nombre de grumes qu'il allait ensuite reconnaître à la scierie, ou au port, ou en forêt, ce qui l'obligeait, comme conséquence, à marteler des souches d'arbres exploités depuis un temps plus ou moins long.
On voit ainsi, pour en revenir à l'adjudication spéciale qui nous occupe, que l'acte essentiel de délivrance, soit qu'il se fît tout d'un trait, soit qu'il exigeât plusieurs séances, devait affecter un certain nombre d'arbres sur pied, plus un nombre de souches récemment exploitées nécessaire pour compléter le chiffre de 300 sapins. Lorsque ce nombre était atteint, on arrêtait l'opération, et Espezel, qui avait eu le soin de la diriger d'une façon intelligente n'insistait pas pour de plus longues recherches.
Quand aux récolements, c'étaitinfiniment plus simple : depuis l'adjudication de 1723 jusqu'en 1732 il n'en fut pas question. Il est probable qu'après la première année de son exploitation, Espezel avait remontré aux officiers de la maîtrise combien prématurée serait une vérification des souches exploitées ; que des récolements annuels seraient des opérations fort difficiles, sinon impossibles; toutes les peines qu'ou anrait à distinguer, dans certain cas, les souches surannées de celles de l'année, puisque l'exploitation se poursuivait et que les coupes chevauchaient les unes sur les autres ; qu'il serait bien temps de procéder au récolement lors de l'expiration de son marché, sans quoi, on risquait de lui imputer deux fois, sinon plus, à délit, des souches exploitées par inadvertance des bûcherons et sans son ordre, en outrepasse du nombre fixé par l'adjudication. Toujours est-il que pendant les dix années du bail d'Espezel il n'y eut pas de récolement.
Aussi, après avoir tiré de son marché tout ce qu'il en pouvait honnêment et malhonnêtement espérer, convaincu d'ailleurs que les officiers de la maîtrise seraient les premiers à différer jusqu'à des calendes inconnues un récolement général qui ne pouvait que faire éclater à tous les yeux dix ans de coupable inertie et de prodigieuse incurie, Espezel était-il tout disposé à passer la main et les responsabilités à un autre adjudicataire.
Bien qu'aux termes de l'ordonnance de 1669 (titre 16, article Ier) cette garantie dût se prolonger jusqu'en 1734, comme une nouvelle adjudication était imminente, Loubet ne crut pas pouvoir se dispenser de procéder à une visite de la forêt, afin d'effectuer, si possible était, un départ de responsabilités entre l'adjudicataire sortant et le nouveau, qui pouvait n'être plus Espezel.
Cette visite démontra tout d'abord à Loubet qu'il avait été marqué en délivrance à Espezel 116 sapins de plus que le nombre total à lui adjugé, et l'obligea à consigner dans son procès-verbal une situation qui le constituait lui-même en faute grave, sinon par connivence et concussion, du moins par omission de ses devoirs et coupable légèreté. A raison de ces faits, Loubet se vit, en 1732, condamné à mille livres de dommages-intérêts envers le roi et interdit de ses fonctions pour un an.
Après ce jugement, il se rendit à Paris, y obtint audience de M. de Baudry, conseiller d'Etat, intendant des Finances au département des Eaux et Forêts de France, près duquel il essaya de se disculper, d'atténuer ses torts, en vue d'obtenir une modération des peines disciplinaires qui lui avaient été infligées. Cette justification n'allait pas sans dénonciation des abus anciens dans la maîtrise et des fraudes récentes d'Espezel. Loubet et Espezel eurent alors par lettres des démêlés plus que vifs; ils se terminèrent devant le sénéchal de Limoux par une sentence qui mit les parties hors de cour tous dépens compensés.
Pendant ce temps, en 1732,1e grand-maître Anceau de Lavelanet avait donné à Paul Rouget, conseiller du Roi, lieutenant en la maîtrise particulière de Castelnaudary, ordre d'ouvrir une information contre Louis Rouzeaud, maître particulier de la maîtrise de Quillan, « pour prévarications manifestes qu'il avait commises dans l'exercice des fonctions de sa «charge». A la suite de cette procédure, Rouzeaud fut condamné par jugement en dernier ressort rendu par le même grand maître Anceau de Lavelanet, le 6 septembre 1732 à Castelnaudary, en 2000 livres d'amende, pareille somme à titre de réparations civiles envers le roi, et à se défaire de sa charge dans le délai d'une année. Irrité de cette condamnation, Rouzeaud retourna à Quillan, où il ne possédait cependant aucun bien, uniquement pour chercher à se venger du procureur du Roi, Terrisse, qui avait signalé ses malversations. Nous verrons plus loin à quels excès il se porta, mais revenons à la forêt des Fanges.
Après Espezel, en 1733, le sieur Étienne Bertrand, marchand de bois à Quillan, se rendit adjudicataire de 900 sapins à couper dans la même forêt, 3oo par année, de 1734 à 1736. Mais Bertrand, assujetti à la nouvelle décision du grand maître de ne pouvoir faire apposer le marteau de vérification que sur les arbres entiers, avec cîme attachée au corps, et fourches ou jumelles non disjointes, n'avait eu aucune occasion de frauder par ce moyen.
Loubet avait repris ses fonctions en 1733; rendu plus attentif et plus circonspect, tant par sa mésaventure que par l'exemple du ci-devant maître particulier Rouzeaud, il commença une sérieuse tournée de vérification dans la forêt des Fanges. Accompagné du garde général Jean Lucet et de trois indicateurs bûcherons, il organisa des recherches ; les 22 et 23 novembre, il trouva 224 souches de délit : 207 n'étaient marquées d'aucun marteau et 17 marquées du seul marteau d'Espezel.
Il porta ses investigations à la scierie du bac Saint-Bertrand, en bas de la forêt et au port de Saint-Martin-Lys, sur l'Aude, et y trouva 96 rouls (billes de sciage de 2m50 de longueur), coupés en délit, qui furent confisqués. Le 28 décembre, nouvelle visite et découverte de 52 autres souches de délit. Les 15 avril et 5 mai 1734, autres visites et continuation des découvertes.
Pour entraver les recherches, Espezel porte plainte le 19 mai contre deux des indicateurs de Loubet pour vol et dégradation de bois lui appartenant; ensuite, il récuse Loubet comme instructeur dans cette affaire, l'accusant d'avoir prévariqué et fait un martelage en faveur de l'adjudicataire Bertrand sans ordonnance du grand-maître. Loubet se justifie en produisant l'ordonnance. Après justification, Loubet reçoit du grand-maître une lettre l'invitant à continuer ses recherches et à y porter toute son attention.
Nouvelles visites les 24, 26, 27 mai 1734 amenant la découverte de 284 nouvelles souches de délit. Sur certaines, on croit reconnaître l'empreinte d'un faux marteau royal. Là-dessus, Terrisse, Procureur du Roi en la maîtrise, intervient, et commence des poursuites au criminel contre Espezel et ses bûcherons. Espezel riposte en réclamant une visite contradictoire de la forêt. Assigné à cet effet au 4 juin, il obtient délai du grand-maître et fait commettre le Maître particulier de Quillan, Marsol, qui a remplacé Rouzeaud, pour y procéder.
Loubet, de son côté, met à profit le délai obtenu par Espezel et le 5 juin 1734, jour de l'Ascension, arrête lui-même, au sortir de la messe, à Quillan, Augereu, bûcheron d'Espezel, que celui-ci avait fait venir pour concerter sa défense et déconcerter l'accusation, et il l'enferme dans la prison de la maîtrise au même lieu. Loubet accusait Augereu d'avoir été vu montant à la forêt des Fanges avec une hache, puis s'en servant pour lever les plaquis des souches où se trouvait, soit la seule empreinte du marteau d'Espezel, soit cette empreinte à côté de celle d'un marteau contrefait.
L'arrestation d'Augereu faisant beaucoup de bruit à raison des circonstances dans lesquelles elle s'est produite, le lieutenant particulier de la maîtrise, Jaubert, se transporte dans la prison pour interroger Augereu, et, ne trouvant pas les charges suffisantes pour maintenir l'arrestation, ordonne sa mise en liberté. Sorti de prison, Augereu porte plainte contre Loubet, obtient du sénéchal de Limoux une ordonnance d'information, mais, soit nécessité de chercher du travail, soit crainte de voir l'affaire mal tourner pour lui, gagne le Roussillon où il trouve de la besogne pendant quelques mois.
Cependant, Pierre Marsol, le nouveau maître particulier procède avec l'aide du garde-général Lucet à des visites de la forêt des Fanges les 31 août, 1er et 9 septembre 1734. Ces visites confirment pour bonne part les résultats donnés par celles de Loubet, les infirment pour 41 souches comptées pour délits et où l'empreinte du marteau royal était cachée sous la mousse ; mais, ce qui est plus grave, outre qu'elles amènent la découverte de nouvelles souches de délits, elles font de nouveau et sérieusement soupçonner Espezel d'usage d'un faux marteau royal, dont il aurait, après coup, apposé l'empreinte à côté de celle de son propre marteau.
A la visite du 9 septembre, on constate réellement ce qui n'avait été précédemment imputé à Espezel que par induction à savoir l'enlèvement de plaquis où avaient été précédemment reconnues soit l'empreinte unique du marteau d'Espezel, soit celle d'un marteau argué de faux.
En conséquence, le Procureur du Roi en la maîtrise rend contre Augereu un décret de prise de corps et le fait assigner à son domicile à Lavagnac (hameau de la commune de Puilaurens, sur la rivière de la Boulzanne, affluent de l'Agly). Augereu ne s'y trouve pas. Quelques mois après, Augereu revient dans sa maison ; Loubet averti par le garde Bourrel habitant au même lieu se transporte le 10 février 1735, accompagné du garde général Lucet, à Caudiès, ville la plus proche, où il requiert main forte d'une brigade de la maréchaussée. Il quitte Caudiès de nuit, investit avec sa troupe la demeure d'Augereu, l'arrête au point du jour a demi habillé, et le fait conduire à « pied, avec la pluie sur son corps » dans la prison de la maîtrise de Quillan « sans vouloir », dit Augereu dans sa plainte, « lui donner la consolation d'entendre la messe, et le fait enfermer au secret, saus feu, sans aliments, humide et mouillé de tout son corps et sur la plate terre ». Loubet s'érigeant lui-même en concierge, renvoie les aliments, les vêtements et un brasier que des personnes charitables apportaient au prisonnier.
Après interrogatoire, Augereu est, cette fois, maintenu en prison malgré d'actives démarches d'Espezel ; il réclame sa mise en liberté sous caution, ne l'obtient que le 12 septembre suivant, sous condition de se présenter à toute réquisition, de donner caution et de ne plus entrer ès-forêts du roi. Dans le même temps qu'il attend l'effet des poursuites en lesquelles il est impliqué, il se porte, à son tour, plaignant contre Terrisse et Loubet, leur demandant mille francs de dommages-intérêts.
Le 12 juin 1735 recommencent les visites dans la forêt des Fanges, et avec elles les découvertes : 157 nouvelles souches dont 47 marquées du seul marteau d'Espezel, 34 marquées du marteau argué de faux et le surplus sans nulle marque. Alors Espezel cherche à se disculper aux dépens d'autrui, et adresse au grand-maître un long mémoire où il donne à entendre que les délits à lui imputés ont été commis par Étienne Bertrand ; il signifie ce mémoire au Procureur du Roi. Nouvelle visite de vérification aux Fanges, le 6 octobre 1735; les diverses vérifications de Loubet avaient eu pour résultat total la reconnaissance de 984 souches coupées en délit.
Brusquement, les visites de reconnaissance subissent un long arrêt.
Les années 1736 et 1737 s'écoulent sans nouveaux actes de poursuites; les officiers de la maîtrise cessent toutes vérifications « sans qu'on connaisse à leur inaction d'autre cause que le refus d'Espezel de continuer à consigner leurs vacations comme il l'avait fait pour les deux premières visites faites à sa réquisition et diligence ».
Pendant ce temps d'ailleurs, le 15 septembre 1735, Terrisse, procureur du roi en la maîtrise de Quillan, avait adressé au grand-maître à Toulouse, sous forme de supplique, une plainte en son nom et en celui de tous les officiers et gardes de la maîtrise à raison d'injure et diffamation contre eux tous par le sieur Rouzeaud, ci-devant maître particulier à Quillan, et aux fins d'information et d'enquête sur ces chefs. En vertu d'une ordonnance d'enquête rendue au pied de la supplique, et à la même date, par M. de Lavelanet en cours de visite, Paul Rouget, lieutenant à la maîtrise particulière de Castelnaudary ouvre aussitôt l'information ordonnée.
Le procès-verbal de cette enquête, en date du 17 septembre 1735 constate l'audition de onze témoins, tous à charge, à la requête de Terrisse.
Ces témoins déposent notamment : l'un, qu'à la suite du jugement rendu contre lui par le grand-maître à Castelnaudary le sieur Rouzeaud s'est répandu en injures et en invectives contre ce magistrat, le traitant de coquin, de pendart, de Cartouche, l'accusant de partager avec son secrétaire, le sieur Boulanger, les sommes extorquées aux adjudicataires; accusant celui-ci d'être l'âme damnée du grand-maître, et d'avoir reçu de l'archevêque de Narbonne, en échange de complaisances et de prévarications au profit dudit archevêque 1 et à l'occasion des forêts qu'il a limitrophes de celles du roi, la députation du pays de Razès 2 aux États de la province du Languedoc et une bourse de jetons valant 800 livres ; à un autre Rouzeaud a dit que le jugement rendu contre lui par le grand-maître n'était qu'un brigandage et acte de fripons choisis et captés par le grand-maître; qu'il avait écrit ou écrirait au contrôleur général des finances, Orry, pour perdre le grand-maître et Terrisse qui est un misérable; à un autre, que Boulanger était un voleur qui ruinait les adjudicataires et notamment le sieur Pinet-Laprade. Un témoin dépose, par contre, que Rouzeaud voulant un jour faire un voyage se plaignit à Laprade, marchand de bois et lors adjudicataire, de n'avoir pas d'argent; sur quoi Laprade « lui bailla une boëtte de tabac d'Espagne dans laquelle Rouzeaud trouva deux louis enveloppés dans du papier ; à un autre Rouzeaud a dit qu'il voulait assommer M. Terrisse, mais qu'il n'en était pas temps encore, etc., etc.
Les archives de la maîtrise ne nous ont pas livré le jugement qui dut être rendu à la suite de cette information; nous savons seulement par le réquisitoire de Pernet, procureur du roi en la réformation, que Rouzeaud ainsi que son prédécesseur Rouzeaud-Morancy furent impliqués dans les poursuites dirigées contre Espezel et dont il sera ci-après parlé.
Nous avons dit que pendant les années 1736 et 1737 les poursuites contre Espezel subirent un arrêt. Pendant ce temps, le grand-maître ne reste pas inactif : voyant l'instruction de l'affaire tantôt entravée par les difficultés que suscite Espezel, récusant tous les actes d'enquête comme dirigés par les officiers de la maîtrise ses ennemis personnels, tantôt retardée par les poursuites incidentes comme celles contre Augereu et Rouzeaud, M. de Lavelanet obtient du conseil d'État un arrêt en date du 29 mai 1736 ordonnant la réformation des bois de la maîtrise de Quillan, « où depuis longtemps il règne des abus considérables pour la forme des délivrances d'arbres, exploitations, traites et vidanges et établissements de scies à eau dans des distances trop prochaines des forêts, lesquels abus paraissent provenir de la négligence des officiers et gardes et de leurs intelligences avec les adjudicataires, ce qui tend à l'entier détriment des forêts. »
En exécution de cet arrêt M. de Bernage, intendant du Languedoc, invite le Parlement de Toulouse à instituer une commission de réformation. Cette commission est ainsi composée : Lenain, Anceau-Lavelanet, Lagarde, Sollier, Baudoin, Fautrier et Assier, rapporteur. Il rend ensuite, le 2 août 1738, une ordonnance commettant les sieurs Campoussy et Véliey pour procéder, assistés de trois marchands nommés par le sieur Rouquet (?) « en présence d'Espezel, de Bertrand, de 13 autres adjudicataires de sapins dans la forêt des Fanges et de tous les officiers de la « maîtrise ayant exercé leurs fonctions de 1723 à 1733, à la visite de la forêt triage par triage, et disposant que les journées et vacations desdits experts seront payées par provision un tiers par les officiers anciens et modernes, et les deux autres tiers par les adjudicataires Espezel et Bertrand ».
À la lecture de cette ordonnance, Espezel fait signifier, le seize août au procureur Terrisse et au garde-marteau Loubet un acte pour « protester de toutes ses exceptions contre l'ordonnance par eux suprise, sans déffense de sa part, par devant l'intendant, et de l'inutilité de la vérification ordonnée contre lui, protestant contre les dépenses et dommages qu'ils pourraient lui imputer, déclarant pourtant ne pas entendre s'opposer à l'exécution par déférence pour l'Intendant, mais sous toutes réserves de droit. »
Sans s'arrêter bien entendu à cette protestation, les experts entrent en campagne à la fin.d'août 1738. La recherche paraît devoir être longue, car les délits sont innombrables, d'une constatation laborieuse, pénible, hérissée de difficultés et ardue comme le terrain sur lequel on doit opérer.
La forêt des Fanges est en effet située sur un plateau à l'altitude moyenne de 900 à 1000 mètres (extrêmes 740 et 1040m). Mais la surface de ce plateau est loin d'être horizontale ou même relativement plane. C'est l'assise supérieure d'un banc calcaire ayant 5oo mètres d'élévation au-dessus du niveau moyen de la région. A cette assise, les siècles ont donné un relief des plus mouvementés. Avec une inclinaison générale vers l'Orient, elle a deux versants principaux : l'un au Nord, bande étroite à pentes roides et abruptes, à parois parfois même verticales, ce sont les bacs St-Bertrand et St-Louis, l'autre s'abaissant vers le sud par des pentes de moindre inclinaison ; mais le tout entrecoupé d'éminences ardues et de dépressions brusques qui donnent au sol un relief incessamment tourmenté.
Joignez à cela la nature de la roche, calcaire des plus durs, représentant à la marche les aspérités de ses tranches à vives arêtes ; dans les anfractuosités de ces arêtes les buis poussant avec une extrême vigueur mais aussitôt exploités à haut étoc et en biseau par les cultivateurs riverains, pour qui tout est matière à fumier ; vous aurez une idée des difficultés que présente au parcours la forêt des Fanges.
C'est dans un pareil terrain que les experts doivent procéder à un récolement invraisemblable. Aucune limite de triages n'avait été assignée à Espezel non plus qu'aux autres adjudicataires introduits avec ou après lui dans la forêt, en sorte qu'il était nécessaire de parcourir tout un massif de 2990 arpents (1702h) à l'altitude de 900 mètres, d'y vérifier une à une toutes les souches qui pourraient être retrouvées, d'en arbitrer l'âge afin d'en faire attribution suivant l'époque d'exploitation, et de ne laisser inexploré aucun canton de forêt, aucun penchant si abrupt fût-il.
Des deux experts désignés, l'un Véliey était un arpenteur qu'on avait fait venir de la maîtrise de Reims à raison sans doute d'aptitudes spéciales à lui reconnues pour une mission qui demandait avec une probité parfaite une grande perspicacité, et, par-dessus tout, une patience et une ténacité d'investigation qui ne se pût lasser d'aucune lenteur, rebuter d'aucune difficulté. C'est dans ce sens qu'il faut entendre le portrait qu'Espezel fait de lui : « On prit pour premier expert, le sieur Véliey arpenteur de la réformation, natif de Franche-Comté, qui, quoique assez occupé d'autres ouvrages plus nécessaires pour les intérêts du Roi, fut distrait de son travail ordinaire pour être employé à la vérification d'une forêt dont il ne connaissait ni n'avait jamais été en état de connaître la nature et la qualité puisqu'à peine connaissait-il la nature et l'état des forêts de la maîtrise. »
Moins heureux était le choix de l'autre expert : Campoussi, parfois qualifié de sieur ou seigneur de Campoussi, était un adjudicataire qui, si dépourvu fût-il d'instruction technique, était certainement passé maître dans la pratique des exploitations. Il la possédait même à ce point qu'Espezel, quand il se vit accablé par le résultat de l'enquête, dénonça Campoussi comme un « insigne dégradateur de la forêt de Gravas (alors incorporée au domaine royal) et spécialement au canton appelé la serre de la Galline. » Cette accusation fut relevée plus tard et Campoussi dut à son tour en 1743 subir l'enquête de deux experts qui visitèrent la forêt de Gravas et y trouvèrent traces de nombreux délits : d'où s'ensuivit une sentence de condamnation rendue par la commission de réformation.
Quoi qu'il en soit, il faut croire que Campoussi fit son métier de découvreur de souches en parfaite connaissance de la partie et en expert au vrai sens du mot, puisqu Espezel, qui avait dû fonder de grandes espérances sur le choix d'un pareil arbitre, l'attaque, le dénigre, ou plutôt l'accuse et le dénonce formellement lorsqu'il a connaissance du rapport d'expertise.
Quant aux trois autres experts marchands, le premier était Marsan, du village de Counozouls, oncle de Campoussi, chirurgien (n'est-ce pas plutôt barbier?) de son état, et qui ne connaissait les forêts, dit Espezel, que pour avoir été facteur de l'adjudicataire Pinet-Laprade. Les deux autres, Assens et Raussi, étaient, toujours au dire d'Espezel, « deux laboureurs illettrés, bien qu'ils sussent signer, valets sous le nom de commis du sieur Campoussi ».
Pour mener à bonne fin son travail, Véliey, procédant avec une méthode sûre, commence par diviser l'étendue (1 702h) de la forêt des Fanges en dix-huit triages nouveaux qui devaient avoir sur les anciens, à limites inconnues ou indécises, l'avantage d'être récemment, et par conséquent, nettement définis et délimités ; il fait ensuite ouvrir, dans ces triages, des lignes, analogues à nos virées actuelles, que suivront les experts afin de ne pas élargir ou recroiser. leurs voies. Dans l'intervalle des virées marcheront des indicateurs munis de sonnettes ; à leur appel, les deux experts de droite et de gauche quitteront chacun leur virée, viendront reconnaître la souche et crieront le résultat de la vérification qui sera consigné par Véliey sur son registre.
Ces minutieuses précautions sont tournées en dérision par Espezel qui, dans sa « Continuation d'Inventaire de Production pardevant NNggrs les Commissaires de la Réformation » dit plaisamment « qu'il ne manquait plus à Véliey que d'exécuter le projet qu'il avait formé de se faire faire un habit en fer blanc pour pouvoir mieux pénétrer dans les broussailles », — ajoutant que personne ne contestera qu'après la « forêt de Callong, il n'y a pas de forêt dans la maîtrise qui soit moins difficile que celle des Fanges, et qu'il n'y a pas de jeune homme ou de jeune fille de dix à quinze ans dans les six ou sept villages qui l'environnent qui n'en connaisse les triages par leurs noms et leur situation ». Il faut croire qu'à Callong Espezel ne connaissait que le canton de Fount del Cardère et n'avait jamais escaladé celui de Loube Pelade, et qu'aux Fanges il n'avait pas voulu des sapins de certains quartiers du Soucarrat, du canal de Laïrette et du bac Saint-Bertrand.
(A suivre.)
De Sailly

1. — Primat, Duc et'Pair, Président-né des Etats de la province du Languedoc, l'archevêque de Narbonne était, en cette qualité, baron de Quillan, seigneur de Ginoles, Coudons, Cavirac, Brenac, et de Gébetx, Mérial, la Fajole et Niort au pays de Sault; il possédait à ce titre les forêts, situées sur le territoire de ces communes, qui, en 1789, ont été partie réunies au domaine national, partie revendiquées par les communes à raison de leurs usages; il jouissait d'un revenu de cent mille livres, ce qui le classait, sous ce rapport, au 3e rang des prélats de France, Strasbourg venant le premier avec 250.000 livres, Paris et Metz ensuite avec 130.000 livres, Cambrai et Narbonne 100.000 livres, Auch 90.000, Alby et Rouen 80.000, etc.
2. — Le Razès est une ancienne division administrative de la province du Languedoc, qui correspond assez exactement à l'arrondissement actuel de Limoux augmenté du caton de Fanjeaux; il comprenait les pays de Sault et de Fenouillièdes en montagne, le haut Razès dans les Corbières, puis le moyen Razès ou Chalabrais, et le bas Razès entre le cours de l'Aude et celui de l'Hers. Le département de l'Aude a été formé du Narbonnais comprenant la majeure partie des Corbières, du Carcassèz comprenant le Cabardès et le Minervois, du Lauraguais et du Razés.




16/08/1939 - L'éclair - Haute vallée de l'Aude - tourisme1

Visite touristique de la Haute vallée : d'Alet, jusqu'à la source de l'Aude. J'ai laissé l'intégralité de ce long article, bien que la mention de St Martin soit très rapide. Liens pour un accès direct à la traversée de la commune (Pierre-Lys, village, Pont d'Alies), (je n'ai repris que 2 photos de l'articles, les 3 autres étant hors sujet)

L'ECLAIR MERCREDI 16 AOUT 1939
L'éclair touristique
LA HAUTE VALLEE DE L'AUDE
L'AUDE est un fleuve qui bondit du Roc d'Aude à la mer.
Le fleuve Atax des anciens a un parcours total de 208 km. dont 180 dans le département de l'Aude. La rapidité de ses pentes supérieures, véritable cascade du Capcir, dans la plaine de 1.300 mètres de haut, sur 30 kilomètres à vol d'oiseau, fait de cette rivière un gave rapide jusqu'à Alet aussi la nomination Haute Vallée de l'Aude est d'une exactitude parfaite, et sur le plan géographique et sur le plan touristique.
Pour délimiter le cours de la plaine du cours des monts, nous possédons dans le pays un étalon : c'est la truite.
Après les coteaux de Limoux où mûrit un vin fruité qui deviendra la célèbre blanquette, la vallée se retrécit, nous rentrons dans la montagne ; ce sont les croupes escarpés garnis de guérets, de chênes-verts. Puis, la gorge s'ouvre, sur le vallon aimable d'Alet. Alet est surtout connue comme ancienne ville épiscopale et, aujourd'hui, comme station balnéaire. L'histoire de son évêché villageois a été illustrée par l'attitude janséniste de Nicolas Pavillon, qui, en plein XVIIe siècle dans le drame théologique de Port-Royal osa tenir tête au Parlement, aux Jésuites, au roi et même au Pape ; les vertus austères et modestes de ce prêtre lui firent refuser toutes les dignités ecclésiastiques ; il voulait dans son humilité, devenir curé de son village. Richelieu, autoritaire, le nomma évêque et l'envoya à Alet.
Le diocèse d'Alet connut, en 1577, une sombre tragédie la destruction de la cathédrale qui est un des plus vénérables joyaux de notre archéologie, avec l'église dauphinoise de St-Paul-Trois-Châteaux ; cette cathédrale, bâtie au XIIe siècle, sur des parties plus anciennes de l'église primitive.
Dans un petit cimetière qui sert de parvis funéraire aux ruines imposantes, une cour décapitée élève son mur tragique, comme une croix ; la nef, qui était recouverte d'une voûte en plein cintre, déroule son développement architectural : deux rangs de colonnes séparaient la nef centrale des nefs de côté : la pierre a pris une couleur ocre calciné, la patine des temps a doré les chapiteaux l'ornementation est d'un grand intérêt : figures humaine, animaux bizarres, feuillage entrelacé à l'intérieur, la décoration était inspirée de formes corinthiennes de l'antique. L'abside est la partie la mieux conservée, taillée en cinq faces ; elle forme cinq niches voûtées d'un bel ensemble. Le style roman et le style gothique sont, ici comme à Saint-Nazaire, dans une harmonieuse adaptation ; les Français du Midi et du Nord ont inscrit sur la pierre leur passage et chacun ayant apporté son style, a fixé son expression de beauté.
Une autre victime des guerres de religion est, un peu plus loin, le château de Couiza, On remonte l'Aude, d'Alet à Couiza, dans un défilé resserré et sauvage, couloir abrupt, entre les falaises des Corbieres un moulin seulement donne une note de vie dans ce paysage aride. Le château de Couiza est posé comme un gâteau sur le bord de l'Aude : belle construction de la Renaissance ; les façades extérieures sont d'un style sévère, disposées en carré, les quatre angles flanqués de tours robustes ; cette unité des quatre corps de bâtiments lui donne une allure imposante.
Ce château fut bâti par Guillaume de Joyeuse ; le célèbre ligueur, vicomte et seigneur de Saint-Didier-de-Puivert, d'Arques et de Couiza, maréchal d'Alet, chevalier des ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit, lieutenant général du Gouvernement du Languedoc ; ce grand seigneur réunissait deux familles illustres : les Voisin et les Joyeuse. Nicolas Bachelier, le constructeur de l'hôtel d'Assezat à Toulouse, en fut probablement l'architecte après les Joyeuse, ce furent les Guize qui devinrent propriétaires du château ; actuellement, une usine, ateliers et magasins, occupe les salles d'apparat.
Si, de Couiza, on continue à remonter l'Aude, au sommet d'une côte, une vision soudaine de ville industrielle nous surprend : Espéraza déplie son panorama d'usines importantes, de manufactures à l'outillage très moderne ; l'industrie du chapeau, par la belle qualité de ses cloches en laine a fait, il y a quelques années, la conquête des marchés mondiaux.
La vallée se retrécit et l'Aude commence à prendre l'allure rapide d'une rivière de montagne ; le plateau de Nébias, le pays de Sault, la forêt des Fanges, découpent leurs masses aux lignes nettes leurs flancs sombres de forêts ; les sapins en sont la grande parure par endroits l'ossature du roc traverse la terre et les lames blanches des rochers font un couronnement au front des montagnes plus de petits monts et de collines ; la montagne, d'une belle levée, monte de la vallée, droite comme un causse.
Voici Quillan petite ville aimable et prospère ; elle est bâtie sur la rive gauche de l'Aude ; sur l'autre rive, les ruines d'un château démantelé aux quatre angles flanques de tourelles de guet.
Quillan est la clef des Pyrénées. Couloir ouvert dans la falaise de la Corbière pour accéder à la grande montagne, dans une cuvette de lumière et de verdure. Quillan est ceinturé d'escarpements et les grands bois tombent des plateaux aux parois abruptes. Quillan commande la porte des fameux défilés de la Pierre-Lys et de Saint-Georges. les seuls passages sur le Roussillon et la Cerdagne ; aussi est-ce un centre de tourisme incomparable : le pays de Sault, le Rebenty et les forets aux sapins splendides de Callong, de Ficaussel, de la plaine de la Niave, de Belesta et des Fanges ; centre où l'air pur et léger descend des névés par le couloir de l'Aude. Quillan mérite de revenir une station estivale pour ceux qui ne peuvent supporter une grande altitude (292 mètres), et qui veulent avoir les agréments et les bénéfices de la montagne. Quillan est, de plus, une ville industrielle : le chapeau d'Espéraza a remonté l'Aude et une usine moderne lui donne la vie et l'activité. Quillan est encore forestière par l'exploitation de ses sapins : scieries, grumes, exploitation des bois, poutres, madriers, planches.
Près de Quillan, le village de Ginoles, dans un vallon planté de vignes, aux pieds des montagnes escarpées, est une station thermale qui mériterait d'être plus connue pour ses eaux dont l'efficacité égale celle de Vichy et de Contrexeville. A un kilomètre de Ginoles, Quillan, centre de tourisme, peut devenir station thermale. Enfin, sa bonne cuisine, ses truites et ses foies gras, font une juste renommée à ses hôtels.
La route d'Espagne sort de Quillan et remonte la rive gauche de l'Aude qui est, ici, un vrai gave, bondissant et rapide, parmi les prairies et les pentes rocailleuses ; brusquement, la montagne s'élève et la vallée se resserre, forme couloir.
Sur le balcon d'une verte colline, Belvianes, coquette et fleurie, est placée comme l'ouvreuse du défilé célèbre de la Pierre-Lys, une des gorges les plus sauvages et les plus pittoresques de France et qui soutient aisément la comparaison avec les gorges de la Bourgne et les Goulets du Vercors.
Entre les deux falaises entaillées l'Aude a creusé dans un travail séculaire son chemin ; dans ce même rocher, aux parois blanches et perpendiculaires, l'homme a tracé également sa route. Un prêtre, l'abbé Félix Armand, curé de Saint-Martin, a accompli cette œuvre. Sur la place de Quillan, on peut voir sa statue ; soutane retroussée et pic dans la main, il a vaincu la montagne ; c'est à lui que l'on doit cette route unique de la Pierre-Lys, qui relie les régions isolées du Roquefortès, du pays de Sault, du Donnezan, du Capcir, à Quillan ; toute cette région était, avant lui, privée de communications. Le souvenir du premier tracé de cette route audacieuse mérite d'être conservé et de garder le nom de Trou du Curé ; le premier tunnel creusé dans le rocher quand on arrive de Quillan est dû au dernier coup de pic qui ouvrit le roc sur la plaine ; la montagne était vaincue. A trois kilomètres de Quillan, le défilé de la Pierre-Lys commence.
Ce tunnel franchi, on pénètre dans la montagne : le barrage calcaire, muraille formidable, couronné de la crinière noire des forets de sapins, a une seule fissure, nette, rectiligne au fond de laquelle l'Aude victorieuse roule en torrents et ce défilé a près de 1.500 m. de long et la falaise atteint, dans sa levée, sept cents mètres. La route surplombe le torrent. Quelques encorbellements aèrent le couloir : plusieurs virages découvrent une diversité de sites à cette falaise qui ignore l'uniformité : des masses rocheuses dominent et la route et la rivière ; trois tunnels dont un de cent mètres percent ce couloir qui semblait, inexorablement, barrer l'accès de la vallée ; vision écrasante que ce défilé, véritable vestibule d'enfer ; évocation dantesque, puissante eau-forte à la Gustave Doré.

St martin lys - pierre-lys - petit tunnel de St Martin - L'éclair du 16 Août 1939

Le petit tunnel de St Martin

On sort du dernier tunnel sur un petit vallon : un village modeste, Saint-Martin-Lys, humanise ces lieux : il est illustré par l'abbé Armand et ses vaillants paroissiens. Plus haut, le Rebenty se jette dans l'Aude ; il descend de la Fajolle par le défilé de Niort et de Joucou.
La route bifurque à gauche : c'est la voie sur Perpignan qui passe sous le château féodal de Puylaurens et suit la vallée ombreuse de la Boulzanne ; elle conduit à Saint-Paul-de-Fenouillet d'où l'on part pour visiter les gorges célèbres de Galamus. La route de droite va à Axat, elle continue à remonter l'Aude ; centre de tout le pays montagneux, Axat a une véritable importance économique et devrait devenir une station de plein air. Axat est situé dans un bassin, limité par deux barrages gigantesques, au sud de la Pierre-Lys, que nous venons de franchir ; au nord, les gorges de Saint-Georges, ce couloir prodigieux où nous passerons tout à l'heure. Au milieu de cette cuvette, sur les bords poissonneux de l'Aude, Axat est entouré de montagne dont les forêts coulent leur ombre entre les rochers de faite. En haut, sur un escarpement, le vieux village : l'église et le château féodal ; un pont en dos d'âne franchit le torrent.
[Voir le passage consacré aux gorges de St Georges]
Apres ce défilé la route traverse l'Aude et passe sur la rive gauche qu'elle suivra jusqu'à Usson : de ce pont, une route très pittoresque monte au col de Jau par les gorges de Guette et la fameuse forêt de Counozouls, dont les habitants, en 1903, se rendirent célèbres en déclarant leur territoire république libre.
Mais continuons de remonter la vallée de l'Aude par la route de Mont-Louis ; avec la rivière, nous décrivons de grandes boucles autour de la magnifique forêt de Gesse. L'Aude traverse ici le coeur du pays de Sault, immense plateau qu'elle coupe en deux : d'un côté, Roquefort, Le Bousquet ; de l'autre Rodome, Aunat, Mazuby ; le Rebenty, par sa section, donne une troisième portion : Belcaire, Espezel. Sur le plateau, à 1.000 mètres d'altitude, s'étendent de belles cultures de céréales et des prairies pour l'élevage, le tout ceinturé par les immenses forêts de sapins splendides.
On suit l'Aude dans tous ses méandres, la route a été creusée dans le rocher en surplomb, dans le flanc abrupt de la montagne un virage succède à un autre virage, virages fermés souvent dangereux ; à droite, la montagne s'élève brusquement vers le plateau d'Aunat et de Fontanès ; à gauche. la rivière bondit et s'ébroue sur les roches ; vive et rapide ses eaux sont faites pour la truite, qui abonde. Sur l'autre rive. c'est le sous-bois de hêtres et de chênes, et au-dessus, le vers sombre des sapins, qui étendent leur masse unie et épaisse sur les flancs, jusqu'au faite ; dans l'intervalle, l'ossature blanche de la montagne apparaît ; sur le piton d'une falaisse, surgit l'ancien château-fort de Gesse.
Après ce décor féodal, la gorge s'évase un peu et l'éclat lumineux d'un bassin repose des sombres forêts et des gorges sauvages. Ce barrage de Gesse conduit la force motrice au pied de la falaise du défilé Saint-Georges, beau déversoir de quarante mètres de long, qui fait une belle cascade, frangée de lumière dans ce site forestier ; ce canal de dérivation qui va à St-Georges a une longueur de 4.500 mètres, dont 4.000 en souterrain ; il porte les eaux à l'usine avec une chute de 100 mètres de hauteur.
Au-dessus de ce calme bassin, le petit village de Gesse fait fonctionner ses scieries pour l'exploitation des bois ; la route s'élève, de détour en détour les eaux se précipitent sous la voûte des arbres dont les ramures forment sous-bois.
Mais remontons toujours l'Aude. Voici Usson, annoncé déjà par la silhouette de son château ; la blanche façade d'un bel hôtel suit la courbe de la rivière : un bosquet, un tennis, une villa, des terrasses forment une véritable avenue de ville d'eaux : en effet, ce sont les bains d'Usson et, au-dessus de ce décor balnéaire moderne la roche s'élève et ferme l'horizon ; sur un piedestaJ de plus de cent mètrès. se découpent les ruines du château d'Usson ; son promontoire sépare de sa lame les défilés de l'Aude et de la Bruyante ; décor wagnérien, un burg féerique, de hautes tours, une barbacane isolée des enceintes, des pans de murs crevés, tiennent par un étonnant équilibre sur le précipice béant : telle est la prodigieuse ruine qui domine sur la falaise, toute la vallée, jusqu'à Gesse, ancien château des seigneurs de Donnezan. Les bains d'Usson, sont sur la route, à l'ombre de grands ormeaux ; leurs eaux réputées sont comparables à celles d'Aix-les-Bains ; « la font des layds » (la fontaine des plaies), est remarquable dans toutes les maladies de la peau. On traverse l'Aude sur un pont au confluent de la Bruyante, la bien nommée, qui se jette, tapageuse, dans l'Aude.
La forêt a disparu. les peupliers frissonnants ponctuent la berge du jet de leur fût ; l'on arrive aux bains d'Escouloubre et de Carcanieres ; sur les deux côtés de la route, des hôtels et des établissements thermaux sont accrochés à la montagne, dans la vallée resserrée ; ces eaux sont du groupe des eaux thermales sulfurées sodiques ; il y a même un groupe arsenical. Cette station jouit, dans la région, d'une grande réputation, et la clientèle y est surtout locale. Les bords de l'Aude, les terrasses en balcon sur la rivière, l'air pur, les promenades, les excursions, l'efficacité réelle des eaux, le prix modéré des hôtels et la cordialité des habitués, en ont fait le succès.
La route sortie de Carcanières s'échappe de la gorge ; elle s'élève et prend de l'altitude ; puis, décidée a ne plus suivre le cours de la rivière qui devient un torrent et dont la rampe est trop rapide, elle fait une grande boucle et attaque la montagne. Et, bientôt, la forêt de Carcanet l'absorbe ; cette forêt est magnifique. Quelques hêtraies donnent une note claire ; de vifs ruisseaux suivent les ravins et, à travers les colonnades de sapins, on suit le dessin des pentes abruptes qui plongent dans le ravin où la rivière s'abîme de roches en roches. Cette forêt a un grand charme ; la route y serpente, épouse les creux, monte et vire de temps en temps, après une clairière inondée de lumière, le tunnel des frondaisons et le silence du massif noir des arbres séculaires. Au sortir de la forêt, il faut s'arrêter et s'avancer sur les roches qui bordent la route et l'on aura une vue panoramique de la Haute Vallée de l'Aude ; la montagne tombe à pic dans la gorge étroite l'Aude y descend en cascades du côté du Capcir, le flanc des montagnes est recouvert, des deux côtes, du riche manteau des forêts, féerie des bois changeante à chaque saison ; sur le précipice, le grand éperon rocheux avance sa lame pour donner la notion de la hauteur de l'abîme ; a travers la futaie, l'Aude se devine : un éclair d'eau permet suivre les marches de pierre de cet escalier qui descend des hauts plateaux ou l'Aude prend ses sources.
La foret traversée, on est presque à la hauteur du plateau et on pénêtre dans les Pyrénées-Orientales, le paysage change aussitôt : alpages et guerets, plateaux des hautes altitudes, quelques maisons de bois, une forge, un petit café, des baraques, souvenir des ouvriers qui ont travaillé au grand barrage de Puyvalador.
La 'Société Méridionale d'Electricité a fait un beau barrage en béton, qui retient prisonnières les eaux de l'Aude. Cet immense bassin, véritable lac, a mis dans ce pays désolé un charme discret et prenant, une beauté nouvelle ; la croupe fauve du Madrés fait le gros dos et mire son signal dans les eaux limpides de ce réservoir. Le Capcir déroule son plateau immense, uniforme steppe aride et austère venté et désert, il se développe avec majesté, herbe rase aux lignes nettes et aux grandes étendues sans un seul arbre ; les villages pastoraux et rustiques ont déjà des noms catalans Réal Rieutord, Fontrabouse, Espousouille ; comme une flèche la route va au cœur du Capcir, à Formiguères.
Formiguères s'annonce avec ses toits bleutés d'ardoise, ses chalets, ses scieries, sa petite église espagnole, où est un Christ de bois sculpté et peint, étendant ses bras dans le geste tragique et réaliste de la mise en croix ; l'influence aragonaise est nettement sensible. Nous allons changer de pays, l'air est vif, la lumière claire et blonde, séjour idéal pour le plein été. Ce grand plateau alpestre et gazonné a le charme des alpages de l'Alpe, d'Hués ou de l'Aubrac, belle avenue montagnarde qui défile entre la large croupe du Madres et le massif du Carlitte, où des plaques de neige étincellent et miroitent.
Après Formigueres, on pique toujours vers le Sud. Le Cap Noir de la forêt de la Matte avance des sapins bien alignés auprès de la route, puis une cuvette de gazon ; la pente est si peusensible que les méandres des ruisseaux se traînent paresseux, au pied des Angles ; c'est l'Aude qui nait du massif des Carlittes, du Roc d'Aude.
Notre voyage en Haute Vallée de l'Aude est terminé.
Le col de la Quillane franchi, la citadelle de Mont-Louis nous appelle, porte d'entrée du pays cerdan, Font-Romeu et son ermitage. Nous remettons à un autre jour l'enchantement de la Cerdagne, emprise sure et fatale de la beauté calme et pastorale et de la féerie sylvestre.
Docteur GIROU
Président du Syndicat d'Initiative de Carcassonne




Article sur Saint Martin Lys reproduit par le SESA 03/11/1958 - Midi-Libre

Saint-Martin-Lys a son histoire. A peu de distance du village, fut bâtie au IXe siècle une grande abbaye. De ce monastère, il ne reste maintenant qu'un petit amas de pierres envahi par la végétation et encadré de figuiers.

L'abbé Félix Armand"
Saint-Martin-Lys évoque la légendaire silhouette de l'abbé Félix Armand, le "Pasteur des monts", qui s'attaqua aux gorges inviolables. A la tête de ses paroissiens, avec la pioche, il entama le calcaire. Ces braves tracèrent d'abord un petit chemin dans la roche qu'ils agrandirent ensuite.
Napoléon, lui-même, s'intéressa à la gigantesque entreprise de ce courageux curé de campagne et, de sa main, lui envoya un don. Louis XVIII fit de même.
Et, en 1814, était ouverte l'une des plus importantes voies de communication dont on connaît maintennat l'importance. Imaginons qu'autrefois, pour aller à Quillan, les habitants devaient passer sur les hauts plateaux dont l'accès était le plus souvent impraticable en hiver.

Une dette de reconnaissance
Les habitants de Saint-Martin-Lys conservent toujours le meilleur souvenir de l'abbé Félix Armand, qu'ils considèrent comme l'un des plus grands génies que la terre ait porté.
La terreur vint interrompre les travaux et Félix Armand dut se réfugier dans une cavité de la montagne. La nuit, les habitants du village allaient lui porter le ravitaillement qu'il fallait hisser jusqu'au trou de la grotte avec des cordes.
De sa cachette, l'abbé Félix Armand...
L'ancienne cachette de l'abbé Félix Armand, formant une vaste grotte, est aujourd'hui l'une des curiosités de l'endroit. Parfois la jeunesse l'escalade et quelques anciens se rapellent y être allés pour faire cuire un poulet à l'insu de leurs parents.

Richesses artistiques
Méconnue, la petite église de Saint-Martin, avec son plafond en bois, mérite d'être visitée. Elle abrite un magnifique retable en bois. Au centre, on y voit une belle peinture du Christ en croix, gardé de chaque côté par les statuts, également en bois, de Sainte Thérèse et de Saint Martin, patron de la paroisse. Emerveillés par cet original chef-d'œuvre, deux touristes anglais voulaient même acheter l'ensemble.
La Sainte Table est en bois, elle aussi. Une remarquable chaire en noyer et un très joli chemin de croix meublent l'attachante église de Saint-Martin-Lys.

Photo de l'article du midi-libre du 03-11-1958 (Un autre article est paru dans le midi-libre le 13/03/1970 "Félix Armand, curé de St-Martin")

Compte-rendu d’une recherche historique à Saint-Martin-Lys, par l’abbé Maurice Mazières. p 89 à 100, 4e série, t. IV, années 1960-1962 - MSASC (Mémoires de la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne)

Compte rendu d'une recherche historique à Saint-Martin-Lys (Aude).
J'ai rédigé cette communication en souvenir de mon prédécesseur à la Société des Arts et des Sciences, Monsieur Pierre Embry. Il s'était intéressé à ce travail de recherche historique : il avait eu l'intention d'en faire une relation, mais ses nombreuses activités et, ensuite, un mauvais état de santé l'en empêcherent.
La plupart des faits dont je vais vous parler n'ont donc jamais fait l'objet d'une communication écrite ou orale. Cependant, ces faits sont connus de beaucoup de personnes, de nos jours, comme ils le furent aussi dans le passé. Je m'en suis souvent entretenu avec un membre correspondant de notre Société : Monsieur Joseph Courtejaire, docteur ès Sciences, professeur et chef de laboratoire à la Faculté de Toulouse. Il aurait pu vous faire cette communication aussi bien, et même mieux que moi.
Quel est le cadre géographique de cette recherche ? C'est une section de la Haute-Vallée de l'Aude, située en amont des gorges de Pierre-Lys et qui fait partie du territoire de la commune de St-Martin-Lys.
Mes premières investigations en ce petit village de St-Martin-Lys remontent à l'année 1935. En 1935, St-Martin-Lys est un village qui meurt. Après avoir connu, de 1890 à 1910, un afflux de population dû à la construction de la voie ferrée et de nombreux ouvrages d'art, Saint-Martin-Lys, dès le départ des travailleurs de la voie, a retrouvé son visage de petite localité perdue au fond des gorges.
Il n'y avait pas alors 60 habitants, dont moins d'un tiers originaire du pays : je crois qu'en cette année 1960, il ne reste que 4 familles autochtones (Marcerou, Maillard, Augereau, Béziat), et encore en voie d'extinction.
Il est averé que les souvenirs du passé se conservent d'autant mieux dans une collectivité humaine que celle-ci est plus isolée. Saint-Martin-Lys était un petit village très riche en traditions orales. Remarquez cependant que cette étude ne repose pas seulement sur des traditions orales : elle repose aussi sur des vestiges matériels du passé et sur des documents dont je vous donnerai l'indication précise.
Ces informations de diverse nature concernent 3 objets différents mais rattachés les uns aux autres par quelque lien.
1. Un premier groupe d'informations concerne le bienfaiteur du village, le célèbre abbé Félix-Armand. Sa vie et son œuvre ont fait l'objet de plusieurs ouvrages, de nombreux articles de revues ou de journaux : mais tout n'a pas été dit. Voici de l'inédit :
En 1945. j'ai eu la chance de découvrir à St-Martin-Lys un document devenu célèbre pour les habitants et connu depuis 170 ans sous le nom de « Registre de Félix-Armand ». C'est un Registre, en effet, assez bien conservé, registre de catholicité, autrement dit d'état-civil, allant de l'année 1623 à l'année 1789. Mais il présente beaucoup plus d'intérêt que les registres ordinaires de ce temps-là. Il fourmille de renseignements précis sur les événements. Il y est fait mention des visites pastorales des évêques, comtes d'Alet, et nous y trouvons de nombreux autographes: signatures de Mgr Louis-Alphonse de Valbelle (1677-1684), de Mgr Victor-Augustin de Mélian (1684-1698), de Mgr Charles-Nicolas de Fontaine (1698-1708), de Mgr Jacques Maboul (1708-1724), de Mgr François de Boucaud (1724-1762), de Mgr Charles de la Cropte de Chantérac (1762-1793 en exil à Sabadell).
Je n'ai pas nommé Mgr Nicolas Pavillon (1637-1677). Chose étrange : il est fait mention de ses visites pastorales, mais il n'en a signé aucune : il a fait signer son chancelier. (Je signale à ce propos qu'un authentique portrait de Mgr Pavillon - l'original - se trouve au château de Niort-de-Sault, possession de la famille Fondi de Niort).
Un graphologue prendrait grand plaisir à l'analyse de ces signatures. Je me suis permis une remarque au sujet de la signature de Mgr Jacques Maboul, grand orateur, qui, en 1712, prononça, en présence du roi et de la Cour, l'oraison funèbre du grand Dauphin, fils de Louis XIV. Mais cette remarque étant un peu audacieuse, je préfère la garder pour moi : s'il vous est loisible de parcourir un jour ce document, vous ferez sans doute la même remarque que moi. Tout ce que je puis révéler, c'est que ce grand orateur avait certainement conscience de son talent et de sa dignité.
Il y a aussi plusieurs signatures de l'abbé Félix-Armand et de nombreux actes rédigés entièrement de sa main. .
Ce document a toute une histoire. Il fut dissimulé en 1789, afin de le sauver du ramassage prescrit au chef-lieu de canton : nous savons que beaucoup d'archives périrent à Quillan, en 1792, au cours du grand incendie qui ravagea l'immeuble où elles avaient été entreposées. Revenu de Sabadell en 1797, l'abbé Félix-Armand ne retrouva pas ce registre. Il ne le récupéra qu'en 1802, année où le nouvel évêque de Carcassonne, Mgr Arnaud-Ferdinand de la Porte, administra à Quillan le sacrement de Confirmation à tous les habitants de St-Martin-Lys qui n'avaient pu le recevoir à cause des troubles de la Revolution : et la liste en est fort longue. Ensuite, il n'utilise plus le registre : il en ouvre un neuf. La tradition dit qu'en 1848, les fideles de St-Martin-Lys cachérent ledit registre ancien et beaucoup d'objets. D'ailleurs, en février 1848, le curé de St-Martin-Lys, qui est l'ancien vicaire de l'abbé Félix-Armand, est bien malade : il meurt le 21 mars suivant. Et le registre est oublié jusqu'en novembre 1945.
La découverte, à l'époque, fit une certaine sensation dans la région. M. le chanoine Griffe et M. Pierre Embry s'y intéressèrent. M. Castella, maire de St-Martin-Lys, et Mme Briois, institutrice, le remirent aux Archives départementales en janvier 1946 : récépissé officiel fut délivré à la Mairie. Et depuis, il dort en paix, à l'abri, je suppose, de toute tribulation.
Laissons ce document et passons à d'autres informations concernant l'abbé Félix-Armand.
Il existe à St-Martin-Lys, une maison appartenant actuellement à une personne fort âgée, Mlle Thérésine Marcerou. C'est la maison paternelle. Cette maison existait au temps de la Grande Révolution. L'abbé Félix-Armand, sortant certaines nuits, de la grotte qui lui servait de refuge, venait y célébrer la messe en présence de quelques fidèles. Nous y voyons encore : la trappe par laquelle il s'introduisait, la pièce où il officiait, le réduit ou étaient dissimulés les objets du culte : le grand-père de Mlle Marcerou a bien connu l'abbé Félix-Armand : il fut d'abord son enfant de choeur, puis un de ses chantres.
Les habitants de St-Martin-Lys, les autochtones du moins, montrent les grottes ou se réfugiait l'abbé Félix-Armand : l'une est située à mi-hauteur de la falaise vertigineuse qui domine la rivière d'Aude : on peut s'y rendre par un chemin dissimulé : l'autre est située à 500 ou 600 m en amont du village, sur la rive droite de l'Aude, un peu en retrait : elle fut le refuge habituel de l'abbé Félix-Armand : elle avait été aménagée pour la célébration de la messe, l'arrière grand-père de M. Louis Marcerou y servit la messe à l'abbé durant la seconde Terreur.
A la sacristie de l'église du village, apposé sur la face intérieure de l'une des portes d'un meuble très ancien, se trouve le récit manuscrit de la mort et de la sépulture de l'abbé Félix-Armand, rédigé par son ancien vicaire, l'abbé Utéza, qui lui avait succédé à la cure de Saint-Martin. Il le rédigea peu de temps avant que la mort ne le frappât lui-même, en février 1848.
L'abbé Félix-Armand légua son avoir, très modeste, à un bureau de bienfaisance qu'il avait fondé à St-Martin. Il ordonna que ses meubles soient distribués aux familles du village. Il donna à l'un de ses chantres la grande pendule à balancier ; ce chantre était le sieur Angereau, grand-père de Mme d'Azemar. Dans l'antique maison, à la place d'honneur, se trouve toujours la vieille pendule.
La famille Fillet qui, depuis, a émigré à Quillan, détient le Dieu de l'abbé et 2 chandeliers. Les bahuts, buffets, armoires son revenus au presbytère, à l'ancien presbytère, ils sont maintenant la propriété de la famille Cassin.
La tombe de l'abbé Félix-Armand se trouve au cimetière de Saint-Martin-Lys. Le comte de Beaumont, préfet de l'Aude, et qui était aussi chevalier de Malte (nous le retrouvons en tant que préfet et en tant que chevalier de Malte à Campagne-sur-Aude, mêlé à une aventure assez mystérieuse), y fit apposer une belle plaque de marbre avec l'inscription suivante, oubliée de nos jours :
« Ici repose Félix-Armand, curé de ce village pendant 49 années. C'est lui qui le premier, rendit facile l'accès de ces montagnes. Sa charité fut son génie. Voyageur qui l'avez beni durant la route, saluez sa tombe en passant ». « Erexit lapidem gloriæ pastoris ». « Le comte de Beaumont, préfet ».
Félix-Armand est mort le 17 décembre 1823. Il était arrivé à Saint-Martin-Lys en 1774 ; l'année suivante, il avait entrepris la construction de la route. En mai 1781, il perça le roc à l'entrée des gorges, en aval (le Trou du Curé). Le 9 mai 1784, il reçut la visite de Mgr de Chantérac: il émigra avec son évêque le 1er septembre 1792, il revint en mai 1797 : il termina la route en novembre 1814 : il était né à Quillan le 20 août 1742.
A côté de la tombe de l'abbé Félix-Armand se trouve celle de son 2° successeur. Voici l'inscription : « Ci-git un juste, P. Pelofy, bien-aimé pasteur de cette paroisse, décédé le 30 janvier 1889. âgé de 76 ans. Il fut l'ami du pauvre et le consolateur des affligés. Priez pour lui. »
Aussitôt après, c'est la tombe du 1er successeur de l'abbé Félix Armand, et qui fut d'abord son vicaire. Voici l'inscription : « Michel Jerôme Utéza, curé de cette paroisse pendant 25 ans, décédé à l'âge de 60 ans, le 21 mars 1848 ».
Les 3 tombes sont soigneusement entretenues. Le 17 décembre de chaque année, des fleurs sont déposées sur la tombe de l'abbé Félix Armand ; et voici une autre caractéristique du souvenir laissé par le bienfaiteur du village, et je crois que, quelles que soient nos options philosophiques et religieuses, ce fait a une valeur de témoignage qui concerne la vitalité du souvenir : chaque année, les anciennes familles du village font célébrer une messe à la mémoire de leur ancien curé. Les habitants, - les autochtones, j'entends, - parlent encore de Félix-Armand avec une très grande vénération et rappellent à son sujet de nombreux et très intéressants épisodes de sa vie. Un touriste qui n'aurait jamais entendu parler de Félix-Armand croirait qu'il s'agit de quelqu'un décédé depuis au plus une dizaine d'années.
Autre fait qui, à mon avis, mérite d'être signalé : comme cela se faisait partout à l'époque, en cette première moitié du 19e siècle, l'abbé Félix-Armand organisait les processions dites « pour les fruits de la terre » : l'une d'entre elles avait pour but le champ dit « de l'église », au flanc du massif du Quirbajou, à l'ouest du village, sur la rive gauche de l'Aude ; nous savons par des documents qu'il existait là, au Moyen Age, une chapelle ; il n'en reste rien de nos jours ; elle était dédiée à Saint Pierre.
[Références : - Archives de l'abbaye de Lagrasse ; acte de l'année 780. — Archives du Vatican , année 898 ; donation de Charles le Simple à l'abbaye de St-Martin-de-Lez ; - Bulle du pape Agapet ; année 954, adressée à Ségarius, abbé de St-Martin-de-Lez ; année 955, relevé des confrontations du monastère ; année 1045, consécration de l'église abbatiale. - « Etude historique de St-Martin-Lys, par Henri de Fonds-Lamote, qui, au cours de séjours à Rome, prospecta les Archives du Vatican. Payra, éditeur, Toulouse. 1840. — « Recherches historiques », par l'abbé Lasserre, édition 1877.]
- Autre but d'une autre procession : en amont des gorges, une cinquantaine de mètres avant le point de départ de l'ancien sentier des gorges et du grand tunnel actuel, à gauche de la route actuelle, en venant de St-Martin, à l'emplacement d'un ancien oratoire dédié à St Jacques et d'un ancien abri pour les pèlerins (car nous sommes là sur une « Jacotte », venant de Cavirac et aboutissant à St-Jacques de Joucou, autre relais avant de continuer vers Compostelle). Les habitants de St-Martin y priaient pour les fruits de la terre et, chose remarquable dont je parlerai tout à l'heure avec détails, pour les « pauvres » Templiers. Nous retrouvons cette même expression au sujet des Templiers dans la région de St-Just, du Bézu, de Parahou, de Prugnanes. Je suis persuadé qu'il ne s'agit pas d'une allusion à une pauvreté matérielle, ce qui ne répondrait pas du tout à la réalité, mais au procès de 1307 et aux terribles épreuves subies par les malheureux membres de l'Ordre.
2.- Voici maintenant un deuxième groupe d'informations se rapportant à l'ancienne abbaye de St-Martin-Lys (de St-Martin-de-Lez).
Je ne retrace pas l'histoire de l'abbaye. Nous en connaissons l'emplacement ; là où se trouvait l'église abbatiale subsiste aujourd'hui un petit monticule de pierres, recouvert d'arbustes. Dans ces arbustes, on voit encore les restes d'un arceau. Cette église avait été consacrée en 1045, avec une grande solennité : l'évêque Guifred de Carcassonne était assisté des seigneurs de la région et des évêques de Toulouse, Elne, Urgel, Béziers et de l'archidiacre de St-Pons.
Les fondations des remparts subsistent ; le périmètre de l'abbaye fortifiée était d'environ 400 mètres ; les remparts ceinturaient toute cette étendue de terrain située sur la rive gauche du fleuve, en aval du village entre la haute falaise et la rivière, d'une part et, d'autre part, la route et la voie ferrée qui surplombent.
Ici, nous devons signaler un fait curieux connu dans le pays sous la dénomination : « les voix de St-Martin-Lys ». A l'emplacement de l'abbaye, certains soirs, à la tombée de la nuit, les paysans attardés dans leurs jardins, entendent des sons de cloche lointains, venant, semble-t-il de sous terre, et des chants d'église, semblables au chant des moines. Enfin, c'est une tradition bien établie que chaque année, dans la nuit du 15 au 16 août, et dans celle du 1er au 2 novembre, ceux qui se trouvent en ce même lieu, à l'heure des Mâtines dans les monastères, entendent ces mêmes sonneries de cloches, ces mêmes chants. Qu'y a-t-il de vrai dans ces récits ? L'enquête établit qu'il ne s'agit pas d'une mystification. Il y a hallucination individuelle ou collective, hallucination qui repose sur un phénomène naturel ; et M. Joseph Courtejaire, savant physicien, est beaucoup plus qualifié que moi pour en parler.
La tradition rattache cette manifestation mystérieuse de sonneries de cloches, de musique d'orgue et de chants à un fait historique : le terrible drame du 16e siècle. Dans la nuit du 15 au 16 août 1573, une bande de pillards, qui se disaient calvinistes, mais qui n'étaient pas plus calvinistes que catholiques, se présenta sous les murs de l'abbaye (qui, en réalité, n'était plus qu'un prieuré), après avoir franchi, avec un guide, sans doute, les très périlleux passages des gorges. La tradition dit qu'un traître avait laissé ouverte la poterne donnant sur la rivière. A l'aube du 16 août, ils égorgèrent les quelques religieux demeurés dans le prieuré et les habitants du village qui n'avaient pas eu le temps de fuir : - hommes, femmes et enfants. La tradition donne le chiffre de 200 victimes environ (remarquons qu'en 1789 il y avait près de 500 habitants à St-Martin-Lys). Après le massacre, ce furent le pillage et l'incendie. Le massacre avait eu lieu sur les bords de l'Aude, au lieu dit encore de nos jours « la plage » et les corps furent jetés à la rivière.
Les paysans - plus ou moins superstitieux - disent qu'une sorte de justice immanente veut, par cette manifestation, rappeler ce grand crime.
Peu de temps avant la Grande Guerre, un certain nombre d'hommes et de jeunes gens, une dizaine environ, entendirent ces voix, ces chants, cette musique d'orgue, au matin du 16 août 1913, vers 1 h 30. Parmi eux se trouvait M. Marcerou, dont la fille. Mlle Thérésine Marcerou, est encore en vie ; c'était un homme honnête, loyal, courageux ; au sujet de cette manifestation, il était absolument affirmatif. Qu'en penser ?
Il paraît certain qu'il s'agit d'hallucination collective ayant sa cause un phénomène naturel. Un ingénieur en chef des Chemin de fer, M. Ernest Cros, décédé en 1946, avait fait une longue expérimentation à ce sujet, n'hésitant pas, à plusieurs reprises, à passer la nuit sur l'emplacement de l'abbaye. Il attribuait ces manifestations à des phénomènes d'acoustique, causés par le déplacement des couches d'air quelques heures avant le lever du jour : les couches d'air chaud montantes et les couches d'air froid descendantes provoquent des sifflements dans les failles et les cheminées des parois, le phénomène étant plus ou moins intense suivant la différence de degré entre les couches d'air supérieures et inférieures. Il avait constaté lui-même le phénomène en d'autres nuits que celles du 15 au 16 août et du 1er au 2 novembre et reconnaissait que pour des personnes non averties, il y avait certes lieu à illusion. Il comparaît ce phénomène à celui de la grotte de Fingal, en Ecosse, où, toutefois, les harmonies musicales sont causées, non point tellement par le mouvement des couches d'air, mais par le clapotis des vagues sur les colonnes de basalte.
J'ai demandé à M. Joseph Courtejaire, docteur ès Sciences, chef de laboratoire à la Faculté de Toulouse, de bien vouloir faire une communication à ce sujet.
Revenons aux ruines. M. Pierre Embry s'indignait, comme nous tous, du vandalisme dont elles furent victimes au siècle dernier et au commencement de celui-ci.
Voici ce qu'écrivait à ce sujet, en novembre 1840, Henri de Fonds-Lamothe (revue « Mosaïque du Midi »):
« Vers le milieu, sur les bords du chemin et de la rivière, on aperçoit des ruines. Les yeux, fatigués de la vue de ces montagnes sauvages, se reposent avec complaisance sur ces ouvrages délabrés, qui indiquent le passage d'anciens hommes. Bientôt, les masures d'une église attirent votre attention : des pans de muraille couverts de lierre et de lambrasques, des arceaux à plein cintre, dépendant de l'église ou qui formaient un portique, des murs ras-de-terre qui vont se perdre dans les champs. une chétive maison, rajustée à ces débris et récemment réparée, qu'habite aujourd'hui une modeste famille : voilà tout ce que avez à observer. Que signifient ces pierres que l'art a amoncelées à coté de ces masses entassées par la nature ? »
En 1830, le baron Taylor [En fait Joseph-Antoine Cervini], parcourant la France, fit sur son album, un croquis des ruines de l'église abbatiale. Nous y voyons les restes importants de la façade est de l'église : au milieu, une grande porte d'entrée et, de chaque côté, 3 beaux arceaux à plein cintre. Un exemplaire de cet album est en possession de M. Henri Ribeill, de Collioure,
En 1877, l'abbé Lasserre décrivant les ruines disait ! « On voit encore au milieu des ruines du couvent, du coté du midi, l'arceau du sanctuaire et, dans la nef, il y a 4 ouvertures en voûte, du coté du couchant, où étaient des chapelles : l'ancien monastère est converti en champs ; le cimetière, où l'on a trouvé beaucoup d'ossements, était en deçà du choeur (les habitants se rappellent que 3 tombereaux d'ossements ont été portés au cimetière du village) : il y avait encore sur une montagne au levant, une chapelle de St-Michel, avec un cimetière.
Où sont passées ces ruines ? Où sont passées toutes ces vieilles pierres ? M. Cros avait fait une enquête : jai pu la reprendre après lui. Elles ont servi à faire des murs de soutènement dans le village ; elles sont passées dans la chaussée de la route ; elles ont formé le remblai de la voie ferrée et les parois du tunnel. Et, ce qui est vraiment surprenant et pénible, c'est que cette destruction a été consentie par des hommes qui avaient fait des études techniques très poussées : MM. les ingénieurs de la voie ; M. Cros, ingénieur en chef du réseau de l'Etat déclarait ne point connaître de protestation d'ingénieurs du réseau du Midi. Quant à lui, il se déclarait indigné ; et j'affirme que son indignation ne venait pas du fait qu'il n'appartenait pas au même réseau que les auteurs de la déprédation ; non, M. Cros aimait les vieilles pierres et défendit, durant sa vie, le patrimoine historique de notre pays.

Enfin, j'arrive à un 3° groupe d'informations :
A l'entrée des gorges de Pierre-Lys, en avant, donc en venant de Quillan. - nous trouvons, sur la rive droite de l'Aude, une petite localité. Cavirac, et son église, dédiée à St-Jacques le Majeur ; de l'autre côté de l'Aude se trouve Belvianes, l'antique Balbiennæ gallo-romaine, puis wisigothe.
Cavirac était situé sur une « Jacotte », autrement dit sur l'une des voies menant à Compostelle. Le souvenir du passage des pèlerins est resté très précis dans la région. Cette « Jacotte » venait de la vallée du Bezu, par la traverse du Moulin du Roc et le sentier qui traverse une partie de la forêt des Fanges.
Les pèlerins arrivaient à Cavirac, s'y reposaient et s'y restauraient, priaient St Jacques de leur faciliter le passage des gorges, franchissaient l'Aude sur une passerelle, située probablement à l'emplacement de la passerelle actuelle que je recommande aux amateurs de sensations fortes), passaient au pied de la citadelle de Belvianes (sur ses fondation a été bâti le château actuel très moderne, qui fut propriété de Madeleine Roch, de la Comédie française), et par l'ancien sentier dont il reste des vestiges, - la seule voie de communication que trouva Félix-Armand en 1774 ; ils passaient les gorges, tantôt grimpant sommets des falaises, tantôt descendant rapidement vers la rivière, le chemin était périlleux, très périlleux ; en arrivant à la fin des gorges, après le grand tunnel actuel, là où commence l'ancienne traverse de Quirbajou, ils trouvaient un autre oratoire dédié aussi à St Jacques, et un abri, et ils remerciaient l’apotre pour l'heureuse traversée des gorges. Si au retour de Compostelle, ils prenaient le même chemin, c'était l'inverse qui avait lieu.
Transportons-nous par la pensée en amont des gorges, à l'entrée du grand tunnel: nous sommes sur la route nationale Perpignan-Quillan. Si nous tournons le dos au village de St-Martin-Lys, nous avons à notre droite une esplanade établie par les Ponts et Chaussées, la voie ferrée, la rivière d'Aude; si nous traversons cette esplanade, nous arrivons au viaduc qui permet à la voie ferrée d'enjamber l'Aude, et nous nous trouvons à l'entrée du grand tunnel de Pierre-Lys à l'usage exclusif de la voie ferrée ; nous apercevons, à gauche du viaduc, sur la rive gauche de l'Aude et contournant extérieurement le grand tunnel de la route, la route creusée, à même le rocher, par l'abbé Félix-Armand ; la seule vue donne le vertige; que devait être l'ancien sentier ! Cet ancien sentier, réputé très périlleux, nous le trouvons à gauche du grand tunnel de la route; il est encore très visible; les facteurs desservant le village de Quirbajou l'ont utilisé jusqu'en 1938 ; à 300 mètres environ du point de départ, le sentier bifurque, allant à l'ouest vers Quirbajou et, au nord, vers les gorges.
Mais nous remarquons aussi sur notre gauche un tronçon de route abandonné, recouvert par une végétation abondante; ce tronçon a la forme d'un arc de cercle et rejoint, après 200 mètres environ, la route nationale, vers St-Martin-Lys; c'est l'ancien tracé ; cette portion de route a dû être abandonnée à la suite d'éboulements répétés et considérables ; le grand éboulement de 1910 décida l'Administration des Ponts et Chaussées à construire le tronçon actuel qui est parallèle à la voie ferrée et qui lui est limitrophe sur 200 mètres environ.
Voici une tradition concernant ce lieu, et qui s'est conservée dans les familles les plus anciennement établies dans le pays :
- une petite chapelle existait en ce lieu :
- elle était dédiée à St Jacques ; un abri lui était joint ; une « Jacotte » passait par là ;
- elle avait été offerte aux moines de St-Martin-Lys par d'autres moines, des « moines-soldats », qui se trouvaient dans la vallée du Bézu, à une vingtaine de kilomètres de là ; ces moines étaient venus du Roussillon, au temps où il y avait des rois à Perpignan ;
- elle fut démolie au temps des guerres de religion, en même temps que l'abbaye (donc en août 1573);
- la chapelle était petite, mais l'abri était assez grand : les pierres furent utilisées à St-Martin ;
- avant l'éboulement, on pouvait voir encore, parmi les pierres et les arbustes, des fragments de pierres, - de pierres paraissant avoir été brisées à coups de masse (peut-être s'agissait-il d'une seule pierre) portant des lettres.
M. Ernest Cros connaissait l'existence de ces fragments d'inscription, mais il ne venait à Quillan que lors de brefs congés : il avait eu l'intention de recueillir les fragments : le grand éboulement de 1910 devança la réalisation de son projet : mais il avait toutefois relevé les inscriptions.
J'ai connu à Quillan, en 1940. un facteur, du nom de Joseph Fillet originaire de St-Martin-Lys, qui, pendant près de dix ans, desservit, venant d'Axat, les communes de St-Martin-Lys et de Quirbajou, celle_ci par l'ancien sentier dont je parlais tout à l'heure : lui aussi avait relevé les inscriptions, sans toutefois les comprendre. Je me suis fait indiquer par lui l'emplacement exact des fragments, et donc, de l'ancien oratoire, Ils doivent être enfouis sous environ 500 m3 d'éboulis ; mais les glissements de terrain continuent.
Voici le relevé de ces inscriptions :
- sur un fragment, une date (l'indication est intacte):
« MCCLXXXV et 3 lettres EXT.
- sur un autre fragment où l'on remarquait un éclatement de la pierre :
FR IACOB DE OL RO
- sur un autre fragment, abimé aussi :
A DVN
M. Cros et moi-même avons interprété ainsi :
EXT= erexit; FR IACOB = frater Jacobus
DE OL RO= de Olero; A DVN = de Abeduno (1).
Ainsi en 1285, et je précise, grâce à d'autres documents concernant les Templiers du Mas-Déu, fin novembre ou courant décembre, certain frère Jacques d'Oler, du Bézu, fait ériger à ses frais un petit oratoire dédié à St Jacques.
Pourquoi ce don? J'ai adopté la supposition de M. Cros : leur présence indisposant ou étonnant le voisinage, les Templiers du Roussillon ont peut-être voulu se faire bien voir par une action pieuse et charitable ; St-Martin-Lys, comme Cavirac et le Bézu, étant sur le trajet d'une « Jacotte », les pèlerins parleront de la piété et de la charité des moines-soldats.

(1) M. Cros pensait se trouver en présence des fragments d'une même pierre, qui se trouvait sans doute au fronton de l'édifice. Il reconstituait ainsi l'inscription : « S. IACOBO - FR. IACOBUS - DE OLERO - PR. TEMPLI DVS - DE ABEDUNO - A. D. MCCLXXXV - EREXIT »

Qui était ce Jacques d'Oler templier ? Il se pourrait bien que ce fut Jacques d'Ollers, Jacobius d'Olerus, dans les actes des 13° et 14° siècles du royaume de Majorque, Maitre du Temple de Perpignan, Procureur royal de 1292 à 1307, pour les comtés de Roussillon et de Cerdagne.
Or, nous possédons le portrait authentique de ce Templier qui a
dirigé quelque temps, et peut-être établi lui-même une résidence de son Ordre dans la vallée du Bézu.
Ce portrait, et il s'agit de l'original, se trouve aux Archives départementales des Pyrénées-Orientales.
Les manuscrits des 12°, 13° et 14°siècles, du comté de Roussillon et du royaume de Majorque sont ornés de lettrines et de vignettes.
Tel est le cas du manuscrit B. 29. connu sous le nom de « capbreu » (papier terrier) d Argelès, et qui date de l'année 1292.
La miniature represente la prestation de serment un certain Amat Roquera. Nous voyons, à gauche, le roi de Majorque, assis sur le trône royal magnifique ; il porte la couronne royale et tient le sceptre de justice ; il le tient tout en gardant les bras croisés sur la poitrine ; le visage exprime finesse et distinction (Jacques 1er de Majorque était l'oncle maternel de Philippe le Bel) ; de chaque côté du dais se trouve une tête de lion ; les lions étaient l'emblème du royaume et, dans une
annexe du palais royal, on en gardait captifs un grand nombre.
- à droite de la miniature, nous voyons le procureur royal : il porte la barbe (la célèbre barbe des Templiers) et une coiffure assez étrange, qui rappelle celle des Parfaits cathares ; sur son épaule gauche est brodée la croix pattée du Temple ; il est assis sur un siège surélevé ; est enveloppé d'un ample manteau qui laisse voir cependant la coule blanche ; il tient l'Acte de propriété de la main droite et pointant index de sa main gauche, il désigne à Amat Roquera l'Acte de prestation de serment.
- à ses pieds sur un tabouret est assis le notaire ; il est occupé à tailler son « calamus » et tient sur ses genoux une feuille où il a déjà écrit « Amatus »
Frère Jacques d'Ollers, Maitre du Temple de Perpignan, était procureur royal en 1292 et le resta jusqu'en 1307. Il était très estimé de tous ; mais survint le grand drame qui dura d'octobre 1307 à 1314 ; les archives du diocèse d'Elne retracent les diverses étapes de sa fin tragique ; il mourut de douleur au Mas-Déu ; le Roi Jacques, les seigneurs, l'évêque d'Elne et le clergé du diocèse, le peuple, lui gardèrent toujours un souvenir de profonde estime. Il eut l'estime de Philippe-le-Bel lui-même !
Dans la charge de procureur royal, il avait eu pour prédécesseur 2 grnds seigneurs : Guilhemde Pau et Guilhem de Puig d'Ortha ; il eut pour successeur, et ceci est à noter, l'ami de Guillaume de Nogaret, le légiste Perpignanais Armal Volia.
Vous le voyez : sans être l'objet d'aucune hallucination, je pense avoir retrouvé à St-Martin-Lys un personnage rencontré bien des années avant dans la poussière des archives de Perpignan. En la fin de cette même année 1285 et dans les années qui ont suivi, Jacques d'Ollers, qui fut le templier le plus influant du Roussillon, est venu à plusieurs reprises dans le Fenouillède, le « Fenolhet » comme on disait alors et aux alentours. Il vint à [...], à Rabouillet, à [...], à Prugnanes, à [...]. Pourquoi ce Templier à la fois très bon et très habile n'aurait-il pas fondé lui-même à St-Martin-Lys cet oratoire et cet abris pour les pélerins ; c'était de bonne politique et de très bonne charité ; c'était probablement un moyen très commode de garder le contact de garder le contact avec la puissante famille des Aniort (2). Mais ceci, comme dit Kipling, est une autre histoire.

(2) Après la croisade, bien que les Aniort eurent été du parti cathare et quoique Castelport et fussent devenues forteresses royales, ils avaient réussi à conserver beaucoup de châteaux et de domaines : Rodome, Marsa, [...],ect
une branche de la famille d'Aniort, celle de Brenac, était alliée aux familles royales de France et d'Aragon


1Ressources Patrimoines de la région occitanie
2 Félix Armand, curé de Saint-Martin-Lys: sa vie et son œuvre de Louis Amiel (1859).

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