Cette page fait une revue de presse des articles consacrés à Félix Armand, son œuvre et à l'historique de la statue qui lui a été consacrée à Quillan, je fait un classement purement chronologique car les articles consacrés à la statue font généralement référence à sa vie et à son œuvre
Table des entrées de la page
Cet extrait assez court est le plus ancien que je connaisse mentionnant Félix Armand.
« Saint-Martin-de-Pierre-Lis, sur la rive droite de l'Aude, à mi-côte d'une très-haute montagne couronnée par la superbe forêt royale des Fanges, sur le bord du précipice au fond duquel cette rivière coule en torrent. C'est une petite commune dont la population est de 200 individus dans 42 maisons.
Le chemin qui conduit de Belvianes à Axat en suivant la rivière d'Aude, et qu'on nomme la Pierre-Lis, est comme pratiqué entre deux murailles d'une hauteur prodigieuse et formées par les montagnes. A l'une des extrémités de ce chemin se trouve une espèce de grotte qu'on appelle le Trou-du-Curé, pour conserver la mémoire du bon curé de Saint-Martin, M. Armand, qui l'a fait ouvrir, et qui consacrait tous les ans une partie de son temps et de ses faibles revenus à la réparation et à l'entretien de ce chemin extrêmement utile pour la communication des cantons de Quillan et de Roquefort."
LA CROIX D'HONNEUR ET LE BON CURÉ.
Lorsqu'après nos orages politiques le ciel redevint serein, ce fut une consolante apparition que celle de la Croix de la Légion-d'Honneur, cette radieuse étoile de toutes les gloires ; elle fut saluée avec amour comme un signe de beaux jours promis à la France.
Dans la création de l'ordre de la Légion d'honneur se révèle une des plus belles inspirations du génie de l'Empereur. I1 appartenait au grand homme de douner un même but à toute les nobles facultés des hommes, de marquer d'un même indice à la poitrine la vertu, l'intelligence, le courage. En accordant une même récompense à tous les mérites il voulut qu'elle brillât de toutes les splendeurs, il voulut que la croix du brave s'illuminât
du reflet de la croit du savant, il voulut que le respect qu'elle inspirait réunît toutes les vénérations humaines; il voulut former une seule famille de toutes les âmes généreuses, noblesse nouvelle dont le pauvre n'était pas exclu, et qui consacrait le véritable principe de l'égalité, de l'égalité qui élève et non de
l'égalité qui abaisse. Qui n'a été touché de voir la croix dont s'honoraient les grands de l'Empire, sur la poitrine d'un bon curé, d'une sainte fille de charité, d'un soldat mutilé ! Certes, la pensée qui présida à cette institution fut grande ; et puis, sublime inspiration, elle s'est gâtée, comme tout se gâte entre
les mains des hommes.
Napoléon avait bien compris le peuple français, peuple éminemment chevaleresque. On sait quelle fut longtemps la magie du ruban rouge qui fit éclore tant de jeunes courages. La vanité est notre passion dominante ; je veux dire cette vanité fécondé en belles actions, grande dans ses effets, qui se déguise sous le nom de l'amour de la gloire. Peu d'entre nous aspirent à l'immortalité, ce pain céleste dont se nourrissent quelques âmes privilégiées. Mais nous sommes tous plus ou moins sensibles aux doux triomphes de l'amour-propre, à une renommée honorable, aux distinctions méritées. Ne faisons pas les superbes, n'affectons pas des vertus de théâtre, nous ne serions qu'hypocrites ou ridicules. Nous sentons bien au fond de nous-même quelque chose des sublimes dévouemens puisés à une source divine, d'un amour instinctif de la patrie, d'un saint fanatisme, d'une
abnégation complète de nous ; mais pour une étincelle du feu sacré que nous avons dans le cœur, que de tisons qui brûlent sans flamme et nous emplissent de fumée. Oh! sans-doute, il serait beau d'aller à la mort, en n'écoutant qu'une voix religieuse de notre ame qui nous crierait : Pour la patrie ! Mais le temps d'une vertu si pure est trop loin de nous. Regrettons seulement le temps où les Français étaient heureux de se faire mutiler pour une croix, emblème de cette gloire que tant de gens prennent aujourd'hui en pitié, qui aimeraient mieux peut-être donner un de leurs membres pour son pesant d'or ; regrettons que le ruban rouge ait perdu son prestige, qu'il ne soit plus que le hochet de nos petites vanités, un agrément de la parure qui plaît à la
boutonnière d'un habit, comme une fleur dans les cheveux d'une femme.
Si une croix fut justement donnée pour honorer la vertu, ce fut celle qu'obtint le digne curé de St-Martin de la Pierre Lisse.
En remontant la rivière de l'Aude au-dessus de Quillan, après avoir parcouru dans leurs capricieux-détours les paisibles vallées qu'elle arrose, où les fruits abrités de tous les vents mûrissent si vite aux rayons d'un doux soleil, après avoir joui du spectacle de tant de jolis sites, de la forge de Quillan et sa montagne verte, du laminoir avec ses hautes cheminées en feu, du château pittoresque de Belviane, le regard accoutumé aux découvertes lointaines de ces charmans paysages, vient se briser tout-à-coup contre un mur immense de rochers que rien ne faisait pressentir, rempart infranchissable couronné de pins séculaires qui, ressemblant à de longues piques, atteignent et déchirent les nuages. Là finit brusquement la vallée ; à la vue de cette imposante barrière, l'imagination ne peut concevoir ce qui existe au-delà. Tel est du moins le tableau qui se présente à la sortie de Belviane, lorsque les montagnes des Fanges et de Quirbajou semblent mêler leurs forêts. Ce n'est qu'en venant toucher aux pieds de ces montagnes à pic, qu'on peut reconnaître qu'elles ont dû se séparer par un grand déchirement et qu'il s'est formé une sorte de large crevasse qui donne passage à la rivière. L'entrée de cette gorge est d'un effet admirable : à une grandeur sauvage elle joint le caractère religieux d'une église gothiqoe. Des rochers blancs s'élancent en aiguilles vers le ciel et lorsque le soleil en éclaire les pointes on les prendrait pour de gigantesques candélabres destinés à jeter la lumière dans les profondeurs de cette solitude. Après avoir fait quelques pas sur un chemin étroit mais solidement construit sur la rive gauche de la rivière, on arrive à une ouverture creusée en voûté dans le roc ; c'est là la porte du passage de la Pierre-Lisse ; en en franchissant le seuil je sentis ce frisson avant-coureur des sensations qui viennent bien
tôt vous assaillir. Tout s'offre grand et solennel au premier regard. C'est le torrent qui sort avec impétuosité de la montagne, se précipite dans un trou, passe sous vos pieds et vient mêler ses eaux écumeuses aux eaux rapides de l'Aude ; ce sont des massifs de pierre de 300 pieds de hauteur, où le plus petit arbuste n'a pu prendre racine, où l'air et l'eau qui rongent le fer n'ont laissé qu'une teinte grise du temps, sans pouvoir les entamer ; ce sont des grottes profondes, abymes inconnus qui ont leurs gueules béantes sur un abyme, et la rivière qui gronde et bouillonne, resserrée dans son lit, tantôt courant comme un torrent, tantôt tombant de chûte en chute comme une cascade, et la route si pittoresquement attachée au flanc de Quirbajou, fuyant et se perdant dans quelques, sinuosités et puis reparaissant toujours avec son air de calme et d'immobilité. On ne peut exprimer la foule d'émotions que l'on éprouve an milieu de ce désert accablé par la majesté muette qui de toutes parts vous enserre. Je n'avais que peu de temps a donner aux transports de mon admiration; je voyais avec inquiétude les cimes des rochers se tremper de la leinte pâle du soleil couchant.
J'aurais voulu voir le soleil passer au-dessus de l'abyme et embraser de ses feux la vapeur de ses eaux tumultueuses ; j'aurais voulu y voir descendre la molle clarté de la lune, j'aurais voulu surtout n'y être pas seul... Telle est l'impression que produit sur nous la vue de ces beautés éternelles de la nature, notre ame avide voudrait tarir la source des jouissances qu'elles nous donnent, et cette soif inapaisée nous cause une véritable souffrance.
Je quittais ces lieux à regret ; je devais arriver à Gincla avant la nuit. Je pressai les flancs de mon cheval et je parcourus au galop le reste du passage, bien résolu à ne plus m'arrêter. Je trouvai dans cette allure mille nouvelles sensations fugitives ; le bruit des pas précipités de mon cheval retentissait dans ce désert, et je fuyais rapide, cherchant à multiplier mes sens pour ne rien perdre de cette foule de spectacles successifs, et emportant des impressions pareilles à celles que nous éprouvons, lorsqu'à tire d'aile nous rasons la terre dans nos songes.
En sortant de la gorge, je retrouvai la vallée, mais triste, stérile ; je passai la rivière sur un mauvais pont en bois, et j'arrivai au pauvre hameau de Saint-Martin de la Pierre-Lisse, que je confondais de loin avec les pierres de sa montagne aride. Je ne fis que passer, et je fus touché de l'expression de tristesse, de douceur et de résignation que je remarquai dans les regards de quelques femmes, dont les grands yeux ressortaient sur leurs visages noircis par le charbon. Le premier homme que je rencontrai s'offrit à me servir de guide dans un chemin de traverse qui devait me conduire tout droit à Gincla. Comme nous suivions un sentier à peine tracé, je dis à mon guide : Ce chemin est bien incommode....
— Ah! si notre curé n'était pas mort, tout cela serait changé me répondit-il ; des hommes comme celui-là ne devraient jamais mourir.
Je regardai mon guide ; il n'avait pas l'air d'un cagot, sa physionomie était ouverte : je conçus une bonne opinion de son curé.
— Que voulez-vous, lui dis-je, c'est notre sort commun... Napoléon est bien mort... Jetant aux vents cette parole de consolation, ma ressource, à moi, dans mes afflictions.
— Ni l'un, ni l'autre ne devaient mourir, me répondit vivement mon homme ; et l'Empereur l'aimait bien, notre curé, c'est lui qui lui donna la croix d'honneur.
Ceci commençait à m'intéresser puissamment.
— Et qu'avait fait votre curé ? Question toute simple qu'on faisait autrefois de ceux qui avaient obtenu cette croix.
— Ce qu'il a fait ?... Tenez, voyez-vous de ce côté cette montagne, m'indiquant la montagne de Quirbajou ; elle est rude, je vous assure. Eh bien! si nous voulions manger un morceau de pain, il nous fallait la franchir deux fois par jour au moins, pour aller porter du charbon à la forge de Quillan ; car vous avez pu remarquer que cette terre ne donne pas un seul fruit, et que nous sommes tous charbonniers. Dans cette saison, comme vous le voyez, ce n'est rien ; il faudrait bien suer pourtant pour la traverser. Mais pendant l'hiver, quand cette montagne est couverte de neige, c'était bien pénible de grimper là haut, au risque de tomber dans un trou et de mourir de froid. Lorsque notre curé nous voyait revenir, avec les filles du village et les petits enfans qui avaient les mains rouges comme le sang, tout grelottans de froid, il nous regardait, les larmes aux yeux, d'un air si bon, il nous disait des paroles si douces, que cela nous réchauffait le cœur, et puis il donnait à l'un une paire de souliers, à un autre un pantalon ; il donnait tous les jours quelque chose pour nous vêtir. Ce n'est pas tout ; il méditait quelque projet depuis long temps; nous le trouvions toujours pensif sur les bords de la rivière, et il s'en allait souvent du côté de la Pierre-Lisse. Un jour, enfin, qu'il avait reçu quelque papier, il avait l'air tout content ; c'était un dimanche, il dit la messe comme à l'ordinaire, et après le prône il nous dit :
— Mes enfans, réjouissez-vous, vos peines vont finir, vous ne gravirez plus la montagne, vous pourrez aller à Quillan sans fatigue ; une route va s'ouvrir dans la Pierre-Lisse, mais c'est à nous à la commencer ; vous allez tous me suivre. Alors il descendit de la chaire, et chacun de nous voulait baiser sa robe, Il se mit à genoux et nous priâmes. Quand nous sortîmes de l'église nous étions pleins de force et d'ardeur ; nous primes tous un instrument et avec notre curé à la tête armé d'une pioche, nous allâmes à la Pierre-Lisse. Le roc fut entamé ; chaque jour quelques uns d'entre nous revenaient avec le curé, et le travail avança. Mais bientôt des ouvriers envoyés par le gouvernement vinrent à notre secours et cette jolie route que vous avez parcourue fut promptement achevée. Voilà ce qu'a fait notre curé, s'écria mon guide, avec émotion et une sorte de fierté.
— C'était en effet un bien digne homme, lui dis-je.
— Oh ! sans doute il a sa récompense dans le ciel ; mais il a eu le bonheur aussi avant de mourir de voir sa route finie, et de recevoir la croix-d'honneur. L'empereur voulait même le faire évêque ; mais le saint homme aima mieux rester avec nous qui l'aimions tous comme notre père. — Non, mes enfans, nous disait-il, je ne vous quitterai jamais... Mon guide s'attendrissait de plus en plus et sa voix était comme mouillée de pleurs.
— 11 me semble que je le vois, ajouta-t-il, assis devant sa porte avec ses grands cheveux blancs, son visage si bon, et sa croix d'honneur. Il mourut un jour comme cela, en souriant, un jour qu'il faisait beau et qu'il prenait le soleil. Sa tête s'inclina doucement sur sa poitrine avec un petit gémissement. Une femme qui le vit pâlir l'appela : Monsieur le curé. Il ne répondit pas. Elle toucha sa main, elle était déjà glacée.
— Monsieur le curé, dit-elle, en le secouant et en palissant elle-même ; il ne bougea pas. Alors elle jeta de hauts cris. Ah! mon Dieu ! notre bon curé ; ah ! mon Dieu ! au secours ! On accourut, on l'entoura, on lui frotta les tempes avec du vinaigre ; il était mort...
— Ce fut un grand malheur pour vous, dis-je, d un ton ému !...
— Oh! oui, ce fut un bien grand malheur! .. Et d'abondantes larmes coulaient de ses yeux. Nous arrivions à la bonne route ; je pressai affectueusement la main de mon guide, et nous nous séparâmes.
J.-L. Lugan.
Le même article est paru également en 1841 dans la même collection
l'article est le même que celui ci-dessus. Globalement ce texte sert de base au livre du même auteur de 1859 dont l'édition a servi à financer la statue de bronze de Félix Armand.
Portrait "amélioré" (avec médaille de légion d'honneur...) de Félix Armand
Cet article est quasi le même que celui publié dans le Portraits et histoire des hommes utiles
Je ne reproduis pas ici l'article qui me paraît trop long (voir le lien). Globalement ce texte sert aussi de base au livre du même auteur de 1859.
Cet article présente presque la même gravure de Félix Armand (avec la légion d'honneur) que celui ci-dessus.
Portrait de Félix Armand
L'article présente également une gravure d'église qui n'a aucun rapport avec la région et la mauvaise gravure voulant représenter la plaine de Belvianes et le Trou du Curé, seule spécificité originale...
Plaine de Belvianes et Trou du curé
C'est le plus ancien article que j'ai trouvé jusqu'à présent parlant de la souscription pour une statue à Félix Armand. C'est article indique le nom de celui qui organise cette souscription : Louis Amiel...
"Qui ne connaît la route qui serpente sur les bords de l'Aude à travers les gorges de la Pierre-Lys ? Il y a un demi-siècle, cette voie de communication n'existait pas et les habitants de vallées de St-Martin, d'Axat, du Roquefortès avaient une peine extrême pour arriver à Quillan. Les bois, les fers, les minerais ; les charbons qui alimentent les usines de cette dernière commune n'arrivaient à leur destination qu'après avoir franchi des précipices dangereux ; chaque années on y comptait quelque victime.
Un digne Curé de St-Martin, originaire de Quillan, consacra son intelligence, ses ressources pécuniaires, son crédit, sa vie même, à construire une route plus directe et plus sûre : c'est la route qui suit aujourd'hui toutes les sinuosités des gorges de la Pierre-Lys. Depuis la création de cette œuvre d'art, qui fait l'admiration des voyageurs, les populations disséminées dans le roquefortès circulent sans difficulté sur les bords de l'Aude ; les bains sulfureux d'Escouloubre sont devenus eux-même accessibles aux voitures de petite dimension. Tout cela on le doit à Félix ARMAND, au digne curé de St-Martin.
Il était juste que ce prêtre, inscrit désormais parmi les bienfaiteurs de l'humanité, eut, dans son pays natal, un monument qui éternisa sa mémoire. ce monument s'élèvera, il faut l'espérer. Et c'est à un homme de lettres de Quillan, à M. Louis Amiel, que sera due l'initiative d'une pareille pensée. une souscription a été ouverte ; il est probable qu'elle trouvera dans la générosité et patriotisme des population de l'Aude des ressources suffisantes pour être remplie.
La statue de Félix Armand sera en bronze ; elle s'élèvera sur une place de Quillan, à coté de la maison où naquit ce vénérable prêtre ; elle sera tournée vers les gorges de la Pierre-Lys, vers la route qui a servi à immortaliser son nom.
(Journal de Limoux)"1
L'article suivant organise la souscription à Carcassonne pour la statue à Félix Armand
CHRONIQUE DEPARTEMENTALE.
Nous avons annoncé dans notre dernier numéro, d'après le Journal de Limoux, qu'une souscription était ouverte à l'effet d'élever, sur la place publique de Quillan, la statue en bronze de l'ancien curé de St-Martin, Félix Armand, créateur du hardi passage de la Pierre-Lys, et bienfaiteur des contrées où il reçut le jour. Patronnée par la municipalité et le conseil de la commune de Quillan, cette souscription a pris faveur dans le pays, et se couvre de signatures. Les populations du canton et du Roquefortés trouveront dans l'érection du monument projeté, la digne expression de leur reconnaissance envers la mémoire de l'homme modeste, de l'homme de bien classé depuis longtemps au rang des bienfaiteurs du peuple, et dont la Galerie des hommes utiles et l'Almanach de France ont successivement publié la biographie.
Il n'est pas, dans le diocèse, un prêtre, dans le département un citoyen aisé, qui ne veuille, par son offrande, participer à la réalisation d'un projet si éminemment patriotique et moral. Notre concours, quant à nous, lui était assuré d'avance. Aujourd'hui que des statues s'élèvent de tous côtés pour honorer les diverses personnifications de la gloire militaire et les illustrations de la science et des arts, il est bien que le saint et modeste dévouement d'un curé de village, enfant du peuple, soit honoré à l'égal des grands talents et des plus hautes vertus.
Les souscriptions sont reçues, à Carcassonne, chez M. Pomiés, libraire, rue de la Mairie, n° 50.
Ce courrier polémique est quasiment repris intégralement dans la biographie de Félix Armand de 1859 de Louis Amiel2. Il pose plusieurs sujet de réflexions sur lesquels je m'étendrais dans la page vrac
Dans son rapport au Conseil général du département, session de 1857, M. le Préfet de l'Aude dit :
" La commune de Quillan a formé le projet d'élever un monument à Félix Armand, curé de St-Martin Lys, lequel après 39 ans d'efforts généreux, de dévouement et de prodigieuse persévérance, a réussi à créer dans les gorges inaccessibles de la Pierre-Lys, la première route praticable aux voiture. "
Le premier magistrat du département en demandant au Conseil général son intervention et son appui, annonce qu'il a confié au prélat qui administre le Diocèse de Carcassonne, la présidence d'une commission chargée de préparer et d'acquitter la dette de la gratitude publique envers un ministre de la religion qui fut l'apôtre du progrès et celui de la charité.
Le Conseil général en s'associant à la pensée de M. le Préfet relativement à la souscription pour le monument à élever à Félix Armand, renvoie à la session de 1858 le vote d'une somme à inscrire au budget départemental.
Il est donc à peu près certain que Félix Armand, ce bon, ce vénérable curé de St-Martin-Lys, obtiendra les honneurs d'un monument public dans la petite ville qui lui donna le jour, au milieu d'une population où la mémoire du saint prêtre sera à jamais impérissable.
Grâce soient rendues aux personnes qui les premières ont eu la pensée de faire décerner à la mémoire d'Armand, 34 ans après sa mort, un témoignage éclatant de la reconnaissance publique, lui, qui, de son vivant, n'acceptait qu'avec une modestie peu commune de nos jours, les éloges que lui adressaient les témoins de ses efforts et de son dévouement.
Parmi ceux qui ont essayé de donner de la publicité à l'œuvre de Félix Armand, on remarque M. Cros Mayrevieille, et, après lui, M. Amiel, attaché aux travaux historiques du ministère de l'instruction publique.
L'un et l'autre, en racontant ce qu'il y avait de vrai dans la vie du prêtre, véritable type de la charité chrétienne, ont avancé, comme faits certains, des anecdotes inexactes que je crois devoir rectifier, en faisant usage de preuves irrécusables, que je puiserai dans la correspondance intime et confidentielle d'Armand lui-même, qui m'honora de son amitié à compter de 1806 jusqu'à sa mort, survenue le 17 décembre 1823. Cette correspondance se compose de 18 lettres qui sont en ma possession et que je communiquerais si besoin était.
J'aurais gardé le silence, ainsi que je l'ai fait depuis l'année 1857, époque où M. Cros, sous le pseudonyme de M. P. de La Croix, publia sa notice sur la vie de Félix Armand. J'aurais gardé le silence dans mon humble retraite, s'il ne s'agissait pas de faits historiques dont l'exactitude, autant que possible, ne doit pas être altérée.
Après avoir conçu le projet gigantesque d'ouvrir un chemin muletier dans le défilé désert de la Pierre-Lisse ou Lys, le curé Armand dut s'occuper de l'essentiel, c'est-à-dire de la recherche des moyens pécuniaires indispensables à la mise en œuvre de son idée. Dans ce but, il employa d'abord ses faibles revenus, les plus minimes comparés à ceux des autres décimateurs du diocèse d'Alet. On a dit vrai en racontant que tous les ans, pendant la belle saison et la tenue des conférences ecclésiastiques dans la ville épiscopale, Armand faisait appel à la charité bien connue de son évêque, Mgr de La Cropte-de-Chanterac ; mais ce prélat avait beaucoup de misères à soulager dans les montagnes qui de Quillan aboutissent au pays de Sault, au Roquefortès et au Donazan, vers Quérigut.
L'entretien suivant eut lieu quelques années avant 1789, entre Monseigneur et le curé Armand :
« Eh bien ! mon cher curé, comment vont vos paroissiens ? — Fort mal, monseigneur ; vous le savez, St-Martin est la paroisse la plus misérable de votre diocèse.
— Que faudrait-il pour secourir vos paroissiens ? — Un chemin, monseigneur, un chemin. - Mais ce chemin est impraticable, dit-on, et exigerait des sommes considérables. — Je m'en charge, si on me donne quelques mille livres ; je commencerai, d'autres achèveront. »
Alors le prélat, ayant pris dans sa poche une bourse, dit à Armand : « Je veux vous aider dans votre entreprise, tenez, et glissant dans la main droite d'Armand un louis d'or (24 francs), puis un second, un troisième, un quatrième, il dit Est-ce assez ? — Continuez, Monseigneur, puisque vous y êtes, » et le prélat continua à compter cinq, six, sept, quand Mlle de Chanterac, placée à côté de son oncle, pinça la soutane du bienfaiteur, qui eut besoin de cet avertissement muet pour serrer les cordons de sa bourse.
Les ressources de cette nature ne se renouvelaient que fort rarement, ce qui ne permettait au bon Curé que des travaux toujours utiles, mais presque inaperçus.
La révolution de 89 étant survenue, nul ne s'occupa du chemin de la Pierre-Lys, Le curé Armand, ayant refusé le serment exigé de tous les ecclésiastiques par la loi de 1791, fut forcé de s'expatrier pour éviter les rigueurs de celle de 1792.
Entré en Espagne à la suite de son évêque, mort à Sabadell, près Barcelonne, Armand revint, à la sollicitation de ses paroissiens, non pas sous le régime de la Convention, c'eût été trop dangereux (Le martyre de l'abbé Beille, de Roquefeuil, exécuté à Carcassonne le 3 ventôse an II, en est une preuve qui ne s'effacera pas de longtemps), mais seulement à l'époque du Directoire, en mai 1797, peu de temps avant le coup d'État du 18 fructidor an 5.
Le calme rétabli en France par l'avènement du Consulat, en 1800, Armand rentra dans son ancienne paroisse de Saint-Martin toujours pauvre, et reprit ses habitudes du pic et de la truelle ; mais à quelles portes aller frapper ? toutes les sources de la charité étaient taries. Armand se bornait à des vœux stériles, et ne cessait d'explorer les sites sauvages fréquentés par les ours. C'est là qu'on l'apercevait souvent le bréviaire sous le bras et la toise
à la main, qui lui servait de canne.
Le clergé, par le concordat de 1801, redevenu ce qu'il devait être, Armand, succursaliste, sacrifia son modifique traitement de 500 francs à la continuation du chemin.
Le désintéressement, mais plus encore le dévouement du saint prêtre furent signalés à Mgr de La Porte, évêque de Carcassonne, qui en entretint M. Georgest, ingénieur en chef des ponts et chaussées, auprès duquel, pendant 15 ans, j'ai rempli les fonctions de chef de bureau. Cet ingénieur, membre de plusieurs Sociétés savantes, le second ou le troisième ingénieur en chef du corps impérial qui fut décoré, voulut connaître Armand. Une entrevue eut lieu chez M. Varnier, propriétaire, fondateur de la belle forge de Quillan, appartenant aujourd'hui au petit-fils du baron de La Rochefoucauld, pair de France avant 1830, qui la tenait lui-même des héritiers du maréchal Clauzel.
En se voyant, l'ingénieur et le prêtre se comprirent facilement. A partir de ce moment, Armand reçut presque tous les ans sur les fonds affectés par le budget départemental aux travaux de la Pierre-Lys, une somme de 500 francs, quelquefois 800 francs, rarement 1000 francs. Il fallait sur ces allocations prélever environ 300 francs pour le salaire d'un cantonnier, en sorte qu'il ne restait pour les maçonneries ou l'escarpement des rochers que 200, 500 ou 700 francs. Avec ces faibles ressources, Armand, en choisissant le temps opportun, faisait exécuter par régie des travaux qui, par adjudication, eussent coûté dix fois plus.
Les travaux de la Pierre-Lys furent ainsi entrepris et continués de 1806 à 1814 par les soins et uniques efforts du curé Armand, sans l'intervention d'aucun agent des ponts et chaussées, l'ingénieur en chef s'étant à cet égard assuré de l'adhésion tacite du baron Trouvé, alors préfet du département. Mais ce mode, adopté pour économiser les fonds de l'État, fut dénoncé méchamment comme irrégulier et suspect à M. Molé, directeur général des ponts et chaussées. Cet administrateur ordonna une vérification minutieuse de la comptabilité, et la confia à M. Caron, inspecteur divisionnaire. Les comptes furent vérifiés et trouvés, sinon réguliers en ce qui concernait la Pierre-Lys, du moins d'une exactitude parfaite quant aux dépenses payées. C'est à cette occasion qu'Armand m'écrivit cette lettre :
« Saint-Martin-Lys, 27 juin 1813.
« Mon cher Monsieur,
« Je me hâte de répondre à votre lettre, que je reçus hier au Soir, et vous envoie les reçus (Au nombre de cinq pour une somme de 4200 Fr.,exercices 1810-11-12 et 1813) que vous me demandez. Sans doute qu'ils fermeront (ces reçus) la bouche à l'ennemi de tout bien, et s'il y a encore un fripon, ce sera moi ; mais je suis prêt à rendre compte de l'argent que j'ai reçu et de l'emploi que j'en ai fait. On ne verra pas que dans mes comptes il y ait un sol à mon profit. Quand on n'a rien à se reprocher, on à être tranquille sur la calomnie, qui ne fait qu'augmenter le mérite qu'on a devant Dieu et les honnêtes gens du bien qu'on a fait pour les autres.
« Je verrai avec plaisir M. Georgest et vous aussi. Je crois nécessaire que vous veniez, afin que vous puissiez repousser avec connaissance de cause le dire des méchants. Je vous prie de m'avertir huit jours à l'avance ; je pourrais être absent, et je veux aller vous prendre à Belvianes ou à Quillan.
« ARMAND, curé. »
(suite dans le journal du 19/12/1857)
Le chemin de Quillan au Roquefortès, ayant environ 25 kilomètres de longueur, n'aurait pu obtenir des allocations sur les fonds des ponts et chaussées, s'il n'avait été classé parmi les routes départementales. Aussi ce chemin fut-il compris au tableau des routes départementales, sous le n° 17, non pas en 1821, comme le dit M. Cros, mais bien le 7 janvier 1813 (Moniteur, n° 20, 1er supplément), sur la proposition spéciale du Conseil général du département, exprimée dans sa délibération du 8 mai 1812, session extraordinaire. Tenant la plume auprès de ce Conseil, j'ai en ma possession la minute de cette délibération que je rédigeai alors.
A compter de 1815, après le retour des Bourbons, le budget annuel du département dota sur une base plus large le service des routes départementales, qui d'année en année a obtenu des sommes considérables sur les fonds facultatifs et sur le produit d'une imposition spéciale perçue depuis 1826.
La route du Roquefortès a obtenu de fortes allocations qui ont permis aux ingénieurs de continuer les travaux commencés ou projetés par le curé Armand, lequel depuis 1820 se borna à donner des conseils, toujours acceptés avec reconnaissance et rarement modifiés ; c'est ainsi que ce chemin fut dirigé parallèlement à la rive droite de l'Aude, à partir du pont d'Axat jusqu'au pied du Cap de Bouc, et qu'on pratiqua l'ouverture d'une voie de 2 à 3 mètres de large avec parapet, dans les gorges de Saint-Georges, afin de gravir ce cap en le contournant par une pente de cinq centimètres par mètre. Cette largeur a été ainsi limitée dans l'intérêt exagéré de la zone militaire, par la Commission mixte des travaux publics.
Pour faciliter le passage simultané des voitures suivant une direction opposée les unes des autres, on a établi une double voie dans des gares pratiquées sur divers points de la route, gares dont le nombre est insuffisant.
De pareils services ne pouvaient, ne devaient pas être récompensés par une distinction ecclésiastique. Armand était trop âgé pour être vicaire général. Il eût obtenu un canonicat s'il eût voulu quitter le presbytère qu'il habitait depuis 40 ans. Rien ne pouvait le séduire ni le distraire des louables habitudes de toute sa vie. On eut l'idée de demander pour lui, et à son insu, l'étoile de la Légion d'honneur.
M Cros affirme que par une lettre du 10 juillet 1823 la chancellerie avertissait Armand, que la croix de la légion d'honneur venait de lui être accordée par le roi, et qu'à la première promotion de chevaliers, elle lui serait officiellement conférée.
Il est bien surprenant que le grand chancelier ait adressé un pareil avis resté sans effet et que la lettre officielle n'ait pas été trouvée parmi les papiers du défunt.
Si, à cette occasion, feu l'abbé Utéza, rappelant ses souvenirs, a donné comme fait certain ce qui n'était qu'une promesse, ce ne peut être qu'une interprétation erronée.
Laissons parler Armand.
« St-Martin-Lys, 27 septembre 1823.
« Mon cher Sabatié,
« Le surlendemain de votre départ de Saint-Martin (note Sabatié : ce fut le 24 septembre que M Angellier, préfet du département, non M. de Beaumont, comme le dit M. Cros, fit une visite au vénérable vieillard ; j'étais du voyage, avec MM. d'Aubergeon frères Alexandre Guiraud, etc.,) , je reçus du ministre de l'intérieur une lettre dans laquelle il dit :
« Monsieur, Je n'ai point perdu de vue votre demande ni vos titres pour la décoration de la Légion d'honneur, mais le petit nombre de croix que mon département avait à répartir entre des hommes dont les services ne pouvaient rester plus longtemps sans récompense, ne m'a pas permis de vous comprendre dans la promotion qui a eu lieu. Je saisirai avec plaisir les nouvelles occasions qui pourront se présenter de solliciter pour vous, de Sa Majesté, la faveur que vous ambitionnez.
« Agréez, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.
« Le Ministre de l'intérieur,
« CORBIÈRE. »
« Voilà exactement le contenu de la lettre que je n'ai ni demandée, ni ambitionnée, qui en est l'auteur ? je l'ignore totalement ; si j'avais l'honneur de la connaître, je me ferais un devoir de lui en témoigner ma reconnaissance.
« Toute mon ambition dans le travail que j'ai fait faire pour le chemin, mes peines, mes dangers n'avaient pour motif que le bien du public et celui de mes paroissiens. Ni récompenses, ni faveurs, ni honneurs ne sont jamais entrés dans mon esprit. La gloire de Dieu, et le bien du prochain, voilà mon ambition.
« Je vous renouvelle, mon cher, etc.
« ARMAND, Curé »
Voilà donc ce vénérable vieillard qu'on a décoré ou voulu décorer !
Surpris moi-même, du style de la lettre ministérielle, j'en informai M. le baron de Larochefoucauld, (La Rochefoucauld - propriétaire de grandes forêts dans ces montagnes, et digne appréciateur du curé de Saint-Martin - note Amiel) qui m'expliqua l'énigme.
Etant, me dit-il, chez le Ministre de l'intérieur, je lui demandai la croix pour le bon curé, M. de Corbière me répondit, si je pouvais disposer de celle que j'ai à ma boutonnière, je vous la donnerais ; je me rappelerai de votre demande.
Ce fut donc à la sollicitation de M. de Larochefoucault, et non d'Armand lui-même, que la croix fut promise.
MM. Cros et Amiel affirment dans leurs notices, l'un que Napoléon 1er, l'autre que Louis XVIII avaient adressé à l'humble curé, chacun une lettre de félicitation accompagnée d'un bon sur le trésor.
Recevoir des autographes et de l'or de puissants monarques est une si grande et si rare faveur, que ceux qui sont assez heureux pour en être l'objet se font un honneur d'en informer le public. Armand, d'ailleurs, n'aurait pas manqué aux convenances, et si les lettres des souverains de l'époque lui étaient parvenues, il se serait empressé de les communiquer à son évêque, à M. le préfet et à l'ingénieur en chef du département.
Bien loin de là, Armand a gardé le silence ce qui prouve que MM. Cros et Amiel se sont trompés, en signalant le fait qu'ils ont bénévolement raconté. Ces lettres, au surplus, n'ont pas été trouvées parmi les papiers d'Armand.
En terminant cette notice que j'aurais voulu abréger, je fais des vœux pour que le projet de monument proposé par les habitants de la contrée dont Quillan est le centre et accueilli par l'administration départementale, soit bientôt réalisé, autant pour acquitter la dette de la reconaissance envers le saint prêtre, que pour inspirer les sentiments si nobles, si désintéressés d'Armand à ceux qui voudraient l'imiter.
SABATIé, Ancien chef de division à la Préfecture de l'Aude, en retraite
Carcassonne, le 1er décembre 1856 (?!)
Dans cette réponse de Louis Amiel à M Sabatié, Louis Amiel apporte ses propres éléments qui l'ont convaincu sur l'existence d'une donation par Napoléon et de l'existence de la Légion d'Honneur
L'idée d'élever un monument à la mémoire de Félix Armand, ancien curé de St-Martin-Lys, étant aujourd'hui sous le patronage des autorités départementale et diocésaine, sa réalisation est assurée pour une époque prochaine quoique encore indéterminée.
Nous croyons conséquemment devoir accueillir la lettre suivante qui nous est adressée de Paris et qui discute l'exactitude de certaines particularités connues dans les articles biographiques publiés par le Courrier de l'Aude, en décembre dernier.
Paris, ce 15 février 1858
Monsieur le Rédacteur,
Dans votre journal du 19 décembre dernier M. Sabatié, ancien chef de division à la préfecture de l'Aude, relève quelques erreurs de la biographie de Félix Armand qui fut publiée en 1838, dans le Recueil des hommes utiles de M. Jarry de Mancy professeur au collège Bourbon (aujourd'hui Bonaparte).
Parmi ces erreurs, il en est une surtout qui si elle était fondée, impliquerait une grande légèreté tant de ma part que de celle de M. Cros-Mayrevieille, que M. Sabatié prend aussi à partie, car la notice de M. Cros, écrite avant la mienne, m'a servie de guide.
« MM. Cros et Amiel, dit M. Sabatié, affirment dans leurs notices, l'un que Napoléon 1er, l'autre que Louis XVIII avaient adressé à l'humble curé, chacun une lettre de félicitation accompagnée d'un bon sur le trésor.
« Recevoir des autographes et de l'or de puissants monarques est une si grande et si rare faveur, que ceux qui sont assez heureux pour en être l'objet se font un honneur d'en informer le public. Armand, d'ailleurs, n'aurait pas manqué aux convenances, et si les lettres des souverains de l'époque lui étaient parvenues, il se serait empressé de les communiquer à son évêque, à M. le préfet et à l'ingénieur en chef du département.
« Bien loin de là, Armand a gardé le silence ce qui prouve que MM. Cros et Amiel se sont trompés, en signalant le fait qu'ils ont bénévolement raconté. Ces lettres, au surplus, n'ont pas été trouvées.
La conclusion est un peu vive : D'abord je n'ai point parlé dans ma biographie d'un bon sur le trésor, mais d'un bon sur leur cassette particulière que Napoléon 1er et Louis XVIII auraient adressée au curé de St-Martin. La cassette n'a aucun caractère officiel. Il est loisible à de grand monarques de faire leurs munificences sans les publier, comme rien n'oblige celui qui les reçoit, d'en donner avis à M. le préfet ou à l'ingénieur en chef du département. Ce peut être un oubli fâcheux, mais point une inconvenance.
Au demeurant, l'objection de M. Sabatié est tellement juste, que je me l'étais déjà faite à moi-même, ou plutôt à la biographie de M.Cros, quand j'entrepris de faire la mienne. Le seul homme à cette époque qui pu lever mes doutes, était le digne abbé Utéza qui, après avoir été le coadjuteur préféré de M. Armand, son familier le plus intime durant les dernières années de sa vie, lui succédant à la cure de St Martin. J'ai entre les mains la lettre qu'il écrivit à un de mes parents en réponse à la mienne, et dont je vais détacher quelques passages, qui, s'ils ne détruisent pas les objections de M. Sabatié, les infirment de beaucoup.
« La lettre que M. Armand reçut de la chancellerie, dit M. Utéza, environ six mois avant sa mort, annonçait qu'on lui décernait la croix d'honneur, je l'ai conservée pendant plusieurs années, et lorsque j'en ai eu besoin, je ne la trouvai pas. M'ayant chargé de la décacheter, je lui dis qu'on lui accordait la croix d'honneur. « La croix d'honneur! croix d'honneur ! répondit M. Armand ; j'en attends une bien plus glorieuse ! » Il était cependant encore bien portant. Quant à la lettre de Napoléon, je ne l'ai pu trouver, sans doute M. Armand dut la céder à quelqu'un de ses amis, qui la garda. M. Armand la lut à ses paroissiens, puisqu'eux-mêmes m'en ont assuré, et qu'ils retinrent cette phrase si admirable : « La monnaie, dans vos mains, se change en or massif, en lui envoyant un bon sur sa cassette, comme je le dis à M. Amiel. On savait aussi à Quillan que l'Empereur lui avait écrit. ect. ect. »
Et plus loin reprend encore M. l'abbé Utéza :
« La lettre était écrite par Napoléon à M. Armand : vous pouvez être persuadé, comme je le suis, qu'un homme aussi distingué par ses mérites, ses vertus et son caractère, n'aurait pu se porter à dire une chose fausse de cette nature. M. Armand avait des aboutissants à Paris, comme les plus grands personnages, et ceux-là mêmes durent faire connaître à Napoléon, le génie et le mérite de ce digne prêtre. ect. ect. »
Je craindrais d'abuser de votre bonté, M. le Rédacteur, en prolongeant mes citations.
Quoi qu'il en soit, voilà deux affirmations en sens contraire faites par deux hommes également honorables, et tous deux administrateurs et amis de M. Armand.
A qui croire ? Admettons que M. Sabatié ait raison ; ni Napoléon 1er, ni Louis XVIII n'ont écrit au curé de St-Martin. En quoi la gloire de ce dernier sera-t-elle diminuée ?
La route de la Pierre-Lys, qu'il a tracée dans un de ces escarpements grandioses, qui témoignent encore des convulsions primitives de notre planète, n'est elle pas devenue une grande artère qui fait refluer la vie jusqu'aux dernières et chétives populations perdues sous la neige des Pyrénées ? Où les chèvres ne s'aventuraient naguère qu'en tremblant, les voitures ne roulent-elles pas aujourd'hui ; le grain de senevé de la parabole n'est-il pas devenu le grand arbre où s'abritent les oiseaux du ciel ?
Quelles distinctions honorifiques des rois de la terre seraient à la hauteur d'une telle œuvre inspirée et soutenue par la foi qui a soulevé le monde ?
Je ne vois pour ma part qu'un seul moyen de sortir de là, c'est de publier dans la réédition de ma biographie de 1838, qui sera bientôt sous presse, et l'article de M. Sabatié, et la lettre du digne abbé Utéza. Entre ces deux assertions également respectables, le public jugera.
Quelle que soit sa décision, elle ne saurait infirmer la gloire de celui qui en est l'objet. Et comme vous le dites vous-même, M. le rédacteur, c'est un insigne honneur pour l'administration, tant civile qu'écclésiastique, d'avoir pris sous son haut patronage la souscription si généreusement ouverte par la ville de Quillan pour ériger un monument à la mémoire de cet homme de Dieu, né dans son sein.
L'appel que vous faites en cette occasion à vos concitoyens ne fait pas moins d'honneur à votre intelligence qu'à votre cœur.
Ce que je ne puis m'expliquer, c'est que M. Sabatié ayant eu plus de vingt ans pour relever l'erreur biographique de M. Cros, bien antérieure à la mienne, ne se ravise qu'au moment même où l'administration rend un si glorieux hommage à la mémoire de son ami M. Armand, et quand M. l'abbé Utéza, qui est mort curé de St-Martin dans les premières années de 1830, je crois, ne peut plus lui répondre.
M. Sabatié a-t-il voulu seulement, et par scrupule de conscience, rompre une lance en faveur de la vérité ; mais toutes les vérités dans ce monde, sans la charité qui est de tous les temps et de tous les lieux, sont subordonnées à l'à-propos. C'est là leur grâce souveraine.
Recevez, je vous prie, monsieur le rédacteur, les félicitations cordiales de vôtre humble serviteurs.
L. Amiel.
Fin de l'échange polémique entre Sabatié et Amiel - Sabatié maintient ses positions sur 2 points, absence de courrier de Napoléon et Louis XVIII, et l'absence de croix de la légion d'honneur en apportant la preuve sur ce dernier point.
Carcassonne le 26 février 1858
Monsieur le Rédacteur,
Soyez assez bon pour insérer dans votre journal ma réponse aux observations faites le 15 de ce mois par M. Amiel, attaché aux travaux historique du ministère de l'instruction publique, à l'occasion de la notice Biographique sur Félix Armand, curé de St-Martin-Lys.
M. Amiel, tout en donnant des preuves de son érudition, trouve extraordinaire que j'ai contredit l'exactitude des faits publiés par lui-même en 1850 après ce qu'avait écrit M. Cros-Mayrevieille en 1837.
Ces faits sont : 1° que Félix Armand reçu dans le temps deux lettres autographes, l'une de Napoléon 1er, l'autre de Louis XVIII, contenant chacune son bon sur leur cassette.
Que la croix de la Légion d'Honneur lui fut décernée par Louis XVIII, le 10 juillet 1822 (non 1823)
Voici ma réponse :
J'ai dit et je soutiens qu'Armand était trop bien élevé pour manquer aux convenances que lui imposaient la reconnaissance et l'amitié. Si ce vénérable prêtre eût reçu des lettres et de l'argent de la part de ces deux souverains, il en eût informé ceux qui le soutenaient, l'encourageaient dans ses bonnes œuvres et son entreprise gigantesque ; eh ! d'ailleurs qui ne sait que lorsque les souverains adressent des secours puisés dans leur cassette, ce ne sont pas des bons qu'ils font insérer dans leurs lettres, mais des espèces qu'ils envoient. Ces lettres qui les a vues ? Personne : Le doute est donc permis.
J'ai dit encore que la croix de la Légion d'Honneur avait été promise à Félix Armand qui ne l'avait jamais demandée, ni même désirée, mais qu'elle ne lui avait pas été donnée.
J'étais en droit de m'exprimer ainsi, car si Armand avait reçu la décoration après sa lettre du 27 septembre 1822, il aurait eu le soin de m'en informer.
Mais tous les doutes, tous les raisonnements doivent disparaître ; il faut s'incliner devant le contenu de la lettre que j'ai reçue aujourd'hui de la grande chancellerie en réponse à la mienne du 21 de ce mois.
Paris, le 24 février 1858.
« En réponse, Monsieur, à la lettre que vous m'avez adressée le 21 de ce mois, je vous informe qu'il résulte des recherches qui ont été faites dans mes bureaux, que jusqu'à ce jour il n'est parvenu à la grande Chancellerie aucun décret de nomination dans la Légion d'Honneur, en faveur de M. l'abbé Félix Armand, curé de St-Martin-Lys (Aude), et que ce nom est inconnu comme appartenant à un membre de l'ordre.
« Recevez, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.
Pour le grand Chancelier,Le Secrétaire général MAIZIÈRE.
A M. Sabatié, ancien chef de division à la préfecture de l'Aude.
Vous me faites le reproche, monsieur Amiel, d'avoir gardé le silence à ce sujet depuis la publication de M. Cros en 1837. Veuillez vous donner la peine de relire ma notice, vous y trouverez que j'ai rompu le silence parce qu'il s'agissait de faits historiques dont l'exactitude, autant que possible, ne doit pas être altérée.
Nul de tous ceux qui me connaissent, n'aura la pensée, qu'en relevant des erreurs, bien innocentes sans doute, j'ai voulu rapetisser, les grands services rendus à son pays par mon vénérable ami. On dira partout et toujours que les services d'Armand méritèrent une récompense éclatante. Ce que j'ai entrepris de faire, après mûre réflexion, c'est d'empêcher, qu'à l'égard d'Armand, on fit mentir l'histoire, en modifiant sur la statue à élever à sa mémoire la croix d'honneur qu'il a bien méritée, mais qu'il n'a pas obtenue.
La vérité historique ainsi établie, contrariera peut-être l'éditeur de l'almanach de France pour 1850 qui a placé en tête de la notice sur Armand, une caricature de vieux prêtre décoré. L'absence de décoration sur l'image d'Armand ne sera pas un motif pour que le voyageur passant devant le monument projeté ne s'incline devant le saint prêtre dont la mémoire sera toujours bénie.
Sabatié ancien chef de division à la préfecture.
Après l'accord obtenu de l'Etat pour l'érection d'une statue pour Félix Armand, formation d'une commission et désignation des membres pour assurer la collecte des fonds nécessaires.
Chronique Départementale.
M. le Préfet aura l'honneur de recevoir le mercredi 6 janvier et les mercredis suivants.
Le dernier numéro du Recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Aude contient un arrêté de M. le Préfet, que nous reproduisons en entier. Cet arrêté institue une commission chargée, sous la présidence de Mgr. l'évêque, de centraliser toutes les mesures propres à assurer l'érection d'un monument en l'honneur de Félix Armand, curé de St-Martin-Lys. Dignes interprètes des vœux émis par une population reconnaissante, l'autorité administrative et ecclésiastique prennent ainsi sous leur patronage une œuvre destinée à perpétuer parmi les générations futures la mémoire de l'homme de bien, modeste mais héroïque personnification des merveilles que peut enfanter le génie du dévouement et de la charité chrétienne. A une époque comme la nôtre où l'art a reçu la patriotique mission de glorifier par la peinture, le marbre ou le bronze tout ce qui a laissé un souvenir digne de l'admiration ou de la reconnaissance publique, les villes, les bourgs, les campagnes se disputent à l'envi l'heureux privilège d'illustrer, par des monuments durables, les pages de notre chronique nationale. Animées de cet esprit rémunérateur, toutes les parties du département de l'Aude voudront concourir à l'œuvre populaire dont l'initiative revenait naturellement aux contrées mêmes que le génie persévérant du curé de St-Martin a rachetées de l'isolement et où sa mémoire est toujours vivante. Le prochain appel de la commission pour dresser un piédestal au saint prêtre qui, sous l'inspiration de son dévouement à ses pauvres paroissiens, devint l'ingénieur de la Pierre-Lys, sera donc entendu. Un monument durable éternisera le souvenir de cette touchante histoire qui, à cinquante ans d'intervalle, apparaît presque comme une légende, et Félix Armand aura sa statue non loin des lieux qui conserveront à jamais l'empreinte ineffaçable de son génie.
CH. SÉGLEVESSES.
Nous MAÎTRE DES REQUÊTES. PRÉFET de L'AUDE, chevalier de l'ordre impérial de la légion d'honneur.
Vu les délibérations prises par le conseil municipal de Quillan, le 16 novembre 1849, le 26 décembre 1852 et le 13 février 1853, dans le but de préparer, sous la haute protection de l'Etat, l'érection d'un monument à Félix-Armand, curé de St-Martin-Lys, dont l'impulsion généreuse et hardie fit ouvrir les premières voies pratiquées sur les bords de la rivière d'Aude, à travers les gorges qui séparent le canton d'Axat du canton de Quillan;
Vu le rapport à nous adressé par M. le maire de Quillan le 2 février 1857, et dans lequel il nous est rendu compte des actes accomplis dans ce but par le conseil municipal, et notamment de l'ouverture d'une souscription dont le produit, dans la commune seule, a pu atteindre le chiffre de 2000 fr;
Vu le décret impérial rendu à St-Cloud, sous la date du 17 octobre 1857, sur le rapport de M. le ministre secrétaire d'Etat au département de l'intérieur, pour autoriser l'érection d'un monument à la mémoire de M. Félix ARMAND, ancien curé de St-Martin-Lys;
Considérant :
Que la pensée d'élever un monument à la mémoire du curé de St-Martin-Lys, est due à l'inspiration d'une reconnaissance bien méritée pour celui qui fut à plusieurs titres le véritable bienfaiteur de la contrée qu'il habitait;
Que l'existence du curé Armand, exempte de toute ambition personnelle, et consacrée entièrement aux modestes et pénibles fonctions de pasteur parmi des populations indigentes, est un touchant modèle de persévérance courageuse et de sublime désintéressement (Félix Armand. né à Quillan le 29 août 1742, et nommé curé de St-Martin-Lys, en 1774, est mort dans cette commune le 1er décembre 1823, à l'âge de 82 ans. - Ses fonctions de curé à St-Martin n'ont pas duré moins de cinquante années);
Que Félix Armand, qui est parvenu à fixer une route parfaitement viable sur des rochers où sa position étonne encore la génération présente, a eu l'honneur de concevoir et le mérite d'entreprendre une œuvre immense, si on la compare à la prospérité qu'elle a fait maître, aux obstacles vaincus, à la grandeur de la conception première et à la faiblesse des moyens d'exécution ;
Qu'il est utile et moral de perpétuer la mémoire du curé Armand et des services qu'il a rendus à son pays dans les contrées même où s'écoula sa vie et où s'accomplirent les beaux ouvrages dont elles ressentiront toujours les bienfaits ;
Que le département tout entier voudra s'associer avec empressements aux témoignages de gratitude offerts au curé de Saint-Martin-Lys par ses compatriotes ;
Que l'intervention de l'autorité supérieure, centralisant tous les actes, et dirigeant les démarches nécessaires pour atteindre ce but, aura pour effet d'imprimer à ces mesures plus d'ensemble et de rapidité, sans affaiblir aucunement le mérite de l'initiative qui appartient aux habitants de la commune et du canton de Quillan;
ARRÊTONS:
ART. 1er Une commission est formée auprès de nous pour centraliser toutes les mesures ayant pour but l'érection d'un monument à Félix Armand, curé de St-Martin-Lys.
ART. 2 La commission recherchera les moyens les plus convenables d'exécuter ce projet :
Elle provoquera les souscriptions, s'efforcera d'obtenir des subventions spéciales, recueillera les fonds, se mettra en rapport avec les personnes dont le concours lui semblera nécessaire au succès de l'œuvre entreprise, et ne sera dégagée de son mandat qu'après en avoir amené la réalisation.
ART. 3 La présidence de la commission est dévolue à Monseigneur l'Evêque de Carcassonne, qui a bien voulu accepter la direction de cette œuvre de justice et de gratitude.
ART. 4. Sont nommés en outre membres de la Commission :
MM. Le maire de Quillan ; - Le curé de Quillan ; Bruguière, membre du Conseil général ; - Le curé de St-Martin-Lys ; - Don, Ingénieur en chef du département ; - Cros-Mayrevieille, inspecteur des monuments historiques, dans le Département de L'Aude ; - Terrin-Lamothe, directeur des domaines à Carcassonne ; - Birotteau Eugène, avocat, président de la société des arts et sciences de Carcassonne ; - Barthe, chanoine, membre de la même société ; Rolland du Roquan, Oscar, id. ; - Coste. Alphonse, id. ; - Génie Emile, à Carcassonne.
ART. 5. M. E. Génie remplira auprès de la Commission les fonctions de secrétaire.
ART. 6. La commission se réunira sur la convocation de son président et dans le lieu qui lui sera désigné.
ART. 7. Le présent arrêté, dont ampliation sera transmise à chacun des membres de la commission instituée, sera inséré au recueil des actes administratifs.
Fait en l'hôtel de la préfecture,
à Carcassonne, le 3 novembre 1857.
Le Maître des Requêtes, Préfet de l'Aude,
DABEAUX.
Cet article est repris quasi à l'identique dans le "Journal de Toulouse" du 8 janvier.
C'est article reprend des extraits de l'arrêté préfectoral déjà indiqué dans l'article du 06 du le Courrier de l'Aude, ce qui est le plus intéressant dans cet article est plus de montrer que la notoriété de Félix Armand s'étend au de là de l'Aude (Hérault)
Un arrêté de M. le préfet de l'Aude vient d'instituer une commission chargée, sous la présidence de Mgr l'évêque, de centraliser toutes les mesures propres à assurer l'érection d'un monument en l'honneur de Félix Armand, curé de St-Martin-de-Lys. L'existence du curé Armand disent les considérants de l'arrêté préfectoral, exempte de toute ambition personnelle et consacrée entièrement aux modestes et pénibles fonctions de pasteur parmi des populations indigentes, est un touchant modèle de persévérance courageuse et de sublime désintéressement.
Félix Armand, qui est parvenu a fixer une route parfaitement viable sur des rochers où sa position étonne encore la génération présente, a eu l'honneur de concevoir et le mérite d'entreprendre une œuvre immense, si on la compare à la prospérité qu'elle a fait naître, aux obstacles vaincus, à la grandeur de la conception première et à la faiblesse des moyens d'exécution.
Il est donc utile et moral, ajoutent les considératifs de l'arrêté préfectoral, de perpétuer la mémoire du curé Armand et des services qu'il a rendus à son pays dans les contrées même où s'écoula sa vie et où s'accomplirent les beaux ouvrages dont elles ressentiront toujours les bienfaits ; le département tout entier voudra s'associer avec empressement aux témoignages de gratitude offerts au curé de Saint-Martin-Lys par ses compatriotes.
La commission instituée recherchera les moyens les plus convenables d'exécuter ce projet. Elle provoquera les souscriptions, s'efforcera d'obtenir des subventions spéciales, recueillera les fonds, se mettra en rapport avec les personnes dont le concours lui semblera nécessaire au succès de l'œuvre entreprise, et ne sera dégagée de son mandat qu'après en avoir amené la réalisation.
La présidence de la commission est dévolu à Mgr l'évêque de Carcassonne, qui a bien voulu accepter la direction de cette œuvre de justice et de gratitude.
Sont nommés, en outre, membres de la commission :
MM. le maire de Quillan ; — le curé de Quillan ; — Bruguière, membre du conseil général ; — le curé de Saint-Marlin-Lys ; — Don, ingénieur en chef du département ; — Cros-Mayrevieille, inspecteur des monuments historiques dans le département de l'Aude ; — Terrin-Lamothe, directeur des domaines à Carcassonne ; — Birotteau (Eugène), avocat, président de la Société des arts et sciences de Carcassonne ; — Barthe, chanoine, membre de la même Société ; — Rolland du Roquan (Oscar) id. ; Coste (Alphonse), id.; - Génie (Emile), à Carcassonne.
M. E. Génie remplira auprès de la commission les fonctions de secrétaire.
la commission pour l'érection d'un monument à la mémoire de Félix Armand, ancien curé de Saint-Marlin-Lys, s'est réunie mercredi dernier, à l'évêché, sous la présidence de Mgr. l'Evêque. Dans cette séance, les membres de la commission ont résolu les points suivants : Le monument à élever pour perpétuer la souvenir du curé Armand sera une statue. Cette statue ornera une des places publiques de la ville de Quillan, et une tombe monumentale sera, en même temps, édifiée dans le cimetière de St-Martin-Lys, où reposent les restes mortels du vénérable curé. L'exécution de la statue projetée sera confiée à M. Bonassieux, sculpteur à Paris, dont le nom rappelle la belle et colossale statue de Notre-Dame du Puy.
Un appel sera adressé par les autorités religieuses et administratives pour provoquer le concours des populations du département à une œuvre qui perpétuera, parmi les générations futures le souvenir de la reconnaissance envers le saint prêtre, l'homme de dévouement et de génie qui le premier osa frayer un passage à travers les gorges de la Pierre-Lys.
Le même article est paru dans "Le Messager du Midi" et dans le "Journal de Toulouse" du 12 octobre 1858
Nous lisons dans le Courrier de l'Aude : Mgr l'évêque, pendant son dernier séjour à Paris avait appelé la bienveillante attention de Sa Majesté sur la grande œuvre de l'ancien curé de St-Martin-Lys et sur le projet d'érection d'un monument à la mémoire de ce prêtre modeste et si recommandée. L'Empereur voulant encourager, par son concours personnel ce témoignage de la reconnaissance publique, a daigné consacrer à cet objet un don de trois mille francs. Cette somme a été transmise, par ses ordres, à notre vénéré prélat.
Je n'ai pas trouvé le n° correspondant du Courrier de l'Aude ; Le courrier de l'Aude était un journal bonapartiste...
Dans cette lettre l'Évêque de Carcassonne, Mgr de la Bouillerie, appelle ses "coopérateurs" (les curés de campagne) à participer financièrement à la future statue de Félix Armand. Pour justifier cette action, il décrit l'œuvre de Félix Armand avec beaucoup d'emphase.
Lettre circulaire de Monseigneur l'Évêque de Carcassonne, au clergé de son diocèse, relative à l’élévation d’une statue en l'honneur de Félix Armand, curé de Saint-Martin-Lys.
Carcassonne, le 1er juin 1858.
MESSIEURS ET CHERS COOPÉRATEURS,
Vous avez certainement appris qu’un décret impérial, rendu le 17 octobre 1857, a autorisé l’érection d’un monument à la mémoire de Félix Armand, ancien curé de St-Martin-Lys ; et que, par suite de ce décret, M. le Préfet de l’Aude a nommé une commission pour centraliser toutes les mesures ayant pour but l’érection de ce monument. M. le Préfet dont la haute bienveillance ne fait jamais défaut, a désiré, Messieurs, que je fusse placé moi même, en qualité de Président, à la tête de cette commission. Il a très-justement pensé que la gloire de l’un des prêtres de ce diocèse n'avait le droit d’intéresser personne plus vivement que moi ; et, avec ce noble instinct du vrai et de l'honnête que vous lui connaissez, il m’a confié la direction de cette œuvre, qu’il nomme lui-même œuvre de justice et de reconnaissance.
Œuvre de justice : il m'est doux de l'accomplir, quand cette justice réclame une éclatante récompense pour l’humble pasteur de nos campagnes. - Œuvre de reconnaissance ; j’aime trop le pays ou la providence m'a appelé, pour ne pas désirer d'être le premier, quand il s’agit d’acquitter une dette envers l'un de ses bienfaiteurs.
La commission que je préside ne négligera assurément rien pour élever la gratitude au niveau du bienfait. Déjà elle a pris une première disposition importante pour assurer le succès de l'œuvre : ç'a été le choix de l'artiste chargé d’exécuter le monument. Elle s'est adressée à l'habile ciseau de M. Bonnassieux, dont le talent élevé et si éminemment chrétien est l'une des gloires de la statuaire moderne (M. Bonnassieux, connu déjà par d’éminents travaux, mais surtout par ses admirables statues de la Sainte-Vierge, exécute en ce moment la statue colossale de Notre-Dame-du-Puy.)
La commission a également décidé, que la statue serait élevée sur l’une des places de Quillan, en face de la maison où est né le curé de Saint-Martin.
Le voyageur qui traversera cette jolie petite ville, pour aller admirer les sublimes horreurs de la Pierre-Lys et des gorges de Saint-Georges, aimera à saluer , en passant la glorieuse image de celui dont la charité ingénieuse aura frayé la route qui le conduira au terme de sa course.
Toutefois, il est un point sur lequel toute la bonne volonté de la commission ne suffit plus : c'est le point relatif aux ressources à recueillir pour ériger le monument. Ici nous avons besoin de tout le monde ; mais la commission a pensé qu’elle avait spécialement besoin de vous. C’est sur vous effectivement, Messieurs, que rejaillit d’abord l’honneur de ce prêtre, qui, élevé à la même école que vous, imbu des principes que vous avez reçus, sorti d’entre vos rangs, a su par son énergique charité, conquérir un nom illustre parmi ses concitoyens. [...]
En présence de cette noble vie où les plus hautes vertus sacerdotales se joignent aux qualités que le monde estime et honore davantage, en présence de ce grand souvenir plus profondément gravé dans vos cœurs qu'il ne le sera jamais dans l’airain, en présence de ce prêtre,qui, après tout, n’a jamais voulu être autre chose que simple, modeste, humblement dévoué à ses devoirs, et qu’on traite aujourd’hui comme les héros, tant de sentiments me semblent ressortir de cet exemple, que je ne saurais garder le silence.
La vie de Félix Armand est connues de vous, Messieurs ; elle a été imprimée plusieurs fois, et ce premier honneur que le respect, l'affection, la reconnaissance des vivants accordent à ceux qui ne sont plus, n'a pas manqué à l’homme que d’autres honneurs attendaient.
Vous savez donc que, né à Quillan en 1742, il fut nommé à l’âge de 32 ans curé de Saint-Martin-Lys. Il consacra dès-lors à cet humble troupeau les soins de sa vie entière.
[ Ne voyons d'abord en Félix Armand que le bon prêtre. C'est le côté qui nous touche, Messieurs, et par lequel nous l'aimons avant de l'admirer comme l'admire le monde. Ne voyons que le ministre de Dieu, qui exerce son ministère auguste avec zéle, qui distribue aux âmes naïves dont il est chargé le lait de la sainte parole, qui maintient et encourage les justes, qui ramène les pécheurs au bercail, qui verse l'eau du baptême sur le front des nouveau-nés, et répand sur les membres des mourants l'huile sainte de la dernière heure; qui fait, Messieurs, ce que vous faites tous les jours, c'est à dire l'œuvre incomparablement la plus grande, la plus élevée et la plus noble qui se puisse imaginer sur la terre, l'œuvre du salut des âmes.2]
La révolution française, il est vrai, l’éloigne momentanément de son troupeau, et obligé de quitter ses fils, il s'attache à son évêque qui est son père, et le suit en exil. Mais ramené bientôt par les intrépides enfants de la montagne, il reprend au milieu d'eux son périlleux ministère. Tant que la hache de la terreur est levée sur sa tête, un creux de rocher lui sert d'asile, la tendre affection de ses paroissiens pourvoit à sa nourriture, et les ruines d'une ancienne chapelle dérobée aux regards des méchants deviennent, chaque dimanche, le bercail où se réunissent ses brebis dispersées.
Puis, quand le calme renaît, Félix Armand reprend le chemin de son presbytère et de son église. Il refuse les divers postes qui lui sont offerts par son évêque comme la légitime récompense de ses immenses travaux ; il continue, pendant de longues années, ces fonctions modestes de curé de campagne, fonctions dont la monotonie est sublime, car elles ne sont les mêmes que parce que Dieu prodigue tous les jours à toutes les âmes les mêmes biens et leur communique les mêmes grâces. Il s'endort enfin plein de mérites et de jours dans la paix du Seigneur, à l'âge de 81 ans.
Assurément, Messieurs, ce n'est pas à cette vie humble toute seule qu'on veut aujourd'hui dresser une statue. Le monde passe tous les jours devant des existences semblables, et il ne fléchit pas le genou , et Dieu seul les couronne avec l'auréole des Saints. Ne pensez pas cependant que le sacerdoce de Félix-Armand ait été indifférent à la gloire qu'il s'est acquise. On aime que ce soit un prêtre qui, du fond de son pauvre presbytère, ait su concevoir et entreprendre une si grande chose ; on aime qu'un sentiment de pitié pour ses paroissiens malheureux ait été la première pensée de son œuvre; on aime que la cloche de l'église ait appelé, chaque matin, la paroisse au rude labeur qu'elle s'imposait; on aime, enfin, que ce soit avec la houlette du pasteur que Félix-Armand ait frappé le roc pour le briser.
Entrons donc, maintenant, dans l'examen de cette œuvre, et, pour l'apprécier à sa juste valeur, assignons-lui son vrai caractère. C'est une œuvre de charité très-chrétienne et très-bien entendue. Quoi ! cela suffit pour la gloire d'un homme ? Oui, Messieurs : et pourquoi ne pas espérer qu'un jour le monde, désabusé des gloires ou sanglantes ou frivoles qu'il a si souvent couronnées, reconnaîtra enfin que la vraie grandeur de l'homme n'est au fond que sa plus parfaite charité? Voilà un prêtre que son évêque envoie dans une toute petite paroisse, la plus misérable, la plus abandonnée de tout le diocèse, isolée de partout, perdue dans les montagnes et circonscrite par d’inaccessibles rochers ; c'est ce poste qui, pour le charitable pasteur, va devenir un éclatant piédestal.
Ses paroissiens sont de pauvres gens, qui ne peuvent qu'à peine vivre au jour le jour : et le modique traitement du prêtre serait bien insuffisant pour les secourir d'une manière utile. Mais pourquoi sont-ils pauvres ? c'est que la situation de leur village est telle qu'ils ne peuvent même en travaillant gagner honorablement leur vie : c'est que les roches escarpées du Quirbajou les enferment comme dans une prison, et que la maigre terre d'où ils ne peuvent sortir ne suffit pas à l'alimentation de tous ; c'est qu'alors même que le soleil, qui a des rayons de choix pour le champ du pauvre, féconderait leur chétif labour, de telle sorte qu'ils pussent exploiter leurs denrées et se procurer toutes les choses nécessaires à l'existence, nul débouché ne s'ouvre à eux pour trafiquer avec la ville voisine ; c'est que leur unique moyen d'existence, rude et précaire tout à la fois, consiste à exploiter les forêts immenses qui couronnent leurs pics : les arbres une fois coupés, il faut, du haut de ces pics, les précipiter dans le torrent de l'Aude, qui seul s'est frayé une voie à travers les rochers; il faut, avec d'inexprimables labeurs. beaucoup de dangers, beaucoup de perte de temps, suivre ces arbres, luttant avec le flot, et risquer tous les jours sa vie pour un salaire qui la soutient à peine. Voilà pour les habitants de Saint-Martin-Lys le principe de la misère. Comment donc y remédier ? Est-ce quelques morceaux de pain qu'il faut donner à ces hommes, ou un peu de monnaie comme à des mendiants ? Non, messieurs ; ce qu'ils demandent, ce n'est pas l'aumône, c'est le travail, mais un travail qui ne mette pas tous les jours leur existence en péril ; ce qu'ils demandent, c'est un peu de commerce, au moins avec les plus proches voisins ; ce qu'ils demandent, c'est que le monde, qui leur est fermé par d'infranchissables barrières, s'ouvre devant eux et leur livre l'espace pour y respirer et y vivre comme tous les hommes. Mais cette facilité de travail, de commerce, de relations, qu'est-ce autre chose qu'une route à pratiquer dans un pays qui est sans issue ? Voilà la ressource qu'il faut créer: voilà la mine qu'il faut exploiter ; voilà la charité qu'il faut faire.
[ Qu'une grande pensée est un précieux trésor, messieurs ! et, lorsqu'elle germe dans le cœur d'un prêtre, qu'elle a encore plus de chance d'être féconde pour le bien !2]
Aussitôt que Félix Armand eut arrêté son projet, il ne songea plus qu'à l'exécuter. Mais deux obstacles se présentaient à lui. Pour frayer cette route bénie qui devait rendre la vie et la prospérité à sa petite paroisse, il ne devait rien moins que transpercer de part en part un immense rocher : et, pour atteindre ce but, le travail de ces gens et leur bonne volonté n'étaient encore que d'insuffisants matériaux. Il avait besoin, dès le principe, de sommes assez considérables, et, se les procurer en se faisant ouvrir certaines bourses, c'était peut-être un obstacle plus difficile à vaincre que le percement d'un roc. Félix Armand triompha de cet obstacle. Quand une œuvre est sérieusement utile, on lui prête plus volontiers son concours. Les épargnes du presbytère, jointes à quelques dons charitables, permirent au curé de Saint-Martin de couvrir les premiers frais.
Le cours de l'Aude lui indiquait le tracé qu'il devait faire suivre à sa route. Il prit ses niveaux et arrêta ses lignes, comme un ingénieur eût su le faire. Mais lorsqu'il s'agit de se mettre à l'ouvrage, ce fut le prêtre qui se montra. Du haut de sa modeste chaire, il convoqua ses paroissiens à le suivre sur le lieu du travail, et tous obéirent à sa voix, comme lorsqu'il les convoquait au sanctuaire de la prière.
Ses premiers travaux consistèrent à déblayer les bords de l'Aude, et il poussa aisément son ouvrage jusqu'aux rocs gigantesques qui, de chaque côté du fleuve, se dressent à perte de vue et ne laissent de passage qu'au torrent. C'était précisément l'un de ces rocs habituellement connu jusque là sous le nom de Roc maudit, qu'il s'agissait de percer.
Ici, Messieurs, je voudrais le talent d'un grand peintre pour vous représenter le curé de Saint-Martin-Lys, le jour où, sortant processionnellement de son église, croix et bannière en tête, suivi de ses paroissiens qui tous portaient sur l'épaule la pioche du travail, il vint hardiment se poser aux pieds du Roc maudit, et s'armant de sa prière et de sa foi bien plus que de son instrument de fer, il donna le premier coup de marteau.
A partir de ce jour les travaux se poursuivent sans relâche. Chaque matin le premier à l'œuvre, et partout le premier dès qu'il y a un danger à courir, Félix Armand se multiplie communiquant à tous l'impulsion et le courage. Conducteur habile, il guide d'une main sûre la marche qu'on doit suivre. Chef ardent et intrépide, il pousse sa petite troupe en ayant contre l'ennemi de granit qui résiste à ses coups.
Mais cette résistance eut un terme, et, pour me servir de l'heureuse expression de l'un des biographes de Félix Armand : (Armand Félix, par M. Amiel, de Quillan) « Après six ans le roc fut vaincu et le soleil de mai pénétra dans ses flancs restés clos depuis la création.»
Ces faits se passaient en 1781 ; et déjà vous savez, Messieurs que la révolution française avait brusquement éloigné le pasteur de sa paroisse. La route encore inachevée ne fut reprise qu'à son retour. Mais le courageux prêtre eut bientôt ramené ses paroissiens à l'assaut du rocher, et de nouveaux efforts, amenèrent promptement de nouvelles ressources.
A mesure que le calme se rétablissait, l'attention publique se fixait davantage sur le projet hardi du curé de Saint-Martin. Le premier consul lui-même en prit connaissance et il écrivit à Félix Armand la lettre la plus flatteuse, à laquelle il joignit un bon sur sa cassette. Cet homme se connaissait en gloire, et dans le pauvre prêtre, qui creusait un rocher pour vivifier tout son pays, il avait discerné une gloire vraie et pure, celle de la charité.
Les secours accordés par le gouvernement de la restauration permirent au curé de Saint-Martin de mettre la dernière main à me œuvre depuis si longtemps entreprise. En 1821 la route fut classée au nombre des voies départementales : elle fut remise entre les mains des ingénieurs du département: et la science déclara alors qu'elle n'aurait pu mieux faire ce que la charité avait fait.
Je termine cette lettre déjà longue, en vous rappelant de nouveau, Messieurs, au nom de la Commission, combien elle compte sur votre appui. Cet appui sera grand et il sera secondé. M. le Préfet de l'Aude voudra bien, lui aussi, joindre son appel au mien. Il s'adressera à son département avec autant de confiance que je m'adresse à mon diocèse, et sa voix sera également entendue. De plus, Messieurs, je me plais à espérer qu'en dehors même de nos limites beaucoup de cœurs nous répondront et que, parmi ces hommes généreux qu'on voit se préoccuper aujourd'hui non plus seulement de faire le bien mais de le bien faire, beaucoup apporteront leur obole pour glorifier cette charité à laquelle les plus savants comme les plus chrétiens ne peuvent refuser leur suffrage.
Mais un encouragement plus élevé, et qui déjà vous est connu, Messieurs, ne laisse déjà plus de place à l'incertitude sur le succès de notre œuvre. La Commission que j'ai l'honneur de présider m'avait chargé de déposer son humble et respectueuse demande aux pieds du trône auguste où règne un sentiment si haut du bien public uni à une si douce et si universelle charité.
L'Empereur n’a point repoussé cette demande : il a voulu concourir lui-même à l'exécution de son propre décret en faveur de Félix-Armand. Sa Majesté a daigné remettre une somme de trois mille francs entre mes mains, pour servir à l'érection de la statue.
Bientôt donc, sur les lieux qui virent naître le curé de Saint-Martin-Lys, et à proximité de cette paroisse où se consuma sa longue vie entre des devoirs modestes et des travaux illustres, nous verrons, si Dieu le permet, s'élever un monument à sa gloire. Ce monument aura, ce me semble, un caractère spécial et touchant. On dresse des statues aux princes, aux conquérants, aux héros : on en érige aux savants illustres, aux artistes célèbres, aux hommes qui ont doté leur pays d'une riche et précieuse découverte. C'est pour la première fois peut-être qu'une gloire pareille est réservée à un modeste curé de campagne. Pour lui il n'a point gouverné des Etats, il n'a pas gagné des batailles, il n'a point fait reculer les bornes de la science ; mais il a été charitable et bon. Sa bonté fit toute sa grandeur et, pour terminer par un mot que j'emprunte à une inscription gravée pour lui et qui le peint tout entier, sa charité fut son génie.
Agréez, Messieurs et chers coopérateurs, l'assurance de mes sentiments affectueux.
+ FRANÇOIS, Evêque de Carcassonne.
[Les dons et souscriptions devront être remis à M. l'abbé Barthe ; chanoine, trésorier de la commission, au petit séminaire de Carcassonne 2]
2La Voix de la vérité : journal des faits religieux, politiques, scientifiques et littéraire dans son édition du même jour (19-06-1858) a repris le texte de Monseigneur l'évêque de Carcassonne avec quelques passages différents (en + ou en - : ceux en + sont marqués entre crochés)
Séance du 28 août. Extrait du procès verbal des Délibérations.
Félix Armand.
Érection d'une Statue.
Vous avez prêté, l'année dernière, Messieurs, une attention pleine de sympathie à la communication par laquelle je vous faisais connaître le projet d'ériger une statue à Félix Armand, le modeste et sublime curé de la commune de St-Martin-Lys. Vous éprouviez une émotion généreuse à voir la reconnaissance des populations s'attacher ainsi d'elle-même à la mémoire d'un homme qui n'eut ni la gloire du savant ni celle du héros, mais qui, sous l'inspiration d'une charité ardente, sut accomplir une œuvre immense, et faire avancer d un demi-siècle, dans la voie du progrès, les contrées pauvres et isolées auxquelles il dévoua sa vie.
Cette émotion, vous avez dû la ressentir bien plus vive encore en lisant la touchante circulaire adressée à MM. les curés et desservants du diocèse, par Mgr. l'Evêque de Carcassonne, président de la commission à laquelle j'ai confié le soin de préparer la réalisation du projet de monument. Celui qui pourrait s'étonner encore qu'une statue en bronze fut due au curé d'une pauvre commune, sentirait s'évanouir ses doutes et s'éveiller son enthousiasme en lisant ces pages vraiment éloquentes, où le soufle de l'inspiration chrétienne répand a chaque ligne les plus hautes pensées, qui ne laissent, dans l'ombre aucune des vertus, aucune des grandeurs de Félix Armand, et qui semblent, permettez-moi cette comparaison, messieurs, le moule dans lequel l'artiste devra couler son image.
L'initiative de Mgr. de la Bouillerie a fait plus encore : elle a conquis à l'œuvre que nous préparons le plus haut patronage qu'il fut possible d'espérer. L'Empereur, dont, l'intérêt généreux ne manque à aucune des idées grandes et morales, a daigné remettre dans ses mains une somme de trois mille francs.
C'est à nous, Messieurs, de montrer que nous comprenons aussi les devoirs de la gratitude, et de payer notre dette à Félix Armand, dont l'exemple peut trouver des imitateurs et enfanter des merveilles. Je vais moi-même, par une circulaire adressée à MM. les fonctionnaires du département, provoquer administrativement l'ouverture d'une souscription ; mais j'ai voulu que la consécration de votre vote vint ajouter à mes paroles une autorité qui en augmentera sans doute l'influence, et que sur la liste où vont venir s'inscrire les souscriptions que je compte recueillir, aucune adhésion ne précédât celle du Conseil général.
Vous répondrez à ma pensée, Messieurs, et j'ai si pleine confiance dans votre assentiment, que j'ai inscrit au budget de 1859 une allocation de 1,000 fr. pour concourir à l'érection d'une statue en faveur du curé Félix Armand.
Nous avons déjà annoncé le vote de cette allocation.[Séance du 27 août - Courrier de l'Aude du 04-09-1858]
Saint Martin et Quillan se disputent l'emplacement de la statue de Félix Armand. Dans le décret impérial donnant l'accord pour élever une statue, l'emplacement à St Martin est indiqué. Mais le Préfet de l'Aude demande au Conseil Général de privilégier Quillan. Le Conseil en votant 1000 fr d'aide au projet, accepte en plus ce changement et demande au Préfet de faire rectifier le décret impérial.
Extraits du rapport de M. le Préfet au Conseil général
Érection d'une statue à Félix Armand.
Adoptant, en principe, la proposition que je vous soumettais de participer aux frais d'érection d'un monument consacré à la mémoire de Félix Armand, curé de St-Martin-Lys, vous m'avez autorisé, dans votre dernière session, à porter au budget départemental de 1860 une allocation de 1,000 fr. destinée à cet objet.
L'œuvre de reconnaissance à laquelle vous avez généreusement résolu de vous associer, Messieurs, n'a rien perdu de son importance et du touchant intérêt qu'elle inspire aux contrées qui ont vu s'écouler la modeste existence du curé Félix Armand ; mais c'est justement, une question de rivalité louable par les sentiments dont elle émane, qui en retarde l'exécution.
La commune de Quillan, qui a vu naître 1'abbé Félix Armand, à la première conçu la pensée d'un monument à élever à sa mémoire. Son conseil municipal avait consacré une forte allocation à cet objet, et une souscription volontaire, ouverte parmi les habitants, avait également produit, une somme assez considérable. C'est sur une de ses places publiques, que Quillan voudrait placer sa statue. La commune de St-Martin revendique pour elle cet honneur. C'est au sein des pauvres habitants de ce hameau que s'écoula toute la carrière du curé qu'ils regrettent encore ; c'est pour eux, pour les délivrer de l'esclavage où les retenait l'absence de toute issue, qu'il entreprit et continua pendant 30 ans sa lutte admirable contre la nature et contre le défaut de ressources ; et il leur semble que si le bronze doit reproduire son image, cette image doit leur appartenir.
C'est en effet, Messieurs, ce que décide le décret impérial, qui, sur la simple désignation faite dans la correspondance du curé de St-Martin-Lys, autorise cette commune à élever un monument à la mémoire de son ancien pasteur.
Je n'ai pu obtenir jusqu'à présent de M. le Ministre de l'intérieur que le décret fut modifié en faveur de la commune de Quillan. Cette dernière me paraissait devoir tirer de l'initiative qu'elle a prise et des sacrifices qu'elle s'est imposés, un droit à la préférence. D'ailleurs, la statue de l'homme qui le premier sut ouvrir un passage à travers les gorges de la Pierre-Lys, ne serait-elle pas mieux placée à l'origine de la roule qui pénètre dans ces contrées et dans un lieu fréquenté, que sur un point isolé des montagnes ; ignorée des voyageurs et du monde, exposée au choc des avalanches, et amoindrie par le contraste que formeraient avec elle les masses gigantesques des rochers ?
Ces considérations vous détermineront peut-être, Messieurs, à partager avec moi la conviction que la statue de Félix Armand ne saurait être placée ailleurs qu'au sein de sa ville natale ; et s'il en était ainsi, je vous prierai d'exprimer cette opinion dans un vœu sur lequel j'appuierai de nouvelles instances afin d'obtenir que le décret impérial désigne la commune de Quillan pour recevoir ce monument qu'appelle sa reconnaissance, au lien de la commune de St-.Martin-Lys.
Le Conseil général a confirmé le vote par lequel il avait consacré une somme de mille francs à l'érection d'un monument en l'honneur de l'ancien curé de St-Martin-Lys, et en même temps il a invité M. le Préfet à insister auprès du Ministre pour obtenir la modification du décret impérial en ce sens que la statue de Félix Armand soit élevée sur une des places publiques de Quillan.
Sur la proposition de M. le Préfet et conformément au vœu émis par le conseil général dans sa dernière session, la commune de Quillan été autorisée par décret impérial en date du 28 décembre dernier, à ériger un monument à la mémoire de Félix Armand, ancien curé de la commune de Saint-Martin-Lys.
Ce décret a rapporté celui du 17 octobre 1857, qui avait autorisé l'érection de ce monument dans la commune de Saint-Martin-Lys.
Il y a quelques années, un homme que des travaux prodigieux ont laissé inconnu en dehors de son pays, mourut à Quillan, petite ville du département de l'Aude.
Rien n'apprit à la France qu'elle venait de perdre le bienfaiteur héroïque d'une de ses plus belles provinces. Le nom de celui qui le premier conçut et exécuta la pensée de frayer un passage dans les montagnes du Quirbajou serait resté un souvenir local, que le temps eût effacé, si un décret impérial n'eût autorisé la souscription pour l'érection d'une statue à la mémoire de Félix Armand. Confier l'exécution de ce monument au talent supérieur de M. Bonnassieux, c'était assurer un succès complet à l'hommage de la vénération populaire, et cependant la souscription ouverte en 1859 n'a pas encore produit la somme indispensable pour la réussite de ce projet! Disons-le, toutefois, ce n'est pas la sympathie qui peut manquer à une telle entreprise, mais il lui faut la publicité. Que la publicité fasse donc son devoir et tous les gens de cœur tiendront à honneur de prendre part à la glorification de ce grand homme de bien, dont les sublimes vertus se cachèrent sous les humbles dehors d'un curé de village.
Vers l'année 1770, un jeune prêtre débutait, avec éclat dans le ministère évangélique, à Perpignan. Effrayé des succès qu'il obtint et qui attirèrent sur lui l'attention générale, l'humble jeune homme voulut se recueillir dans la retraite et vint passer quelque temps à Quillan, son village natal. Sa modestie le guidait, à son insu vers le théâtre où son dévouement devait s'exercer ; la situation des lieux va éclaircir ce sujet.
L'Aude qui, comme chacun le sait, prend sa source dans les Pyrénées-Orientales, reçoit près d'Axat les eaux du Rubenti, court dans un lit étroit et arrive à Quillan après s'être creusé un passage entre des rochers parallèles presque perpendiculaires. Là se dresse le Quirbajou, montage escarpée de trois lieues de développement, faisant partie de cet immense appendice des Pyrénées qui part du Mont-Louis, vient en s'abaissant insensiblement s'attacher aux montagnes du département de l'Hérault, près de Saint-Pons et continue la chaîne colossale qui commence dans le fond de l'Espagne et se termine à l'extrémité de l'Asie après avoir parcouru le continent du vieux monde. Les hautes murailles du Quirbajou se perdent dans les nues. Çà et là on voit apparaître quelques sapins à la blanche chevelure de lichen ; de maigres bruyères, des houx décharnés sont les seuls indices d'une triste végétation qui se rabougrit à mesure que l'on se rapproche des Pyrénées. Le Quirbajou se déploie vers Quillan et s'efface tellement derrière ses contre-forts que les arbres des deux versants qui encaissent le lit de la rivière, mêlent leurs branchages au-dessus de ses eaux : à un kilomètre de Quillan se trouve le village de Belvianes ; lorsqu'après avoir admiré l'antique manoir seigneurial, bâti sur un mamelon et restauré avec un art infini par madame la comtesse Favre, le voyageur a tourné la base de ce mamelon, il est saisi d'admiration par un spectacle grandiose ! En face de lui apparaît un rocher gigantesque, fendu du sommet à la base par une brèche béante hérissée de rocs aigus et donnant passage à la rivière qui s'y précipite avec le fracas d'une cataracte. L'espace étroit, laissé à sec pendant les eaux basses de l'été, conduit, après mille dangers, car les rochés glissantes sont suspendues sur un gouffre, à un sentier serpentant le long des flancs de la montagne déchirée. Le froid est intense et l'aigle seul plane au-dessus de l'abîme. Ces lieux âpres et terribles, ont été et sont encore Habités.
Voici les ruines gothiques du monastère de Saint-Martin-du-Lys, dont l'origine remonte aux premiers temps du christianisme ; enrichi par un comte de Barcelone, en 965, doté par les comtes de Roussillon; ce monastère fut détruit par les hérétiques vers la fin du seizième siècle, et de son antique splendeur, de ses nombreux vassaux, il n'est resté qu'un groupe de pauvres demeures, le petit village de Saint-Martin-du-Lys, dont le nom seul rappelle le monastère gaulois.
Les habitants, séparés de Quillan par une lieue à vol d'oiseau, mettaient, à l'époque où commence notre récit, près d'une journée pour franchir le Quirbajou, risquant, au moindre faux pas, d'être lancés dans un précipice de deux cents pieds de profondeur. Le danger s'accroissait, dans la saison des neiges, par la chute de roches qui se détachaient fréquemment de la masse principale pour rouler dans l'abîme. Le village, placé sur le versant de la rive droite, emprisonné, pour ainsi dire, par le Quirbajou au levant et par la forêt domaniale des Fanges au sud, est partagé par un ravin que les orages grossissent à l'improviste, et souvent d'énormes blocs de rochers, entraînés par la violence des eaux, écrasaient masures et habitants.
L'exploitation de la forêt des Fanges pour le service de la marine, seule industrie de ce pays désolé, redoublait encore les dangers au sein desquels végétait sa population. Après avoir abattu les pins de la forêt et les avoir traînés à bras jusqu'au bord de l'abîme, on les précipitait dans la rivière, qui les charriait jusqu'à Quillan ; si, par un accident assez commun, un pin s'accrochant aux anfractuosités des rochers y restait suspendu, il fallait qu'un homme, attaché par une corde, se fit descendre pour le faire tomber. L'opération de la mise à l'eau terminée, les travailleurs, armés de harpons servant d'éperons et de freins, montaient sur les sapins, et, bravant mille périls, les dirigeaient dans le terrible défilé, tantôt s'élançant pour éviter les gouffres où les sapins s'enfonçaient en tournoyant, tantôt hâtant vigoureusement leur course, afin d'éviter les rencontres d'autres arbres dont la réunion formait des barrages malencontreux.
Le spectacle journalier de cette lutte contre une nature sauvage, avait produit une impression profonde sur l'âme de Félix Armand; le défilé du Quirbajou était le but de ses promenades incessantes dès son enfance. De retour à Quillan, le jeune prêtre reprend ses excursions rêveuses vers Saint-Martin-du-Lys ; remontant le cours de l'Aude, il s'avance jusqu'au sombre défilé; pendant des journées entières, il médite, il prie, et son génie lui révèle enfin le plan d'une entreprise destinée à délivrer cette population de ses dangers continuels. Il n'a point d'argent : il ne sait à quels moyens recourir pour s'en procurer.
N'importe, il est sûr de réussir. Celui qui l'a inspiré le soutiendra ; il se sent fort de cette foi qui secoue les montagnes. Qu'il soit curé de Saint-Martin-du-Lys, Dieu fera le reste. C'est là désormais l'objet de ses pressantes sollicitations.
Après une attente de trois années, Mgr de Chanterac cède à ses instances et l'envoie curé à Belvianes, desservant Saint-Martin-du-Lys. Mais les habitants de Belvianes, ne partageant point les dangers des habitants de Saint-Martin, refuseront leur concours à l'œuvre projetée; il faut donc que Saint-Martin soit érigé en paroisse. L'éloquence ardente du jeune curé persuade l'évêque qui lui accorde, en 1774, l'objet de ses vœux.
Aussitôt il communique à ses pauvres paroissiens la foi dont son âme est embrasée; éclairant leur intelligence, échauffant leurs cœurs, il change en une mâle et virile audace leur morne résignation. Il propage la culture de la pomme de terre ; ce sera son auxiliaire en temps, de disette. Puis, il parcourt le pays pour obtenir quelque argent. La charité donne à cet humble prêtre la finesse d'un habile négociateur. S'adressant au seigneur d'Axat, il lui démontre que la route projetée transportera le minerai de sa forge située en amont de Saint-Martin. Et les marchands de bois de Quillan, quels avantages ne tireront-ils pas de cette voie devenue chemin de halage! Et les habitants de Belvianes, qui semblent peu intéressés à cette entreprise, ne verront-ils pas augmenter la valeur de leurs petites propriétés par une route praticable et en tout temps exempte de danger? Chacun se laisse convaincre et veut prendre sa part dans le sacrifice commun. Les travaux commencent; pendant cinq ans, ils marchent avec une persévérance infatigable; enfin la route est tracée; on touche aux masses de rochers qui ferment l'entrée du défilé, et dont l'une d'elles s'avance sur la rivière comme une tour penchée.
Le jeune curé va reconnaître la base avant de se prendre corps à corps avec elle; attaché par une corde, il se fait descendre jusqu'à l'endroit où le rocher, coupant à angle droit la route nouvellement tracée, plonge perpendiculairement dans la rivière. Ainsi suspendu, il détermine le point qu'il faut attaquer pour ouvrir un passage au niveau de la route, cet obstacle vaincu, la voie est ouverte! Mais que de difficultés vont encore surgir ! l'argent manque, la population se décourage. Ces travaux, que le curé poursuit avec tant de feu, lui semblent impossibles; tout est perdu! A quelques jours de là, l'infatigable curé rallie son troupeau et le conduit processionnellement vers le roc maudit. Il parle, il adresse à Dieu une suprême prière, puis, saisissant une pioche, il frappe le premier coup. La foule se précipite sur ses pas : la tranchée est ouverte!
Pendant six ans ces travaux, que l'on trouve miraculeux en songeant aux moyens d'exécution, continuèrent sans interruption. Le rocher est ouvert, et le printemps de 1781 éclaire la victoire remportée par la foi, la charité et le courage de pauvres paysans sur une nature rebelle. L'évêque, auquel son grand âge rendait impossible depuis longtemps l'escalade des rochers, put, grâce au nouveau chemin, accomplir sa visite pastorale. Lorsqu'il fut en face de l'imposante trouée au bas de laquelle mugissaient les eaux, il s'arrêta tout ému, et, prenant la main du curé venu au-devant de lui avec ses ouailles : « Mon fils, lui dit-il, vous avez, comme notre divin Maître, multiplié les pains. » N'était-ce pas une réflexion pleine de justesse, puisque cette route allait faire succéder à la misère la prospérité. L'obstacle majeur franchi, la route était assurée ; cependant, que d'années vont s'écouler avant qu'elle soit tout à fait praticable !
La révolution de 93 place l'abbé Armand dans l'alternative de choisir entre l'exil et un serment qui répugne à sa foi; il ne peut hésiter, et, malgré ses regrets, il se rend en Espagne. Les habitants de Saint-Martin ne peuvent supporter cette absence ; ils députent à l'émigré l'un d'eux avec une lettre, expression de leur douleur, de leurs supplications pour son retour. Le proscrit ne peut résister à ces preuves d'amour, et il brave l'échafaud pour revenir parmi ses enfants. Les autorités révolutionnaires du département elles-mêmes le protégèrent, et les terribles visites révolutionnaires, toujours annoncées secrètement, le curé put échapper au danger en se réfugiant dans une grotte, qui avait servi déjà à bien des malheureux au temps des guerres de religion. Enfin, le retour du calme permit à l'abbé Armand de reprendre son œuvre. L'ardeur des travailleurs, pour avoir été interrompue, n'en était que plus vive ; mais l'argent manquait. Un événement désastreux fit jaillir une source de secours. Un violent incendie éclate dans la forêt des Fanges ; grâce aux efforts de l'abbé Armand, accouru avec ses paroissiens sur le lieu du sinistre, les progrès de l'incendie sont arrêtés au bout de deux jours. Le ministre de l'intérieur, informé de la courageuse conduite de l'abbé Armand, lui adresse, avec une lettre de remerciements, une gratification qui permet de reprendre les travaux.
La sape étant devenue impuissante, on fait alors jouer la mine. Tout est prêt; la mèche est allumée, on suit ses progrès; tout d'un coup un cavalier apparaît. Ignorant le danger qui le menace, il avance tranquillement; une seconde de plus il est mort... quand un homme s'élance et bondit sur la mèche, qu'il éteint au péril de sa vie!... Est-il besoin de dire que cet homme était notre curé!...
Le premier consul ne pouvait manquer d'apprécier un homme tel que l'abbé Félix Armand. Comprenant la grandeur de cet humble prêtre, il lui envoya de puissants secours avec la lettre suivante: « Les hommes tels que vous, monsieur le curé, sont un éternel honneur pour la religion et pour le pays ; s'il n'est donné qu'à Dieu de récompenser votre admirable dévouement, l'État ne doit point oublier qu'il est en demeure avec vous. Il sera désormais votre trésorier ; car, entre vos mains, le billon se change en or. »
NAPOLÉON BONAPARTE.
Malgré les promesses de Napoléon le moment vint, où l'or cessa d'arriver, l'astre du grand César avait pâli ; des nuages sanglants couvraient la France, elle dut appeler à sa défense tous ses enfants ; les courageux travailleurs quittèrent pour de plus grands devoirs leur cher curé, et pourtant en 1814, alors que la nation payait sa dette de gloire par des malheurs aussi grands qu'avaient été ses victoires, cette route, que quarante ans plus tôt le jeune prêtre avait conçue dans son génie était complètement terminée !... Alors nous voyons le vieux curé du pauvre bourg transformé en village florissant, continuer à l'âge de 80 ans son rôle de solliciteur!, Ne faut-il pas que sa route soit classée parmi les voies départementales? en 1821 il obtient ce résultat et les ingénieurs du département déclarent que le plus habile ingénieur avec tous les secours de son art n'eût pu mieux faire que l'abbé Félix Armand.
Son œuvre terminée, le curé de Saint Martin s'étant assuré un successeur vigilant se prépara avec joie à sa fin. Dans les derniers jours de sa vie Louis XVIII lui envoya la croix, son jeune vicaire venant lui annoncer cette flatteuse distinction : « La croix, mon cher abbé, lui dit-il, ah ! j'en espère une plus glorieuse ! » il ne tarda pas à l'obtenir, et quoiqu'il fut fort âgé une longue et pénible agonie vint donner la mesure de son courage, pas une plainte ne lui échappa, il conserva sa fermeté calme au milieu des plus cruelles souffrances. Au moment où il allait rendre à Dieu sa belle âme, le soleil se dégagea des nuages qui l'obscurcissait et brilla sur la cime neigeuse du Quirbajou, le mourant se soulevant sur sa couche put voir cette lumière éclairant son œuvre, un doux sourire erra sur ses lèvres et refermant les yeux il s'endormit dans le Seigneur, le 17 décembre 1823.
Tel fut cet humble grand homme.
JEAN DESNOYERS.
Cet article a la particularité de raconter une anecdote sur ce qui a motivé Félix Armand à creuser la route de la Pierre-Lys que je ne connaissais pas (je ne peux en assurer la véracité, mais il est intéressant de lire quelque chose d'original). Sinon le reste est pratiquement extrait du livre de Louis Amiel. L'intérêt de l'article est plus qu'il est paru dans les PO après que la décision de faire passer la nationale 117 par les gorges et donc signe de réconciliation des 2 départements sur le tracés de cette route. A noter que les gorges sont ici aussi appelées gorges de la Pierre-lisse avec un premier jeu de mot quand à l'accident initial.
LETTRES DE LA MONTAGNE.
En 1774 vivait dans le petit village de Saint-Martin du Lys, un vénérable prêtre nommé M. Armand. Ce saint homme gouvernait son petit troupeau de fidèles, en vrai pasteur de l'Evangile; aussi était-il chéri autant que respecté de ses paroissiens.
Bien souvent, le bon curé s'arrêtait devant l'infranchissable barrière que la nature avait placée là, à une si faible distance de son village, entre celui-ci et Quillan. En effet, à cet endroit il n'existait qu'une sorte de fissure, par laquelle la rivière se faisait jour difficilement, tant les parois des deux montagnes se trouvaient rapprochées. Il retournait chez lui pensif, silencieux... et il rêvait...
Un jour, il arriva un évènement malheureux : une jeune fille allant chercher du bois s'aventura un peu trop près de cette muraille de rochers, et glissant sur la pierre lisse, tomba dans la rivière et se noya. Grande fut l'émotion des habitants du village, plus grande encore celle du curé. Les parents et les amis pleuraient l'infortunée victime, et le bon pasteur priait...
Soudain saisi d'une inspiration subite, il appela ses paroissiens et leur tint à peu près ce langage.
« Mes enfants, un grand malheur vient de contrister notre paroisse ; il pourrait n'être pas le dernier. Le Saint-Esprit m'inspire une pensée peut-être réalisable. Etes-vous disposés à me seconder de vos efforts ?
Oui! oui!... répétèrent d'une commune voix, les braves villageois ; que faut-il faire ?
« Eh ! bien, il faut tenter de pratiquer un sentier à la Pierre lisse. Apportez des pioches solides, des pelles et tous vos outils à l'église, demain matin. Je dirai la messe afin d'appeler le secours divin sur notre entreprise, je bénirai les instruments de travail, et je donnerai le premier coup de pioche à l'insurmontable barrière. Dieu nous aidera, mes enfants, j'en ai la ferme espérance. »
Un cri d'enthousiasme s'échappa de toutes les poitrines. Vive M. le curé! vive notre bon père !... oui, nous travaillerons de bon cœur.
Le lendemain ces projets s'accomplirent à la lettre. Après la messe, les hommes s'armérent de leurs outils bénits; le curé en tête, la pioche sur l'épaule, les femmes derrière, disant le chapelet...
Les jours suivants le zèle ne se refroidit pas, le curé était là travaillant avec eux, les encourageant et leur prédisant qu'un jour viendrait où il se ferait là une véritable route... qu'ils ne la verraient peut-être pas, mais que leurs descendants en jouiraient.
Mais comme toutes les grandes entreprises, celle-là fut hérissée d'obstacles; ceux de la nature elle-même n'étaient pas assez nombreux ; il en fallut d'autres suscités par les hommes et les évènements.
Les travaux marchaient lentement, et le brave curé vit que sans un peu d'argent pour acheter des instruments de travail et donner un petit salaire aux ouvriers, il ne viendrait jamais à bout de sa tâche; aussi recourut-il à son vénérable Evêque, Mgr de Chanterac. Celui-ci avait tant de misères à secourir dans les montagnes de Quillan, qu'il ne put que contribuer faiblement aux minces ressources de M. Armand. Enfin la révolution de 89 étant survenue, les travaux cessèrent et nul ne s'occupa plus du chemin entrepris.
Le curé de Saint-Martin, ayant refusé le serment exigé de tous les ecclésiastiques par la loi de 1791, fut forcé de s'expatrier pour éviter les rigueurs de celles de 1792.
Le calme rétabli en France par l'avènement du consulat, en 1800, M. Armand rentra dans son ancienne paroisse de Saint-Martin. Il revenait pauvre, mais toujours persévérant et dévoué à son œuvre. Il reprit le pic et la truelle, mais cela ne suffisait pas ; et, à quelles portes frapper ? Toutes les sources de la charité n'étaient elles pas taries ? le souffle révolutionnaire n'avait-il pas tout desséché ? et si la terreur avait pu en faire surgir d'autres, elles n'auraient produit que du sang et des larmes.
Le bon curé réduit à l'impuissance, ne désespéra point encore. Il attendit : on le voyait se promenant, son bréviaire sous le bras et la toise à la main, explorant les sites les plus sauvages, et hantés seulement par les ours. Enfin les efforts du digne ecclésiastique furent signalés à Mgr de La Porte, évêque de Carcassonne, qui en entretint un ingénieur des Ponts et chaussées nommé Georges (Voir la notice publiée par M. Amiel). Celui-ci voulut voir M. Armand. Une entrevue eut lieu chez M. Varnier fondateur de la forge de Quillan.
En se voyant, l'ingénieur et le prêtre se comprirent facilement. A partir de ce moment, M. Armand reçut presque tous les ans, sur les fonds affectés par le budget départemental aux travaux de la Pierre lisse, une somme de 500 fr., quelquefois 800 fr., rarement 1000 fr. Avec ces faibles ressources, Armand, en choisissant le temps opportun, faisait exécuter par régie des travaux, qui, par adjudication, eussent coûté dix fois plus.
Les travaux de la Pierre-lisse furent ainsi entrepris et continués de 1806 à 1814 par les soins et les uniques efforts du curé Armand, sans l'intervention d'aucun agent des ponts et chaussées, l'ingénieur en chef s'étant assuré de l'adhésion tacite du baron Trouvé, alors préfet du département. Mais ce mode, adopté pour économiser les fonds de l'Etat, fut dénoncé méchamment comme irrégulier et suspect à M. Molé, directeur général des ponts et chaussées. Cet administrateur ordonna une vérification minutieuse de la comptabilité. Les comptes furent vérifiés et trouvés, sinon réguliers, du moins d'une exactitude parfaite quant aux dépenses payées.
On voit que la calomnie n'épargne personne, et le saint prêtre subit ce premier outrage, comme première récompense de son immense dévouement.
Empruntons maintenant quelques lignes à la brochure de M. Amiel :
» Pendant ce temps, le marquis d'Axat, qui, depuis son retour de l'émigration, était rentré en possession de son domaine et de sa forge, enhardi par l'achèvement de la route, l'avait reprise de son côté à la sortie du défilé, et faisait exécuter à ses frais les travaux destinés à son prolongement jusqu'à Axat.
» Enfin, l'impulsion est donnée, et M. Armand, tranquille désormais sur la destinée de son œuvre, peut louer Dieu, en voyant dans un prochain avenir, cette voie libératrice remonter le cours de l'Aude, à travers les rochers presque inaccessibles qui vont en s'amoncelant jusqu'à sa source près de Mont-Louis, et, de là, s'étendre, en se ramifiant sous les neiges éternelles, jusqu'à ses malheureux paroissiens d'autrefois, dont le souvenir revit dans son cœur avec toute l'énergique sympathie des vieillards pour leur passé.
» Cette nouvelle préoccupation était si vive, qu'on le voyait tous les jours, malgré ses quatre vingts ans révolus, sous la pluie et le soleil, au milieu des nouvelles générations d'ouvriers, car la majeure partie des anciens l'avaient précédé dans la tombe.
Un jour enfin, il se trouva pris d'une si grande faiblesse, qu'on fut obligé de le rapporter dans son presbytère. Il sentit dans cet accident un signe évident de sa fin prochaine, et s'y prépara en homme qui n'a rien à redouter du souverain juge.
Quelques jours avant sa mort, on vint lui annoncer que sur le rapport du Conseil général des ponts et chaussée, le roi Louis XVIII, frappé de la haute moralité de son œuvre, l'avait nommé chevalier de la Légion-d'honneur.
Mais la mort qui n'attend pas, vint enlever le saint homme à ses ouailles avant l'arrivée de cette décoration, et ce fut le 17 décembre 1823 que M. Armand s'endormit dans la paix du Seigneur.
Une inscription en vers, tracée à l'entrée du tunnel qui existe aujourd'hui, est le seul monument qui immortalise l'humble curé de St-Martin. Si les rimes n'en sont pas riches, du moins le sentiment qui les a dictés est généreux, et l'on ne peut être que touché de leur expression. Les voici :
Arrête voyageur ! le maître des humains,
A fait descendre ici la force et la lumière.
Il a dit au pasteur : accomplis mes desseins !
Et le pasteur, des monts a brisé la barrière.
Arrêtons-nous, nous même. Notre terrible rédacteur est là qui veille à la sûreté des colonnes de son journal. Six pages! assez, m'a-t-il dit et.. j'obéis.
Je veux pourtant ajouter que je ne sais pas si le projet d'une statue de M. Armand, érigée à Quillan, a reçu son exécution. Si elle n'a pas été faite, cela est bien regrettable, on en voit d'autres ailleurs, qui n'y ont pas autant de droits que lui. A bientôt la fin de mon voyage à Caudiès.
Gratia BLANC.
FÉLIX ARMAND.
L'abbé Félix Armand était né, dans une famille pauvre, à Quillan (Aude), le 20 août 1742. Grâce à la protection de quelques personnes riches, il fit des études complètes, à Perpignan d'abord, puis à l'école de théologie d'Alet, fondée par l'évêque Papillon. Il fut ordonné prêtre à Perpignan, le 28 mai 1768.
Nommé vicaire à Quillan, son instruction, sa charité, le firent bientôt distinguer, et on ne doutait point qu'il ne fût appelé à s'élever rapidement dans la hiérarchie sacerdotale. Mais il était sincèrement éloigné de toute idée d'ambition ; il voulait faire le bien, se dévouer ; il en cherchait l'occasion, et il la trouva ; on la trouve toujours lorsqu'on le veut fermement. Souvent, dans ses promenades, il remontait le cours de l'Aude jusqu'au pied des hautes falaises de roche calcaire qui ferment la vallée ; il gravissait les pentes, et, au delà, il visitait les pauvres montagnards que ces roches gigantesques semblaient séparer de la vie civilisée, et qui par suite avaient à souffrir autant de la misère que de l'ignorance ; il résolut de se consacrer à eux et de les délivrer de leur triste isolement. Il alla s'établir, comme curé, dans le petit village de Saint-Martin, voisin de la paroisse de Belvianes, située au pied des roches, à trois kilomètres de Quillan. De tous les services qu'il rendit dans cette humble paroisse, celui que l'on peut considérer comme le plus important est le tracé et le creusement d'un chemin à travers les rochers de Pierre-Lys. Nous avons déjà fait connaître l'utilité, les difficultés de cette entreprise, et son succès (Voy, t. XLVI, 1878, p. 115). L'abbé Armand, après avoir vaincu bien des obstacles, donna lui-même solennellement le premier coup de pic au pied du rocher qui barrait l'entrée de la vallée ; cinq ans après, en mai 1781, un étroit et tortueux sentier passait déjà à travers cette masse énorme. La révolution interrompit la suite des travaux ; mais l'œuvre fut reprise plus tard avec courage, et menée à bonne fin par l'abbé Armand. En 1813, le chemin était classé comme route départementale ; et, comme il a été dit dans notre précédent article, toute une région considérable, riche en forêts, en bestiaux, en fourrages, en sources thermales et minérales, jusqu'alors isolée et comme enfermée, se trouva dès lors en facile communication avec Quillan et le reste du département.
L'abbé Armand ne se dévoua pas avec moins d'ardeur dans d'autres circonstances ; par exemple, lorsqu'il lutta, à la tête des habitants, pendant deux jours et deux nuits, contre un incendie terrible qui menaçait de dévorer la belle forêt des Fanges. On lui offrit plus d'une fois des cures importantes; il refusa toujours, et mourut le 17 décembre 1823, dans son modeste presbytère de Saint-Martin, entouré des témoignages du respect et de la reconnaissance de ceux qu'il avait si bien aimés et servis. Son nom peut être placé avec honneur à côté de celui d'Oberlin.
VARIÉTÉ - L'ABBÉ FÉLIX ARMAND UN GRAND HOMME INCONNU
C'est avec un étonnement toujours nouveau que l'on constate la facilité avec laquelle l'humanité perd le souvenir de ses enfants les plus dévoués, si leurs services n'ont pas été bruyants, s'ils n'ont été qu'utiles.
Au nombre de ces oubliés, il faut compter Félix Armand, un pauvre prêtre, d'une énergie peu commune, d'un dévouement sans bornes, et qui seul, sans secours extérieurs, malgré l'opposition d'une routine séculaire, animé du feu sacré de la charité, a su obtenir par la transformation matérielle du territoire, la transformation morale des populations au milieu desquelles il exerçait son ministère.
On chercherait en vain son nom dans la plupart des dictionnaires ou des encyclopédies, et c'est à peine si son souvenir est conservé dans le pays théâtre de son action.
Félix Armand est né en 1742, le 20 août, d'une famille pauvre, à Quillan, petit bourg du Languedoc, sur les bords de l'Aude. Il semble avoir apporté en naissant quelque chose de l'esprit de charité et de la puissante volonté du Saint dont l'Eglise célèbre la fête en ce jour.
Les traits de son caractère, qui se révélaient dès son enfance, lui acquirent la protection de quelques personnes, grâces auxquelles il put faire des études complètes à Perpignan, puis à l'école de théologie d'Alet.
En 1768, à 26 ans, il était ordonné prêtre et nommé vicaire dans son pays natal à Quillan même.
Il y aurait eu là un danger pour un homme d'un esprit moins élevé. Son savoir, sa charité, lui firent éviter cet écueil, et sans le chercher, il sut en imposer à ses saient son humble origine.
Distingué bientôt par les autorités ecclésiastiques, il semblait destiné à s'élever rapidement dans la hiérarchie sacerdotale; son ambition était plus haute : il obtint de rester dans ses montagnes pour se consacrer entièrement à leurs populations, que l'isolement tenait, à cette époque, dans un état de misère et d'ignorance qui affligeait son cœur d'apôtre.
Quittant souvent Quillan, il remontait le cours de l'Aude et arrivait bientôt à une étroite coupure du massif, par laquelle s'échappent, pressées, les eaux de la rivière ; cette ouverture appelée défilé de la Pierre-Lys était impraticable même pour les piétons.
Au-delà, de l'autre côté, au milieu d'un chaos de rochers s'élevaient quelques pauvres villages, mais on ne pouvait communiquer avec eux qu'en s'élevant au-dessus des plateaux qui dominent la montagne, par les sentiers longs et escarpés qui en franchissent le sommet. Cet obstacle ne rebutait pas Félix Armand, et au prix de grandes fatigues, il allait porter la bonne parole aux habitants de ces lieux privés pour ainsi dire de toutes relations avec l'extérieur.
Au moment où il allait être appelé, du vicariat de Quillan à une situation plus en rapport avec sa haute valeur, le bon prêtre obtint la cure de Saint-Martin, l'un des villages de ces régions isolées ; il voulait se donner tout entier à ses chers montagnards.
Depuis longtemps, il avait compris, devançant ainsi son époque, que le meilleur moyen de faire pénétrer la civilisation dans ce pays perdu, c'était de rendre les communications plus faciles avec le reste du moude. En allant plus souvent vers les centres voisins, pensait-il, ses paroissiens perdraient peu à peu leur rudesse native ; pouvant transporter facilement leurs produits en des lieux où ils en trouveraient un prix rémunérateur, ils prendraient plus de goût à un travail suivi. Tous ses efforts se portèrent donc vers ce but, et après de longues réflexions il résolut de rendre praticable le défilé de la Pierre-Lys. Mais les ressources lui manquaient absolument ; il ne pouvait compter que sur le concours bénévole et gratuit de ses paroissiens, et il fallait les convertir à une pareille idée ; ce fût difficile. Qu'on ne s'en indigne pas : c'était chose bien naturelle chez de pauvres montagnards, à une époque où de telles pensées ne trouvaient pas place dans les préoccupations des autorités royales elles-mêmes. Avant d'aborder les difficultés matérielles de l'entreprise, traitée de folie par les uns, d'innovation dangereuse par les autres, l'abbé Félix Armand eut donc bien des obstacles à surmonter. Enfin, en 1776, il avait vaincu, et en tête de toute la population il donnait, lui-même, solennellement, le premier coup de pioche, inaugurant l'œuvre projetée. Un sentier suspendu à la paroi de la montagne menait bientôt jusqu'à la coupure de la Pierre-Lys, et là, entrant dans la roche elle-même, il en traversait le dernier massif par un tunnel de quelques mètres de longueur.
Après nos chemins de fer, l'amélioration de nos routes, pareil travail semble naturel ; en 1780 cela paraissait folie de l'entreprendre.
En 1781, la nouvelle voie était ouverte, praticable pour les seuls piétons, il est vrai ; mais elle mettait le pays en relation facile avec une région riche et restée absolument improductive jusque-là. Saint-Martin ne bénéficiait pas seul de l'œuvre de son pasteur, toute la contrée y trouvait un tel avantage que bientôt l'Etat voulut compléter l'œuvre du pauvre desservant, à laquelle on avait fait naguère une telle opposition. La Révolution arrêta les travaux, mais ils furent repris dès le premier Empire, et d'améliorations en améliorations, continués depuis. Aujourd'hui, où l'on s'effraie moins des grands travaux de vicinalité, la route est devenue carrossable : des tunnels lui font traverser les contreforts que le sentier contournait (l'un deux a 80m). Le petit tunnel de Félix Armand a été élargi, mais la tradition lui conserve un nom caractéristique, seul monument élevé jusqu'à présent à la mémoire de l'initiateur, on l'appelle le « Trou du Curé. »
Le saint prêtre a assez vécu pour voir son œuvre se développer, et l'opinion publique donner raison à ses prévisions ; il s'éteignit le 27 décembre 1823 à l'âge de plus de quatre-vingts ans dans son pauvre presbytère de Saint-Martin qu'il n'avait jamais voulu quitter malgré des offres cent fois répétées.
Il avait conquis le cœur de ses paroissiens, qui tous le pleurèrent. Son influence était toute puissante dans ce pays ; nous avons cité l'une de ses œuvres, et c'est sans doute la moins importante ; comme d'autres elle ne lui fut qu'un moyen pour arriver à la conquête des âmes et à l'amélioration morale du troupeau dont il avait pris la charge.
Si presque tous, en France, ignorent le nom de Félix Armand, il n'est cependant pas complètement oublié dans le pays auquel il s'était dévoué. La ville de Quillan a résolu de lui élever une statue, et le projet en fut même arrêté. Mais la guerre de 1870 est venue disperser les fonds réunis, et la chose a été ajournée à des jours meilleurs. Peut-être encore semble-t-il excessif maintenant de glorifier un homme qui a pu être un grand citoyen, mais qui a eu le tort impardonnable aujourd'hui, d'avoir été prêtre et d'avoir agi au nom de la charité chrétienne.
Un poète inconnu, heureusement pour lui, a fait graver sur la roche au-dessus du « Trou du Curé, » du côté de Quillan, ce quatrain :
Arrête voyageur ! le Maître des humains
A fait descendre ici la force et la lumière;
il a dit au pasteur: « Accomplis mes desseins. »
Et le pasteur des monts a brisé la barrière.
Cette pauvre inscription est tout ce qui rappelle en ce pays l'initiative du bon curé de Saint-Martin ; il n'y est même pas nommé.
S. B.
Pierre-Lys, avec des ressources plus que modestes et le concours de ses paroissiens.
Nous devons a un des amis les plus dévoués de L'éclair une notice biographique sur ce héros, inconnu en dehors de l'arrondissement de Limoux et des frontières du département de l'Aude.
Au moment où le vent est à la célébration des centenaires, ce sera notre façon a nous de célébrer celui de ce curé, vaillant entre les vaillants, et qui devrait avoir sa statue sur une de nos places publiques.
Félix Armand, curé de Saint-Martin-Lys. O moralités de granit, ô admirable Pierre-Lys ! pourriez-vous oublier le nom de celui qui, il y a cent ans, osa entreprendre de vous silloner une route ? de ce curé assez audacieux pour affronter une lutte titanesque contre des éléments terribles ?
Non, son souvenir vivra toujours parmi les laborieuses populations du massif de Quillan et d'Axat ; mais Félix Armand mérite plus encore ; un monument doit être élevé à ce héros aussi modeste que grand.
Peut-être faudra-t-il attendre, comme il attendit lui même dans les ruines d'un vieux château, que la tourmente révolutionnaire ait passé, pour pouvoir contempler soit la statue, soit tout autre monument ; mais il importe que dès aujourd'hui, cette œuvre soit entreprise et que la souscription publique qui en est le prélude soit ouverte dès maintenant.
Né à Quillan, de parents pauvres, le 20 août 1742, Félix Armand fit ses études au grand séminaire d'Alet et fut ordonné prêtre le 28 mai 1768. Après avoir été successivement vicaire dans son pays natal et curé de Galinagues, il obtint de son évêque la modeste cure de Saint-Martin-Lys.
Au milieu de ces populations pauvres, le saint prêtre souffrait des privations et du délaissement de ses nouveaux paroissiens. Il ne se rebuta pas cependant et, à l'âge de 35ans, il concevait le hardi projet de percer les monts, de renverser les blocs de granit, de combler les abîmes, en un mot d'établir une route à travers Pierre-Lys. « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, disait Jésus-Christ, vous diriez à cette montagne : Ote-toi de là, et elle vous obéirait.»
Le curé de Saint-Martin devait mettre en pratique ces conseils.
Les péripéties de cette gigantesque entreprise sont des plus nombreuses ; aussi nous bornerons à en rapporter les principales.
C'est d'abord les moyens employés pour tracer la route. Un jour Félix Armand se fait attacher une corde au dessous des bras et, retenu par de vigoureux montagnards, il descend dans un gouffre d'une profondeur vertigineuse.
Le tracé est fait mais les fonds manquent absolument ; Félix Armand part pour aller mendier de porte en porte, d'Axat à Quillan, d'Alet à Limoux et à Carcassonne. C'est ainsi qu'il recueille la paie des ouvriers du pays et des ouvriers étrangers.
Un jour, un muletier apparaît au détour de la montagne, au moment où l'explosion d'un puits de mine va avoir lieu ; le muletier avance, la mêche est allumée, c'est la mort certaine pour le voyageur ; notre vaillant curé, qui a compris, n'hésite pas, saute sur la mèche, au risque d'arriver trop tard et est assez heureux pour l'éteindre.
Cependant cinq années de travail vont rester infructueuses par suite d'une véritable barrière de rochers inusables : Félix Armand fait le signe de la croix, saisit un pic et entame le roc...
Aujourd'hui on peut y lire les vers que nous reproduisions naguère à l'occasion d'une journée passée dans la haute vallée de l'Aude.
La Révolution survint, ces hommes ne tinrent aucun compte an curé de Saint-Martin-Lys de toutes ses qualités : les bourreaux obligèrent le saint homme à se réfugier au milieu des ruines d'un pieux monastère où les habitants de son village veillaient à sa sécurité et venaient entendre la messe.
Après la tourmente révolutionnaire, Félix Armand reparut (mai 1797) et reprit librement l'exercice de ses hautes fonctions.
Le premier consul devint l'empereur ; ayant été mis au courant de l'héroïsme de Félix Armand, Napoléon lui écrivit une lettre pour le féliciter, pendant que Mgr de la Porte, alors évêque de Carcassonne proposait au bon curé le titre de chanoine titulaire de son église cathédrale. Le saint prêtre voulut mourir au milieu de ses chers paroissiens ; il leur avait légué son modeste patrimoine. La croix de la Légion d'honneur vint le récompenser de sa belle vie, quelques heures avant, le moment où il allait recevoir la récompense suprême de ses vertus.
L'œuvre de Félix Armand a été continuée à travers la vallée de Gesse, de Carcanières-les-Bains, jusqu'à Mont-Louis et en Espagne.
Cette route a amélioré sensiblement le sort des habitants de Saint-Martin, d'Axat, du Roqueforier, du Donnazan, etc.. des riches stations thermales de la haute vallée de l'Aude ; elle sera bientôt dotée d'un complément inévitable, demandé énergiquement et avec persévérance par l'honorable M. Resplandy. Nous voulons parler du courrier de Quillan à Mont-Louis.
La reconnaissance est la mémoire du cœur, a-t-on dit aussi croyons-nous, ainsi que nous le disions au début, que ce prêtre héroïque doit avoir son monument sur une des places de sa ville natale.
Nous savons que ses compatriotes, les habitants de Quillan, sont fiers, à juste titre, de Félix Armand : qu'ils mettent donc d'accord leurs paroles avec leurs actes !
Nous avons vu que Oberlin, le régénérateur du Ban de la Roche, s'était avant tout préoccupé d'ouvrir des routes qui missent les habitants de cette contrée sauvage en communication avec le reste du monde. C'est ce qu'ont fait dans tous les pays et dans tous les temps tous les civilisateurs.
C'est en effet par les grandes routes que les richesses et le bien-être arrivent au cœur d'un pays, c'est par les chemins qui en rayonnent qu'elles se distribuent jusqu'aux derniers recoins. C'est par là aussi que se répandent de proche en proche les grandes idées et les nobles sentiments.
On a dû le dire souvent : les routes servent de traits d'union entre les peuples en mettant en commun leurs intérêts, en préparant la solidarité conciliable avec l'esprit et le caractère propres à chaque nation.
Le titre de gloire de l'homme de bien dont nous allons esquisser l'histoire est surtout d'avoir compris cette grande vérité et d'avoir, à force de courage et de persévérance, délivré de ses entraves une population qu'emprisonnaient dans l'isolement des remparts de rochers et de montagnes.
Félix Armand est né, le 20 Août 1742, à Quillan, dans le département de l'Aude.
Ses parents étaient dans la plus grande misère et n'auraient pu le faire instruire. Il trouva heureusement des protecteurs puissants et généreux qui l'envoyèrent faire ses humanités à Perpignan.
Il étudia ensuite la théologie à Alet. Ce bourg, autrefois siège d'un évêché, n'est plus guère connu que par ses eaux thermales.
Félix Armand reçut les ordres le 17 Mai 1765 et fut nommé vicaire à Quillan, son pays natal. Il se fit remarquer dans cette humble situation par son caractère et par ses nobles qualités. Ses sentiments pieux, son esprit charitable, sa culture intellectuelle lui promettaient une brillante carrière, mais il n'avait pas les vues ambitieuses qu'eût légitimées son haut mérite. Il se plaisait dans son modeste milieu, sans autre aspiration que celle de faire le bien dans le pays qui l'avait vu naître. Pensant qu'il ne trouverait nulle part plus de misères à secourir, plus de malheureux à soulager, il resta dans ce coin perdu si peu favorisé par la nature.
Ce n'est pas sans raison que Félix Armand a été surnommé l'Oberlin de l'Aude: les mêmes sentiments de charité, le même esprit pratique ont inspiré ces deux bienfaiteurs qui, bien que contemporains, ne se sont ni connus ni imités.
Tous deux travaillèrent à la régénération de pauvres paysans que des barrières, jugées insurmontables, séparaient pour ainsi dire du reste de la France. Pendant que l'un se dévouait au sud dans les rochers abrupts d'une ramification des Pyrénées, l'autre se dévouait au nord dans une contrée sauvage isolée du monde par un contre fort des Vosges.
Malheureusement, nous ne possédons pas sur l'abbé Armand l'abondance de renseignements que nous avons pu recueillir sur la personnalité et les actes d'Obérlin. Nous ignorons si c'est autrement que par la tradition orale qu'on a gardé dans les paroisses de Quillan et de Saint-Martin, qu'il a rendues à la civilisation, le souvenir de sa vie édifiante, toute d'abnégation et de dévouement. Ce que nous pouvons affirmer, c'est qu'il y est toujours le digne objet de la plus haute vénération. Le grand acte que ses concitoyens aiment surtout à célébrer et qui se manifeste, j'ose dire, à l'exclusion de tout, dans les témoignages de leur reconnaissance, c'est d'avoir ouvert un chemin pour les mettre en communication, en communion, avec le reste du monde.
Aussi quand, il y a une quinzaine d'années, la ville de Quillan résolut d'élever un monument à la mémoire du bienfaiteur du pays, il fut décidé que la statue, que devait exécuter le sculpteur Bonassieux, représenterait l'abbé Armand s'appuyant de la main droite sur le pic avec lequel il avait frappé les premiers coups pour ouvrir un passage à travers la montagne.
Pour comprendre la grandeur de l'œuvre qu'il a menée à si bonne fin, grâce à son énergique persévérance et à l'influence qu'il a su conquérir sur des montagnards que leur isolement et leur ignorance livraient à la misère, aux préjugés, au découragement, il est indispensable de connaître le pays.
Quillan est une petite ville de 2000 âmes, située sur les bords de l'Aude, dans une vallée profonde, resserrée entre des escarpements de rochers, entourée de gorges déchiquetées dans des masses calcaires.
Quillan est là, comme une sentinelle perdue chargée de garder des issues mystérieuses qui semblent ne devoir mener qu'au pays de la désolation.
De hautes falaises de l'aspect le plus sauvage dominent la ville et la rivière. Elles profilent sur le ciel la découpure accidentée de leurs sommets étrangement rompus, parfois couverts de sombres forêts de sapins.
Au pied de ces falaises se sont entassées, comme Pélion sur Ossa, d'énormes roches qui, au dernier siècle, fermaient complètement le seul défilé qu'un travail humain eùt pu rendre praticable. Il n'y passait encore que les eaux d'un torrent dont l'impétuosité avait eu raison des obstacles opposés par la nature. Ce défilé s'appelait, du nom de la pierre qui l'obstruait : le défilé de la Pierre-Lys.
Pour communiquer avec le reste du département, il fallait gagner la route de Perpignan, mais la difficulté était de la rejoindre. Pour y parvenir, les habitants de Quillan devaient gravir de terribles escarpements par des sentiers impraticables, capables de donner le vertige à des chèvres mêmes, et s'élever jusqu'aux plus hauts plateaux. Arrivés à ce point, ils n'avaient accompli que la moitié de leur voyage, et ce n'était ni la moins pénible ni la moins périlleuse. Il leur fallait ensuite descendre le versant opposé par des chemins à pic, des détours de labyrinthe, des marches et des contremarches qui, tout en allongeant beaucoup la route, ne diminuaient qu'insensiblement la raideur des pentes et n'amoindrissaient pas toujours le danger.
Un voyage aussi long et aussi difficile s'accomplissant fort rarement, les habitants restaient sans relations avec le dehors, n'avaient ni commerce, ni industrie, et ne participaient en rien aux bienfaits de la civilisation.
L'abbé Armand n'avait pas besoin de posséder la science et l'expérience de l'ingénieur pour ouvrir la route dont le tracé était depuis longtemps arrêté dans son esprit. Ses promenades l'avaient suffisamment initié à la topographie capricieuse du pays qu'il parcourait depuis son enfance pour reconnaître que l'issue était possible et possible seulement par le défilé de la Pierre-Lys.
Il fallait donc rester incarcéré dans cette solitude sauvage eu percer cette Pierre-Lys, roche immense dont la dureté semblait défier les forces et l'industrie humaines. Et lui, le pauvre prêtre, comment exécuterait-il un tel travail? Point d'argent, point d'ouvriers ! Que faire ?
Il avait entendu dire qu'avec de la volonté et de l'énergie on soulève des montagnes. il trouva plus facile de les percer.
Lorsqu'un dimanche, en chaire, il exposa à ses chers montagnards le projet de trouer le roc qui leur barrait le chemin, plus d'un doutèrent de la raison de leur brave curé; « Trouer la Pierre-Lys ! disaient les moins incrédules ; mais avec quoi?
— Avec des pics d'abord, répondit l'abbé Armand, avec du courage et de la patience ensuite. »
Enfin ces bonnes gens, confiants en leur curé, prirent au sérieux le projet qui leur avait d'abord paru insensé.
L'abbé Armand ne se contente pas de donner des conseils.
Comme Oberlin, il part le pic sur l'épaule, suivi d'une escouade de solides gaillards dont la bonne volonté égale la force et l'énergie. Ces braves cœurs laissent à l'abbé, leur guide et leur chef de file, l'honneur de donner le premier coup, et aussitôt ils se mettent à l'œuvre. Un tel exemple ne tarde pas à être suivi, et bientôt tous les bras en état de manier une pioche viennent successivement prendre part à la sape.
La roche était bien dure, les outils les mieux trempés la mordaient à peine, mais les coups, se succédant, se multipliant, entamèrent peu à peu ce roc formidable. Est-ce que l'eau en tombant goutte à goutte ne creuse pas les pierres !
Enfin, cinq ans après, grâce à la longue patience, à l'énergie puissante qui n'a jamais abandonné les travailleurs, grâce aux efforts que soutenait et partageait l'abbé Armand, la roche fut percée de part en part sur une longueur de sept mètres.
Qu'est-ce que ce petit tunnel qui ne pouvait encore livrer passage qu'aux piétons, comparé aux tunnels du Mont-Cenis et du Saint-Gothard? Et pourtant! l'œuvre accomplie par ce pauvre curé de campagne, sans le secours des machines et les perfectionnements de l'industrie que les progrès de la science n'ont créés que de notre temps, doit nous remplir d'admiration comme elle a rempli de reconnaissance les habitants de Quillan.
Le tunnel ouvert par l'abbé Armand, et grandement élargi, porte encore aujourd'hui son nom. C'est par là que la civilisation et la prospérité sont entrées, on pourrait dire : se sont ruées dans le pays.
Le sentier élargi, amélioré, devint d'abord un chemin vicinal, praticable seulement aux piétons, aux cavaliers et à la carriole de forme toute particulière qui transportait les infirmes aux sources thermales jadis inabordables. Tel qu'il était, ce chemin suffit pour mettre en valeur des richesses naturelles que le manque de débouchés laissait improductives. Les bestiaux purent se répandre dans les luxuriants pâturages des vallées jusqu'alors inaccessibles ; les fourrages furent exportés en abondance à Perpignan ; les épaisses forêts de sapins furent exploitées, — peut-être avec trop peu de ménagements! —
l'activité pénétra partout. Des scieries s'établirent à chaque chute d'eau utilisable pour travailler le bois que charriait la rivière; les sources d'eau salines et ferrugineuses furent mises au service des malades qui accoururent de toutes parts.
Aujourd'hui, une belle et longue route nationale, allant de Bayonne à Perpignan, que des chemins affluents abordent de tous côtés, traverse cette contrée naguère si disgraciée et la fertilisent à l'imitation des cours d'eau et des rigoles d'irrigation qui parcourent les prairies.
Quillan, Saint-Martin, tous les villages qui y sont reliés directement, ont trouvé le bien-être et sont en train de s'enrichir; ils possèdent des filatures de laines, des fabriques de draps et de feutres, des forges et des moulins. Ont-ils été les seuls à profiter de l'œuvre si bien commencée par l'abbé Armand et qui ne se serait certainement pas accomplie sans lui? Non, le département de l'Aude tout entier a eu sa part dans la distribution des richesses créées. Qui peut nier la solidarité du voisinage? Le bien n'est-il pas, comme le mal, endémique, épidémique et contagieux ?
La ville de Quillan se proposa de payer la dette de reconnaissance de la contrée tout entière en érigeant une statue à Félix Armand. Autrefois, le seul monument qui consacrait son bienfait était une inscription gravée au-dessus de la brèche de la Pierre-Lys et qui ne mentionnait même pas son nom.
Cette - inscription, médiocrement versifiée, est ainsi formulée :
Arrête, voyageur ! le Maître des humains A fait descendre ici la force et la lumière ; Il a dit au Pasteur : « Accomplis mes desseins » Et le Pasteur, des monts, a brisé la barrière.
Félix Armand mourut, le 17 Décembre 1825, dans son humble presbytère de Saint-Martin, qu'il a eu raison de ne jamais quitter, puisque c'est là qu'il a rempli la plus belle et la plus grande mission que son esprit charitable et son cœur généreux pouvaient ambitionner.
Des anarchistes quillanais ont affiché à Carcassonne contre l'inauguration de la statue de Félix Armand - réaction du courrier de l'Aude
Une protestation. — A propos de l'érection de la statue de Félix Armand, l'ancien curé de St-Martin-Lys, qui doit avoir lieu dimanche prochain à Quillan, un individu s'est permis de rédiger une protestation ignoble qu'il a fait imprimer et afficher sur les murs de notre ville.
Ce placard ordurier, écœurant, est signé : « Le groupe socialiste de Quillan. »
Nous ne ferons jamais l'injure aux socialistes de cette commune de croire qu'ils ont signé un papier aussi sale.
Cette protestation est l'œuvre d'un énergumène qui a besoin de quelques douches.
A Carcassonne, comme dans tout le département, les partis politiques, sans distinction de nuances, sont unanimes à s'incliner devant Félix Armand, qui fut non seulement un excellent prêtre, mais avant tout un bon citoyen et un grand français.
Félix Armand a rendu service au pays et ses compatriotes, reconnaissants, saluent sa mémoire avec respect.
Voilà le sentiment qui domine dans toutes les âmes audoises devant la glorification de l'enfant de Quillan.
En attendant que nous puissions dimanche, crier avec tous les bons français : « Vive Félix Armand ! », nous adressons à l'auteur du placard qui est venu salir les murs de Carcassonne l'expression de notre plus profond dégoût.
Des anarchistes quillanais ont affiché à Carcassonne contre l'inauguration de la statue de Félix Armand - ci-dessous la réaction de la presse régionale :
Revue de la presse locale
Nos confrères s'expriment ainsi au sujet de la dégoûtante protestation affichée sur les murs de notre ville et dont nous avons parlé dans un de nos derniers numéros :
De l'Express du Midi :
Odieuse protestation. — La ville de Quillan s'apprête, ainsi qu'on le sait, à rendre un éclatant hommage à un de ses glorieux enfants, Félix Armand, curé de St-Martin-Lys, le constructeur du premier chemin à travers les gorges de la Pierre-Lys.
Tout le monde connaît l'œuvre sublime, gigantesque, de Félix Armand.
Depuis cent ans, elle arraché des exclamations unanimes d'admiration à ceux qui remontent le cours de l'Aude, au dessus de Belvianes, et les populations de la contrée bénissent la mémoire
du pasteur qui consacra sa vie à l'adoucissement du sort des malheureux.
Un placard, afficher à Carcassonne, est venu démontrer, une fois de plus, qu'il se trouvera toujours de tristes sires pour baver sur la vertu et sur le génie.
Ce placard, signé « le groupe socialiste de Quillan », contient une odieuse protestation contre l'érection de la statue de Félix Armand.
Nous avons eu le plaisir de constater qu'il soulevait ici le mépris de tous ceux qui le lisaient.
Nous ne doutons pas qu'à Quillan, la population, si unie dans un même sentiment d'admiration et de reconnaissance envers le héros de la Pierre-Lys, ait toléré que ce factum haineux salisse, une heure seulement, les murs de la ville qui donna le jour à Félix Armand.
De l'Éclair :
Une protestation. - On vient de placarder sur les murs de notre ville une affiche rouge sang de bœuf, qui sent l'anarchiste et le révolutionnaire à plein nez.
L'auteur de ce placard proteste dans des termes injurieux et infects contre l'érection de la statue de Félix Armand à Quillan et termine sa prose en faisant un appel aux ennemis de la « calotte ».
Tous les hommes sérieux, à quelque parti politique qu'ils appartiennent, haussent les épaules de pitié à la lecture de ce sale papier.
Il est vraiment triste de constater qu'il puisse exister des individus pareils en France, capable d'outrager un citoyen qui a rendu service à son pays, et cela sous prétexte que ce bon serviteur porte la robe de prêtre.
Pouah !
Du Télégramme :
Une idiotie. — Nos confrères relèvent comme il convient une ordure placardée sur les murs de notre ville et provenant, soi-disant, d'un groupe socialiste de Quillan.
C'est une protestation, pieds-dans-le-plat, contre l'inauguration de la statue le Félix Armand, qui aura lieu dimanche, à Quillan. Écrire pareille insanité, est être mûr pour descendre du train avant Quillan. Qu'importe, en effet, à tout Français que Félix Armand ait été prêtre, pasteur ou rabbin ? Il a été un pionnier du progrès, et les voies dont il a été le précurseur n'ont pu qu'amener un peu de prospérité dans un pays jusqu'alors complètement isolé.
Ou maboule ou farceur, tel peut être l'auteur du factum ci-dessus indiqué.
Les farouches anticléricaux de là-bas ne sont pas, malgré ce, épargnés dans l'affiche rouge ; dégustez :
« Républicains, l'affront est trop fort ; le député Beaumetz et le conseil municipal en sont les complices. A ces hommes il leur faut du froc et de la soutane : ils trahissent la classe ouvrière et la République. »
Beaumetz et ses complices ! Sont -ils jaugés à leur aune ? Pour des gens qui prétendent manger du curé à tous les repas, elle n'est pas trop mauvaise !
La préparation de l'inauguration de la statue de Félix Armand fut l'occasion de rappeler son œuvre. Pratiquement toute la semaine qui a précédé l'événement des articles sont parus, avec en prime une opposition anticléricale qui a fait parler d'elle et a alimenté la presse.
Inauguration de la statue de Félix Armand à Quillan. - A la suite de la protestation ordurière placardée sur les murs de la ville, nous constatons avec plaisir que la Dépêche et le Petit Méridional insèrent aujourd'hui dans leurs colonnes la communication suivante :
« Les grandes fêtes annoncées pour le dimanche 15 septembre se préparent avec beaucoup d'entrain, et le comité a fait de réels sacrifices pour qu'elles soient très brillantes et que les étrangers qui arriveront très nombreux en conservent le meilleur souvenir.
« Une minorité infime, qui s'affublant pour la circonstance, d'un masque trompeur, a pris le nom de groupe socialiste, a tenté de faire croire, par quelques affiches dont les termes frisent l'ordure, que la population quillanaise n'était pas pour les fêtes et que même certains désordres pourraient se produire. Il n'en est rien heureusement ; tout ce qui se dit est faux, inventé par la malveillance.
« Tout le monde, au contraire, se tail un devoir de rendre hommage à Félix Armand, non pas à cause de son caractère de prêtre, mais parce que, véritable et sincère ami de l'humanité, et s'est comporté en pionnier, en chemineau. C'est grâce à lui, aux efforts constants qu'il a déployés, au grand exemple qu'il a laissé, que ce pays jusque là déshérité et isolé, désormais ouvert à toute communication a pu recevoir et répandre à son tour les idées républicaines.
«Le comité continue tous les jours ses préparatifs et est heureux de pouvoir confirmer une fois de plus aux étrangers que le meilleur accueil leur sera réservé et qu'un train spécial repartira de Quillan à 11 h. 55 du soir, s'arrêtera dans toutes les stations jusqu'à Carcassonne et arrivera à cette dernière ville à 1 heure 36 du matin. -- Le Comité. »
On nous écrit: « Les fêtes du 15 septembre promettent d'être fort belles et semblent nous faire espérer d'un grand nombre d'étrangers.
«Le comité des fêtes, qui s'occupe activement des derniers préparatifs, a obtenu de la Compagnie du Midi la formation à Quillan l'un train de nuit qui partira pour Carcassonne à 11 heures 55 m.
Voici le programme officiel des fêtes : Samedi 14 Septembre à 8 heures du soir, salves d'artillerie, grande retraite aux flambeaux.
Dimanche 15 septembre. - 7 h. du matin: Salves d'artillerie; distribution de pain et de vin aux pauvres de la ville.
8 heures : Réception à la Gare de l'Union Orphéonique de Carcassonne par le Comité accompagné de la Musique et de la Chorale.
9 heures : Tour de ville du Comité avec les Orphéons et la Musique.
De 2 à 5 h. de l'après-midi : Départ du cortège de la mairie à la statue Félix Armand. Inauguration. Discours. Remise de la statue.
Cantate à Félix Armand exécutée par l'Union Orphéonique de Carcassonne sous la direction de M. François Fargues et la Chorale de Quillan. - 150 exécutants.
Grand concert dont voici le programme :
1. Allegro brillant, par la X. Musique.
2. La Liberté éclairant le monde, (grand chœur) Gounod. par l'Union Orphéonique de Carcassonne et la Chorale de Quillan.
3. La vie champêtre (fant). Denaufb. par la musique.
4. La Marseillaise harmon., Pessard. par l'Union Orphéonique de Carcassonne.
A 8 heures du soir : Retraite aux flambeaux. Feux d'artifice. Embrasement de l'Avenue Sauzède, des Promenades et de la Place Félix Armand.
Grand festival concert dont voici le programme :
1. Salut au Drapeau (alleg). X. par la Musique.
2. Chœur, par la Chorale de X. Quillan.
3. Français ! (grand chœur) Paliard. par “l'Union orphéonique" de Carcassonne.
4. Brise printanière (ouvert.) Menier. par la musique.
5. Crépuscule, par "l’Union Orphéon. de Carcassonne Joubert.
6. La Gondole Vénitienne, Cerbin. mazurka pour clarinette. Soliste, M. Latour, par la Musique.
7. Chants patriotiques : a) Marseillaise ; b) Chant du Départ, par "l'Union Orphéonique". Possard, Méhul.
8. L'Orpheline (fantaisie) par la musique. Marsal.
9. Cantate à Félix Armand. Courtade.
A 10 heures du soir, grand bal sur la place de la République.
MONUMENT FELIX-ARMAND
On nous adresse avec prière de l'insérer la proclamation ci-dessous :
Mes chers concitoyens !
Le 15 septembre, la ville de Quillan sera en tête pour honorer la mémoire d'un de ses enfants.
Le Conseil municipal, élu aux dernières élections, vous avait promis l'érection de la statue de Félix-Armand. Il vota au budget la somme de 500 francs et désigna au Comité l'emplacement du monument,
Tout est terminé et dimanche prochain arriveront de tous les points du département de nombreux invités à cette fête du travail, venus pour honorer un bienfaiteur de l'humanité, un pionnier du progrès qui avança d'un demi-siècle les relations entre les deux vallées, relations qui rendirent un service inappréciable aux intérêts de Quillan,
Que nos invites trouvent dans notre chère cité l'hospitalité la plus large. Que dans ce jour de fête pas un cri de discorde ne s'élève.
Pavoisez et illuminez vos maisons afin de faire voir à nos amis que l'union régnera toujours quand il s'agira da la renommée de notre ville.
Républicains !
En 1870, quand la France était envahie, que les caisses de l'État étaient vides, las communes fureut obligées de s'imposer pour l'habillement et l'équipement de leurs gardes nationaux mobiles et mobilisés,
La Commission municipale de Quillan composée des citoyens Delmas Adrien, président ; Cazelles Sylvain, Vidal Michel, Sauzède Melchior, Vaysse Louis, Roquefort Michel, Labourmène Georges, Débosque Michel, Goize Emile, Cartier Baptiste, Olive Jean et Michel Antoine, s'occupa dans sa séance du 4 décembre 1870, d'équiper ces entants qui allaient combattre à la frontiére.
Voici un extrait de sa délibération :
M. Delmas maire, s'exprima en ces termes :
« Vous savez MM. qu'un décret du 22 octobre 1870 met aux frais des départements, les sommes à payer pour l'habillement et léquipement de leurs gardes nationaux mobiles et mobilisés ainsi que leur solde pendant trois mois. La commune de Quillan doit fournir un contingent de l1.100 francs....
« Vous savez aussi, qu'une commission instituée pour élever un monument à la mémoire de Felix-Armand, l'infatigable pionnier de nos montagnes, a provoqué et recueilli des souscriptions s'élevant à 11.702 francs....
« Cette somme est entre les mains du trésorier du monument, et d'accord avec lui, je vous propose de l'emprunter au taux de 4 % remboursable dans 4 ans...
« Je termine, eu vous priant de vouloir dans votre délibération, de voter des remerciements à la commission du monument Felix-Armand qui favorise tant les intérêts de notre commune....
« En conséquence, la Commission municipale, assiste du conseil renforcé, délibère que l'emprunt sera opéré et adopte les conclusions de M. le Maire.
« Elle s'associe de plus ainsi que le conseil renforcé au Président pour remercier publiquement la commission du monument Felix-Armand ».
Nos devanciers, les premiers républicains qui ont siégé à l'hôtel-de-ville depuis 1870 n'ont pas hésité à rendre justice à un homme d'élite sans se préoccuper de son caractère : ils ont fait leur devoir simplement et honnêtement.
Nous, leurs successeurs, nous ne croyons pas déchoir en marchant sur leurs traces.
Le Maire de Quillan
Conseiller général de l'Aude,
P. NICOLEAU.
QUILLAN. — Inauguration de la statue de Félix-Armand. — Les grandes fêtes annoncées se préparent avec beaucoup d'entrain. Le comité a fait de grands sacrifices pour qu'elles soient très brillantes et que les étrangers qui y viendront très nombreux en conservent le meilleur souvenir.
Le comité proteste contre l'affiche ordurière d'une minorité infime, déjà flétrie par ce journal, et assure que tout le monde à Quillan se fait un devoir de rendre hommage à Félix-Armand.
Le train de nuit partira de Quillan à 11 h. 55 pour arriver à Carcassonne à 1 h. 26 après s'être arrêté à toutes les stations. La belle cantate à Félix-Armand sera chantée pendant la cérémonie d'inauguration par l'Union orphéonique de Carcassonne et l'Union chorale de Quillan, sous la direction de M. François Fargues, et pendant le festival du soir par les deux mêmes sociétés sous la direction de M. Pierre Bouchon. Nous recevons à propos de ces fêtes la lettre Suivante :
Les fêtes du 15 septembre promettent d'être fort belles et semblent nous faire espérer la visite d'un grand nombre d'étrangers.
Le comité des fêtes, qui s'occupe activement des derniers préparatifs, a obtenu de la Compagnie des chemins de fer du Midi la formation, à Quillan, d'un train de nuit qui partira pour Carcassonne à 11 h. 55.
La cantate à Félix-Armand, belle œuvre musicale due à M. François Courtade, notre compatriote, conçue avec un réel talent et une science approfondie de la musique, sera chantée une première fois, pendant la cérémonie d'inauguration, par l'Union orphéonique de Carcassonne et l'Union chorale de Quillan, réunies sous la direction de M. François Fargues, et une deuxième fois, le soir, pendant le festival, par les mêmes Sociétés réunies sous la direction de M. Pierre Bouchou.
L'audition de la partition écrite en l'honneur de Félix Armand sera un vrai régal pour les dilettante, amoureux de belle musique.
Et maintenant, en dépit des menées de quelques personnes qui se disent protestataires - Mais protestataires inconscients ou méchants - attendons nous à jouir d'un beau spectacles. Les ovations qui ne manqueront pas de monter vers Félix Armand, seront la consécration de la reconnaissance publique en vers un homme qui bien que curé, n'en fut pas moins un héros digne de l'admiration de son pays.
Le comité pourra être fier d'avoir été l'organisateur de telles fêtes qui laisseront dans l'esprit de tous un souvenir impérissable.
Inauguration de la statue de Félix ARMAND
La petite ville de Quillan a célébré dignement les fêtes organisées en l'honneur de l'inauguration de la statue de Félix Armand, le modeste et bon curé de St-Martin-Lys. Le programme a été suivi ponctuellement au milieu d'un enthousiasme général.
Samedi soir, la retraite aux flambeaux s'est déroulée dans les rues de la ville jetant dans la population une première note de gaieté qui ne devait plus se démentir. Des aubades étaient données à la municipalité et au comité des fêtes. Mais c'est le lendemain dimanche que le mouvement d'allégresse a pris un caractère vraiment grandiose. Dès 8 heures du matin, la population presque entière se portait à la gare au-devant des milliers de visiteurs qui arrivaient de tous les points de la région.
Les membres du comité, ainsi que la musique et la chorale de Quillan étaient rangés sur le quai intérieur pour recevoir l'Union orphéonique de Carcassonne.
La réception terminée, le cortège se forme et fait son entrée en ville salué par de vives acclamations. Les cris de : Vive Quillan ! vive Carcassonne ! se succèdent sans interruption au cours d'une longue promenade exécutée à travers les rues, places et boulevards.
A 2 heures, le cortège se reforme à nouveau pour se diriger de la Mairie à la place où va être inauguré la statue. Cette place est naturellement beaucoup trop étroite pour contenir la foule immense qui se presse, avide de voir, d'écouter et d'applaudir. A ce moment solennel, le soleil est radieux, le calme imposant, l'émotion étreint tous les cœurs vraiment français. Une première bombe est lancée dans les airs suivie d'une salve d'artillerie.
C'est le signal de l'inauguration. Le voile qui recouvrait la statue, tombe et une immense clameur mêlée d'applaudissements frénétiques jette aux échos de la montagne les cris d'allégresse de cette foule enthousiaste. Les têtes de découvrent, les fronts s'inclinent, tout le monde salue l'ancien Curé de St Martin-Lys dont on admire les traits et le maintien si touchants.
M. Courtade, le dévoué président du Comité, prend alors la parole et prononce le beau discours suivant :
Monsieur le Maire,
Mesdames, Messieurs,
Le Comité chargé de préparer l'inauguration du monument Félix-Armand a rempli son mandat : sa tâche est terminée ; et, au nom de tous ses membres, en qualité de président de diverses commissions, j'ai l’honneur de remettre à la ville de Quillan la statue et son piédestal.
Le voile qui la recouvrait vient de tomber, et ce magnifique chef d'œuvre de l'illustre sculpteur Bonnassieux apparaît maintenant dans toute sa splendeur aux yeux de la population en fête.
Notre premier devoir est d'adresser nos sincères remerciements à toutes les personnes qui ont bien voulu nous prêter leur généreux concours ; à vous d'abord, Monsieur le Maire, qui, avec le Conseil municipal, avez eu la délicate initiative de cette belle œuvre et qui avez montré, en cette occasion, et votre libéralisme et l'indépendance de votre caractère ; et aussi à l'habile architecte, Monsieur Dupeyron, qui a tracé le plan de ce remarquable monument digne en tous points de la statue qui le surmonte et qui en a dirigé chaque jour les travaux avec autant de zèle que de désintéressement; ensuite, aux membres des commissions qui ont apporté toute leur énergie à la réalisation de cette noble entreprise et en ont facilité l'exécution ; enfin, à tous ceux qui de près ou de loin nous ont aidés de leurs conseils ou de leurs offrandes.
Je suis heureux d'être l'interprète du Comité et de la population tout entière en leur offrant ici un témoignage public de notre gratitude et de notre reconnaissance.
Celui dont les traits et la haute stature sont reproduits dans cette œuvre éminemment artistique et dont le bronze va enfin immortaliser à jamais la mémoire n'est pas un homme ordinaire quoique modeste.
Humble curé du petit village de Saint-Martin-Lys qu'il ne voulut jamais quitter, quoique son mérite et ses talents lui donnassent le droit d'aspirer beaucoup plus haut. Félix-Armand, né à Quillan, le 29 août 1742, conçut le hardi projet de frayer un passage à travers les gorges de la Pierre-Lys, pour améliorer le sort des malheureux habitants de cette contrée qui trouvaient à peine de quoi vivre misérablement derrière ces gigantesques remparts de pierres qui les tenaient étroitement emprisonnés de toute part.
Idée grandiose, conception héroïque, si l'on se reporte à près de cent ans en arrière et si l'on pense aux modiques ressources et aux faibles moyens dont pouvait disposer Félix-Armand à cette époque où la science n'avait pas encore jeté les rayons éclatants qui ont illuminé la fin du siècle passé.
Mais, en face des difficultés presque insurmontables et sans cesse renaissantes qui s'opposent à la réalisation de son vaste projet, l'humble curé de Saint-Martin-Lys ne se découragera pas.
Entraîné par son immense dévouement pour les petits, pour les pauvres, pour les déshérités de ce monde ; n'écoutant que les élans de son cœur qui le porte à aimer ses semblables autant et plus que lui même, jusqu'au sacrifice de sa vie ; soutenu dans ses vastes pensées par une énergie indomptable, il affrontera le colosse de pierres, le roc maudit, ainsi que l'appelaient les habitants de la contrée, et plein de foi dans son œuvre, il sortira victorieux de cette lutte de géants.
Chaque jour on le voit, à la tête de sa petite armée de travailleurs dont il est l'ami et le père, ranimant les courages par son aimable familiarité, sympathisant avec ses chers paysans, prenant part lui-même aux travaux les plus rudes qu'il dirige avec intelligence, maniant le pic et la pioche, descendant au fond de l'abîme, suspendu à une corde, pour marquer la place où le rocher doit être attaqué, partageant avec les ouvriers son pain et son argent, ouvrant son cœur à toutes les misères et donnant ainsi le plus bel exemple de la vraie fraternité, du plus pur socialisme.
Enfin, après plusieurs années d'un travail opiniâtre souvent interrompu et toujours repris avec une nouvelle ardeur, le chemin est ouvert et Félix Armand, fier de son œuvre, peut contempler avec un légitime orgueil le succès presque inespéré de sa courageuse entreprise.
C'est ainsi que cet homme si petit en apparence s'est élevé à la hauteur du génie, et que son nom toujours béni et vénéré restera profondément gravé dans la mémoire du peuple des rangs duquel il est sorti et pour lequel il s'est largement sacrifié parce qu'il l'a aimé avec toute l'ardeur dont son âme était capable.
Du fond de ce petit village perdu dans les rochers, la renommée porta bientôt sur ses ailes rapides le nom du pauvre curé aux oreilles du grand Bonaparte, et ce génie incomparable ne crut pas indigne de lui d'écrire de sa propre main à Félix Armand une lettre de félicitations en l'accompagnent d'un bon sur sa cassette.
Lorsque la route devint départementale, les ingénieurs chargés de l'examiner déclarèrent qu'un homme de l'art des plus expérimentés n'aurait pas mieux conçu et exécuté ce remarquable travail. Le rapport si élogieux qui en fut fait alors éveilla l'attention de Louis XVIII qui accorda à Félix Armand la croix de la Légion d'honneur, ainsi que l'atteste une lettre de la chancellerie portant la date du 10 juillet 1823.
Les fonds destinés par l'administration des ponts et chaussées à l'achèvement des travaux furent confiés au curé de Saint-Martin-Lys toute sa vie l'ingénieur de la route ; les cantonniers travaillaient sous ses ordres et étaient payés par ses mains. Félix Armand put ainsi continuer son œuvre, malgré son âge avancé, tant était grande la confiance de l'administration dans le génie de cet homme extraordinaire.
Les plus hautes distinctions lui furent proposées par ses supérieurs, mais, Félix Armand les refusa toujours parce qu'il voulait mourir dans son humble demeure de Saint-Martin où il avait passé les meilleures années de sa vie en faisant le bien, au milieu des pauvres qui formaient comme sa famille et qu'il regardait comme ses enfants.
C'est là qu'il s'éteignit doucement, le 17 Décembre 1823, à l'âge de 81 ans, en prononçant ces belles paroles : « Mes amis, c'est le crépuscule d'un jour et l'aurore d'un autre ».
Sans aucune défaillance, après une vie si dignement remplie, il regarda la mort comme une amie qui venait lui ouvrir les portes de sa prison mortelle, et son âme, dégagée de ses liens terrestres, s'envola confiante et radieuse vers les horizons infinis de l'Éternelle Lumière pour y recevoir la récompense de ses vertus.
La ville de Quillan reconnaissante a voulu honorer aussi la mémoire d'un de ses plus nobles enfants, et voilà pourquoi sur cette place, à côté de la maison qui l'a vu naître, elle élève aujourd'hui à ce héros de la charité le beau monument qui se dresse devant nos yeux et qui, dans la suite des âges, sera toujours là pour rappeler à nos descendants que l'homme n'est pas grand seulement par les richesses, par les honneurs, par son ambition, mais plutôt par ses vertus, par son dévouement et son amour pour ses semblables.
Encore une fois, merci à vous tous, Mesdames et Messieurs, qui, sans distinction de parti ou d'opinion, avez contribué à cette œuvre, et qui vous êtes fait un honneur de venir en si grand nombre rendre un solennel hommage au mérité, ou dévouement, à l'héroïsme, au génie d'un modeste curé de campagne que la ville de Quillan est fière de compter au nombre de ses enfants.
Et en terminant, permettez-moi de jeter ce cri qui, parti du fond de mon âme, trouvera, J'en suis sûr, un écho dans vos cœurs.
Gloire au grand Quillanais Félix Armand.
Ce discours qui, à chaque phrase, a été couvert de bravos unanimes, est salué à la fin par les cris répétés de : « Vive Félix Armand ! Vive Quillan ! Une ovation de plus sympathiques est faite ensuite à l'orateur, à M. Courtade dont les constants efforts viennent d'être couronnés de succès.
A l'honorable président du Comité succède M. Nicoleau, le maire de Quillan, qui, en quelques mots bien sentis, remercie avec reconnaissance les souscripteurs qui ont offert la statue à la ville. M. le maire déclare bien haut qu'il accepte toute la responsabilité de ce qui a été fait pour cette inauguration. « Il n'y a pas ici de question de parti ou de religion, dit-il, il n'y a que des quillannais qui veulent glorifier un entant de leur pays, un pionnier, un chemineau et un héros. »
De frénétiques applaudissements et des cris de : « Vive Nicoleau ! vive M. le Maire ! » se font entendre pendant plusieurs minutes. C'est encore une belle ovation qui est faite à l'homme honorable, autant que libéral et indépendant que cette bonne ville a le bonheur de posséder à la tête de son administration.
Mais ici un incident regrettable se produit : Une douzaine d'individus venus de Chalabre et d'Espéraza font entendre des coups de sifflets, d'abord timides et ensuite stridents. Ils ont comme chef de bande, un habitant de Quillan, - pas un quillannais - un nommé Boussioux, tailleur de profession et anarchiste de tempérament. Boussioux crie plus fort que les autres : « A bas la calotte! Vive la révolution sociale ! » Les gendarmes qui font le service d'ordre le prient de rester calme ; il ne veut rien entendre et continue au contraire à donner le signal du désordre. Le capitaine de gendarmerie l'arrête lui-même et le conduit à l'hôtel de ville où il ne reste que quelques instants. Deux ou trois arrestations de ce genre sont opérées, sans être maintenues.
Boussioux et ses camarades ont promis de rester sages jusqu'à la fin des fêtes. Ils ont compris qu'ils étaient que minorité infime et impuissante.
Mais pourquoi Boussioux, qui a la prétention d'être le chef du parti révolutionnaire dans sa contrée, s'est-il marié a l'église, a fait baptiser ses enfants et leur a fait faire la première communion ? N'est-ce pas un farceur, ce gaillard-là ! Il paraît qu'il lui faut un bureau de tabac, ou gare la bombe ! Avis à Waldeck. Mais revenons à la fête.
Après M. Nicoleau, un long discours est prononcé par M. Marcérou, ancien sous-préfet, qui vient aussi approuver l'œuvre de justice et de reconnaissance que la ville a accomplie envers un de ses meilleurs enfants, L'orateur est aussi applaudi.
La série des discours terminée, la cantate à Félix Armand est exécutée avec une belle maestria par l'Union orphéonique et la Chorale de Quillan, sous l'habile direction de M. François Pargues. Le succès de cette belle œuvre musicale est grand et fait honneur à M. Courtade, l'auteur, qui se trouve sur la tribune et reçoit les félicitations de ses nombreux amis.
Un beau concert a eu lieu ensuite. Le musique et les orphéonistes se font successivement applaudir dans les morceaux portés au programme.
Le soir, à 8 heures, après une nouvelle retraite aux flambeaux, un second et brillant concert est offert à la foule d'auditeurs qui apprécie avec plaisir les belles qualités des musiciens et des orphéonistes.
Un feu d'artifice très réussi, est tiré ensuite. La pièce principale représentant l'image de Félix Armand est fortement applaudie.
Les fêtes terminées, une réunion du Comité et des Sociétés a lieu à l' hôtel de ville. Une jolie palme en vermeil est offerte à l'Union orphéonique de Carcassonne pour la remercier de son précieux concours.
M. Miailhe, le dévoué président de l’Union, remercie en excellents termes la municipalité de Quillan, le Comité, les camarades de la Chorale, si habilement dirigés par M. Bouchou, ainsi que la population entière qui a reçu si dignement et cordialement ses hôtes. L’allocution de M. Miailhe a été couverte d’applaudissements.
A notre tour, il nous reste à féliciter et à remercier les membres du Comité pour la réception très aimable faites aux membres de la presse appelés par devoirs professionnel à ces belles fêtes. Nous voudrions nous étendre plus longuement sur l'excellente impression que nous avons emportée de Quillan, mais la place nous manque. Disons tout simplement que nous conservons de cette belle journée consacrée à Félix-Armand un doux et précieux souvenir.
QUILLAN. — La statue de Félix Armand. — De notre rédacteur-correspondant de Carcassonne :
C'est au milieu d'une affluence énorme d'étrangers venus malgré le mauvais temps qui règne sur tous les points du département et de la région qu'a eu lieu, dimanche, l'inauguration de la statue de Félix Armand.
Quand à 3 heures, devant la foule massée sur la place qui porte ie nom du héros de la journée, le voile qui recouvrait le bronze est tombé, de longs applaudissements ont éclaté et de tous côtés se sont élevés les cris de :
« Vive Félix Armand ! »
Quelques énergumènes, tous étrangers à la ville à l'exception d'un seul, ayant cru intelligent de crier : « A bas la calotte ! Vive la révolution sociale ! ». La gendarmerie a opéré trois ou quatre arrestations qui du reste, n'ont pas été maintenues.
M. François Gourtade a remis, au nom du comité, le monument, à la ville et prononcé à cette occasion un beau discours que nous sommes heureux ne reproduire :
DISCOURS DE M. FRANÇOIS COURTADE
« Monsieur le Maire.
» Mesdames. Messieurs.
» Le comité chargé de préparer l'inauguration du monument Félix Armand a rempli son mandat ; sa tâche est terminée ; et, au nom de tous ses membres, en qualité de président de diverses commissions, j'ai l'honneur de remettre à la ville de Quillan ia statue et son piédestal.
» Le voile qui la recouvrait vient de tomber, et ce magnifique chef-d'œuvre de l'illustre sculteur Bonnassieux apparaît maintenant dans toute sa splendeur aux veux de la population en fête.
» Notre premier devoir est d'adresser nos sincères remerciements à toutes les personnes qui ont bien voulu nous prêter leur généreux concours ; à vous d'abord, monsieur le maire, qui, avec le conseil municipal, avez eu la délicate initiative de cette belle œuvre et qui avez montré, en cette occasion, et votre libéralisme et l'indépendance de votre caractère : et aussi à l'habile architecte, monsieur Dupeyron. qui a tracé le plan de ce remarquable monument digne en tous points de la statue qui le surmonte et qui en a dirigé chaque jour les travaux avec autant de zèle que de désintéressement ; ensuite, aux membres des commissions qui ont apporté toute leur énergie à la réalisation de cette noble entreprise et en ont facilité l'exécution ; enfin, à tous ceux qui de près ou de loin nous ont aidés de leurs conseils ou de leurs offrandes.
Je suis heureux d'être l'interprète du comité et de la population tout entière en leur offrant ici un témoignage public de notre gratitude et de notre reconnaissance.
» Celui dont les traits et la haute stature sont reproduits dans cette œuvre éminemment artistique et dont le bronze va enfin immortaliser à jamais la mémoire n'est pas un homme ordinaire quoique modeste.
» Humble curé du petit village de Saint-Martin-Lys qu'il ne voulut jamais quitter, quoique son mérite et ses talents lui donnassent le droit d'aspirer beaucoup plus haut, Félix Armand, né à Quillan le 29 août 1743, conçut le hardi projet de se frayer un passage à travers les gorges de la Pierre-Lys pour améliorer le sort des malheureux habitants de cette contrée qui trouvaient à peine de quoi vivre misérablement derrière des remparts de pierre qui les tenaient étroitement emprisonnés de toutes parts.Idée grandiose, conception héroïque, si l'on se reporte à près de cent ans en arrière et si l'on pense aux modiques ressources et aux faibles moyens dont pouvait disposer Félix Armand à cette époque où la science n'avait pas encore jeté les rayons éclatants qui ont illuminé la fin du siècle passé.
» Mais, en face des difficultés presque insurmontables et sans cesse renaissantes qui s'opposent à la réalisation de son vaste projet, l'humble curé de Saint-Martin-Lys ne se découragera pas.
» Entraîné par son immense dévouement pour les petits, pour les pauvres, pour les déshérités de ce monde ; n'écoutant que les élans de son cœur qui le porte à aimer ses semblables autant et plus que lui-même, jusqu'au sacrifice de sa vie; soutenu dans ses vastes pensées par une énergie indomptable, il affrontera ie colosse de pierre, le roc maudit, ainsi que rappelaient les habitants de la contrée, et plein de foi dans son œuvre, il sortira victorieux de cette lutte de géants.
Chaque jour on le voit, à la tête de sa petite année de travailleurs dont il est l'ami et le père, ranimant les courages par son aimable familiarité, sympathisant avec ses chers paysans, prenant part lui même aux travaux les plus rudes qu'ii dirige avec intelligence, maniant le pic et la pioche, descendant au fond de l'abîme, suspendu à une corde, pour marquer la place où le rocher doit être attaqué, partageant avec les ouvriers son pain et son argent, ouvrant son cœur à toutes les misères et donnant ainsi le plus bel exemple de la vraie fraternité, du plus pur socialisme.
» Enfin, après plusieurs années d'un travail opiniâtre souvent interrompu et toujours repris avec une nouvelle ardeur, le chemin est ouvert et Félix Armand, fier de son œuvre, peut contempler avec un légitime orgueil le succès presque inespéré de sa courageuse entreprise.
» C'est ainsi que cet homme si petit en apparence s'est élevé à la hauteur du génie, et que son nom toujours béni et vénéré restera profondément gravé dans la mémoire du peuple des rangs duquel il est sorti et pour lequel il s'est largement sacrifié parce qu'il l'a aimé avec toute l'ardeur dont son âme était capable.
» Du fond de ce petit village perdu dans les rochers, la renommée porta, bientôt sur ses ailes rapides le nom du pauvre curé aux oreilles du grand Bonaparte, et ce génie incomparable ne crut pas indigne de lui d'écrire de sa propre main à Félix Armand une lettre de félicitations en l'accompagnant d'un bon sur sa cassette.
» Lorsque la route devint départementale, les ingénieurs chargés de l'examiner déclarèrent qu'un homme de l'art des plus expérimentés n'aurait pas mieux conçu et exécuté ce remarquable travail. Le rapport si élogieux qui en luttait alors éveilla l'attention de Louis XVIII qui aecorda à Félix Armand la croix de la Légion d'honneur, ainsi que l'atteste une lettre de la chancellerie portant la date du 10 juillet 1823.
» Les fonds destinés par l'administration des ponts et chaussées à l'achèvement des travaux furent confiés au curé de Saint-Martin-Lys, toute sa vie l'ingénieur de la route ; les cantonniers travaillaient sous ses ordres et étaient payés par ses mains. Félix Armand put ainsi continuer son œuvre, malgré son âge avancé, tant était grande ia confiance de l'administration dans le génie de cet homme extraordinaire.
» Les plus hautes distinctions lui furent proposées par ses supérieurs, mais Félix Armand les refusa toujours parce qu'ii voulait mourir dans son humble demeure de Saint-Martin où il avait passé les meilleures années de sa vie en faisant le bien, au milieu des pauvres qui formaient comme sa famille et qu'il regardait comme ses enfants.
» C'est là qu'il s'éteignit doucement le 17 décembre 1823, à l'âge de 81 ans, en prononçant ces belles paroles : « Mes amis, c'est le crépuscule d'un jour et l'aurore d'un autre. »
» Sans aucune défaillance, après une vie si dignement remplie, il regarda la mort comme une amie qui venait lui ouvrir les portes de sa prison mortelle, et son âme, dégagée de ses liens terrestres, s'envola confiante et radieuse vers les horizons infinis de L'Eternelle Lumière pour y recevoir la récompense de ses vertus.
» La ville de Quillan reconnaissante a voulu honorer aussi la mémoire d'un de ses plus nobles enfants, et voilà pourquoi sur cette place, à côté de la maison qui l'a vu naître, elle élève aujourd'hui à ce héros de la charité le beau monument qui se dresse devant nos yeux et qui, dans la suite des âges, sera toujours là pour rappeler à nos descendants que l'homme n'est pas grand seulement par les richesses, par les honneurs par son ambition, mais plutôt par ses vertus, par sou dévouement et son amour pour ses semblables.
» Encore une fois, merci à vous tous, Mesdames et Messieurs, qui, sans distinction de parti ou d'opinion, avez contribué à cette œuvre, et qui vous êtes fait un honneur de venir en si grand nombre rendre un solennel hommage au mérite, au dévouement, à l'héroïsme, au génie d'un modeste curé de campagne que la ville de Quillan est fière de compter au nombre de ses enfants.
» Et en terminant, permettez-moi de jeter ce cri qui, parti du fond de mon âme, trouvera, j'en suis sûr, un écho dans vos cœurs.
» Gloire au grand Quillanais Félix Armand.
Après M. Courtade, M. Nicoleau, maire et conseiller général de Quillan a prononcé à son tour une courte mais éloquente allocution.
On sait que la statue de Félix Armand est due au ciseau du célèbre sculpteur Bonassieux, auteur de Notre-Dame du Puy et des statues du P. Lacordaire et de Mgr Darboy. Félix Armand est représenté le front plongé dans la méditation, la main droite appuyée sur le manche djune pioche. C'est une œuvre remarquable et d'une imposante beauté.
Hâtons-nous d'ajouter que le piédestal, dont le plan a été dressé par M. Dupeyron, qui en a dirigé ensuite l'exécution, est digne de la statue.
Après les discours, l'Union Orphéonique de Carcassonne et l'Union Chorale de Quillan ont magistralement interprété, devant le monument, sous l'habile direction de M. François Fargues, la superbe cantate de M. François Courtade, paroles de M. A. B..,, qui a produit un très grand effet.
Les deux sociétés ont été vivement applaudies et c'était justice.
La soirée s'est terminée au milieu de l'enthousiasme général.
Retraite aux flambeaux, feu d'artifice, embrasement des promenades et des places, ont élé très réussis.
Le grand festival-concert a valu aux sociétés chorales et musicales, de nouvelles et chaleureuses ovations.
A minuit, le train spécial emportait le plus grand nombre de nos visiteurs, tous ravis de l'accueil si cordial reçu dans l'hospitalière cité Quillanaise. Beaucoup restèrent pour visiter aujourd'hui, pur une belle journée de soleil, les gorges de Pierre-Lys et rendre en présence de ses travaux gigantesques, un nouvel hommage d'admiration à la mémoire du glorieux enfant de Quillan.
Il nous reste maintenant à féliciter tous ceux qui ont contribué au succès de la grandiose manifestation de dimanche, les souscripteurs, ia vaillante population de Quillan si fière de son illustre compatriote et en particulier la municipalité et le comité, grâce à qui l'œuvre de justice envers Félix Armand a pu devenir un fait accompli.
Honneur à tous ces gens de cœur !
Chronique départementale
Aude. — Dimanche dernier ont eu lieu à Quillan de belles fêtes pour l'inauguration de la statue du modeste et bon curé de Saint-Martin-Lys, le regretté M. Félix Armand, dont le souvenir restera longtemps gravé aux cœurs de tous les habitants de la région.
Du discours prononcé par M. Courtade, président du comité chargé de préparer l'inauguration, nous extrayons les passages suivants qui font bien revivre la belle figure du héros de la fête : [le discourt complet de M Courtade et l'intervention de Boussioux peuvent être lu dans l'extrait du Courrier de l'Aude du 17/08/1901]
Humble curé du petit village de Saint-Martin-Lys qu'il ne voulut jamais quitter, quoique son mérite et ses talents lui donnassent le droit d'aspirer beaucoup plus baut. Félix-Armand, né à Quillan, le 29 août 1742, conçut le hardi projet de frayer un passage à travers les gorges de la Pierre-Lys, pour améliorer le sort des malheureux habitants de cette contrée qui trouvaient à peine de quoi vivre misérablement derrière ces gigantesques remparts de pierres qui les tenaient étroitement emprisonnés de toute part.
Idée grandiose, conception héroïque, si l'on se reporte à près de cent ans en arrière et si l'on pense aux modiques ressources et aux faibles moyens dont pouvait disposer Félix-Armand à cette époque où la science n'avait pas encore jeté les rayons éclatants qui ont illuminé la fin du siècle passé.
Mais, en face des difficultés presque insurmontables et sans cesse renaissantes qui s'opposent à la réalisation de son vaste projet, l'humble curé de Saint-Martin-Lys ne se découragera pas.
Entraîné par son immense dévouement pour les petits, pour les pauvres, pour les déshérités de ce monde ; n'écoutant que les élans de son cœur qui le porte à aimer ses semblables autant et plus que lui même, jusqu'au sacrifice de sa vie ; soutenu dans ses vastes pensées par une énergie indomptable, il affrontera le colosse de pierres, le roc maudit, ainsi que l'appelaient les habitants de la contrée, et plein de foi dans son œuvre, il sortira victorieux de cette lutte de géants.
Chaque jour on le voit, à la tête de sa petite armée de travailleurs dont il est l'ami et le père, ranimant les courages par son aimable familiarité, sympathisant avec ses chers paysans, prenant part lui-même aux travaux les plus rudes qu'il dirige avec intelligence, maniant le pic et la pioche, descendant au fond de l'abîme, suspendu à une corde, pour marquer la place où le rocher doit être attaqué, partageant avec les ouvriers son pain et son argent, ouvrant son cœur à toutes les misères et donnant ainsi le plus bel exemple de la vraie fraternité, du plus pur socialisme.
Enfin, après plusieurs années d'un travail opiniâtre souvent interrompu et toujours repris avec une nouvelle ardeur, le chemin est ouvert et Félix Armand, fier de son œuvre, peut contempler avec un légitime orgueil le succès presque inespéré de sa courageuse entreprise.
C'est ainsi que cet homme si petit en apparence s'est élevé à la hauteur du génie, et que son nom toujours béni et vénéré restera profondément gravé dans la mémoire du peuple des rangs duquel il est sorti et pour lequel il s'est largement sacrifié parce qu'il l'a aimé avec toute l'ardeur dont son âme était capable.
Du fond de ce petit village perdu dans les rochers, la renommée porta bientôt sur ses ailes rapides le nom du pauvre curé aux oreilles du grand Bonaparte, et ce génie incomparable ne crut pas indigne de lui d'écrire de sa propre main à Felix Armand une lettre de félicitations en l'accompagnent d'un bon sur sa cassette.
Lorsque la route devint départementale, les ingénieurs chargés de l'examiner déclarèrent qu'un homme de l'art des plus expérimentés n'aurait pas mieux conçu et exécuté ce remarquable travail. Le rapport si élogieux qui en fut fait alors éveilla l'attention de Louis XVIII qui accorda à Félix Armand la croix de la Légion d'honneur, ainsi que l'atteste une lettre de la chancellerie portant la date du 10 juillet 1823.
Les fonds destinés par l'administration des ponts et chaussées à l'achèvement des travaux furent confiés au curé de Saint-Martin-Lys toute sa vie l'ingénieur de la route ; les cantonniers travaillaient sous ses ordres et étaient payés par ses mains. Félix Armand put ainsi continuer son œuvre, malgré son âge avancé, tant était grande la confiance de l'administration dans le génie de cet homme extraordinaire.
Les plus hautes distinctions lui furent proposées par ses supérieurs, mais, Félix Armand les refusa toujours parce qu'il voulait mourir dans son humble demeure de Saint-Martin où il avait passé les meilleures années de sa vie en faisant le bien, au milieu des pauvres qui formaient comme sa famille et qu'il regardait comme ses enfants.
C'est là qu'il s'éteignit doucement, le 17 Décembre 1823, à l'âge de 81 ans, en prononçant ces belles paroles : « Mes amis, c'est le crépuscule d'un jour et l'aurore d'un autre ».
Sans aucune défaillance, après une vie si dignement remplie, il regarda la mort comme une amie qui venait lui ouvrir les portes de sa prison mortelle, et son âme, dégagée de ses liens terrestres, s'envola confiante et radieuse vers les horizons infinis de l'Éternelle Lumière pour y recevoir la récompense de ses vertus.
La ville de Quillan reconnaissante a voulu honorer aussi la mémoire d'un de ses plus nobles enfants, et voilà pourquoi sur cette place, à côté de la maison qui l'a vu naître, elle élève aujourd'hui à ce héros de la charité le beau monument qui se dresse devant nos yeux et qui, dans la suite des âges, sera toujours là pour rappeler à nos descendants que l'homme n'est pas grand seulement par les richesses, par les honneurs, par son ambition, mais plutôt par ses vertus, par son dévouement et son amour pour ses semblables.
Encore une fois, merci à vous tous, Mesdames et Messieurs, qui, sans distinction de parti ou d'opinion, avez contribué à cette œuvre, et qui vous êtes fait un honneur de venir en si grand nombre rendre un solennel hommage au mérité, ou dévouement, à l'héroïsme, au génie d'un modeste curé de campagne que la ville de Quillan est fière de compter au nombre de ses enfants.
Et en terminant, permettez-moi de jeter ce cri qui, parti du fond de mon âme, trouvera, J'en suis sûr, un écho dans vos cœurs.
Gloire au grand Quillanais Félix Armand.
Ce discours a été fort applaudi, non moins que ceux du maire de Quillan, M. Nicoleau, et de M. Marcerou, ancien sous-préfet.
Mais cette fête à l'honneur d'un prêtre devait mette en fureur la racaille, qui a essayé de la troubler.
Voici comment le Courrier de l'Aude conte l'incident :
Une douzaine d'individus venus de Chalabre et d'Espéraza font entendre des coups de sifflets, d'abord timides et ensuite stridents. Ils ont comme chef de bande, un habitant de Quillan, - pas un quillannais - un nommé Boussioux, tailleur de profession et anarchiste de tempérament. Boussioux crie plus fort que les autres : « A bas la calotte! Vive la révolution sociale ! » Les gendarmes qui font le service d'ordre le prient de rester calme ; il ne veut rien entendre et continue au contraire à donner le signal du désordre. Le capitaine de gendarmerie l'arrête lui-même et le conduit à l'hôtel de ville où il ne reste que quelques instants. Deux ou trois arrestations de ce genre sont opérées, sans être maintenues.
Boussioux et ses camarades ont promis de rester sages jusqu'à la fin des fêtes. Ils ont compris qu'ils étaient que minorité infime et impuissante.
Mais pourquoi Boussioux, qui a la prétention d'être le chef du parti révolutionnaire dans sa contrée, s'est-il marié a l'église, a fait baptiser ses enfants et leur a fait faire la première communion ? N'est-ce pas un farceur, ce gaillard-là ! Il paraît qu'il lui faut un bureau de tabac, ou gare la bombe ! Avis à Waldeck.
Au vrai, il eût manqué un hommage à M. l'abbé Armand, s'il n'avait eu les insultes de ces gens-là.
Carcassonne. - Statue élevée à un prêtre ingénieur. - On a inauguré une statue à un prêtre, à un simple curé de village ; la chose mérite d'être remarquée, car la reconnaissance est une chose rare.
La cérémonie a eu lieu à Quillan, petit bourg du Languedoc, sur les bords de l'Aude et lieu de naissance de feu l'abbé Félix Arnaud (20 août 1742).
Ordonné prêtre à vingt-six ans (1768), il fut nommé vicaire dans sa ville natale, puis curé de Saint-Martin, petite paroisse du voisinage. Or, étant vicaire, il parcourait la montagne pour porter la bonne parole aux villages les plus éloignés de cette contrée perdue et il avait souvent gémi en remontant le cours de l'Aude d'être arrêté au défilé de la Pierre-Lys. Seules les eaux du torrent se frayaient un chemin entre deux falaises escarpées.
Son cœur s'émut de voir des populations entières isolées du nombre des vivants et auprès desquelles la religion n'avait d'accès que grâce à des efforts surhumains.
Il conçut le projet de tracer une route là où les sentiers n'existaient pas et bravement il se mit à l'œuvre. Il renversa des blocs de granit, combla les abîmes, perça la montagne et vint à bout de son entreprise. Après la Terreur, pendant laquelle la route qu'il avait tracée faillit servir à ceux qui le poursuivaient, le Premier consul, émerveillé de ce travail gigantesque, envoya la croix de la Légion d'honneur à ce prêtre si intelligent, si tenace et si modeste.
Sur la paroi d'un roc traversé de part en part et nommé le trou du curé, on peut lire ces vers dont le style indique l'époque :
Arrête voyageur! Le Maître des humains
A fait descendre ici la force et la lumière;
Il a dit au pasteur : « Accomplis mes desseins »,
Et le pasteur des monts a brisé la barrière.
Que ceux de mes amis qui sont animés de convictions farouches veuillent bien m’excuser : je veux aujourd’hui faire l’éloge d’un curé, d'un tout petit curé qui fut un très grand citoyen : de Félix Armand, à qui nous devons la route qui longe la rivière, de Quillan vers la Haute Vallée.
* * *
Son père, le sonneur de cloches, savait quelques phrases latines qu’il aimait à répéter, et qui lui servaient disait-il, tantôt de soutien et tantôt d’excitant. Celle qui revenait le plus souvent dans ses entretiens avec soin fils était : « Labor omnia vincit improbus » Un travail opiniâtre triomphe de fout ». Et le fils du sonneur de cloches fut la personnification de cette maxime. II fut le travail et la persévérance même, et il triompha. Il avait grandi entre l’église et l’école, il était allé au séminaire d’Alet; il en sortit en 1768. Après avoir été quelques années, curé à Galinagues, il fut nommé en 1775 à Saint-Martin-Lys; ce fut alors qu’il se révéla.
* * *
Il ne comprenait pas son sacerdoce, il ne comprenait pas la religion, comme il faudrait peut-être les comprendre : comme un idéal loin du monde et sans aucun contact avec lui. De Marthe qui travaille et de Marie qui prie, c’est Marie, pour Jésus, qui choisit la meilleure part. Pour Félix Armand, c’était Marthe. Il ne le disait pas, il n’aurait pas osé le dire : il le pensait. Comme tout bon Quillanais, il était pratique, réaliste, et « terrestre ». Son royaume était de ce monde et sa bonté était agissante. Regarder Dieu face à face pour l’étemité, oui c’était un beau rêve, mais ce n’était qu’un rêve ; en attendant, pensait notre curé, rendons nos frères le plus heureux possible dans cette vie. Elle a ses charmes, celte vie, et elle a ses misères ; supprimons ces misères.
Qu’est-ce qui manquait vers 1775 à ses bons paroissiens ? Des moyens de communication. Saint-Martin-Lys était alors isolé du monde, oublié, négligé, perdu.
— Faisons vite un chemin !
— Mais, M’sieu le Curé c’est impossible !
— Commençons, nous verrons bien. Travaillons et nous réussirons : Mon père répétait : « Labor omnia »
* * *
C’était en effet à peu près impossible, étant donné les moyens dont on disposait à cette époque.
C’était si difficile que les Etats du Languedoc qui avaient fait le Canal du Midi et les grandes routes qui parcouraient en tous les sens la province, n’avaient pas osé entreprendre celle de la Haute Vallée, et le monde civilisé finissait à Quillan.
Quand notre brave curé fit connaître son dessein, les ingénieurs envoyés par le gouvernement royal déclarèrent que c’était une généreuse folie, et l’Intendant écrivit : « le curé de Saint-Martin-Lys veut tenter l’impossible ». Et le curé de Saint-Martin-Lys en murmurant comme son père « Labor omnia vincit improbus », se mit tout seul à la surhumaine besogne, fit des plans et des plans, et suspendu avec des cordes, dans le vide, étudia l’état des roches qu’il se proposait de percer.
Et puis, il lui fallut de l’argent.
Il alla en demander partout, sou par sou, livre par livre, et louis par louis
* * *
— C’est pour mon chemin, Monseigneur.
— Quel chemin ?
— Celui qui est indispensable à ma paroisse de Saint-Martin. Mes pauvres frères sont séparés du reste de la terre. Ils ne peuvent écouler le surplus de leur récolte, et ils risquent parfois de mourir de faim. Donnez-moi, Monseigneur, un louis : c’est peu de chose pour votre Grandeur, et ce sera beaucoup pour ma paroisse ».
Et le bon évêque lui donnait son louis.
* * *
Huit jours après, il revenait à l’évêché.
— Eh bien, votre chemin ?
— Il marche, Monseigneur, il marche, si je puis dire ; mais pour le faire avancer davantage, il me faut de l’argent. J’en ai demandé partout, à Belvianes, à Quillan, à Limoux.
— Eh bien, voici deux louis, cette fois.
— Merci, Monseigneur. Et le bon curé de Saint-Martin s’en revenait heureux vers sa pauvre paroisse.
* * *
Et comme le chemin était à moitié fait, voilà que la Révolution éclate ; évêques, curés, moines et religieux se sont obligés de s’enfuir en Espagne. On se retrouve à Sabadell.
— Et votre chemin, demande l’évêque ?
— Ah! Monseigneur, si seulement les Républicains l’achevaient, je crois bien que je pardonnerais à la République.
* * *
Le temps est long à Sabadell. On s’ennuie. Notre brave curé n’y tient plus. Il a reçu des nouvelles de son petit Saint-Martin ; il laisse là les émigrés, et il part en cachette. Quelle joie dans le village !.. dix lieues à la ronde, on sait qu’il est revenu. Le gouvernement s’émeut. Des commissaires de la République sont envoyés à Saint-Martin : mais ils ont soin de prévenir qu’ils vont arriver, et notre bon curé va prendre une journée de repos dans une grotte au flanc de la montagne. Cette plaisanterie se renouvelle plusieurs fois par mois. Les braves commissaires unissent le respect de la forme à la bonté. El ils ont raison. Qu’est-ce que la République aurait bien pu faire du petit curé de Saint-Martin ?
Enfin on le laisse définitivement tranquille. Il se remet avec joie au travail ; ce travail fut très long, la route ne fut achevée qu’en 1820.
Félix Armand mourut trois ans après.
* * *
Quelle belle, quelle admirable vie !
Cet homme a fait ce qu’il a voulu. Il a réussi. Il est mort après avoir fini son œuvre. Il a occupé ses jours à une seule chose, et il a oublié en travaillant que la vie n’est qu’une sinistre et plate comédie. II a été entouré d’affection, et les policiers eux-mêmes qui devaient le jeter en prison, l’ont respecté.
Personne n’a été aussi heureux que lui.
Combien sont morts avant que l’œuvre fût achevée ! Combien d’apôtres s’en vont dans l’angoisse et l’amertume du doute en s’écriant « lamma sabacthani » ! « pourquoi m’avez vous abandonné! »
Au moins, une fois, notre désir de justice est satisfait ; Félix Armand a fait le bien, et il a été récompensé ; il a travaillé, et il a triomphé ; il a fait œuvre utile, et il a vu cette œuvre ; il a aimé ses frères, et tous ses frères l’ont aimé.
* * *
Et maintenant formons trois vœux et faisons une courte prière.
1er vœu : que la route nationale n° 118, s’appelle route Félix Armand.
2e vœu : que le 17 décembre, les enfants de Quillan aillent en pèlerinage au cimetière de Saint-Martin rendre un filial hommage à leur grand compatriote ; que les maîtres qui les conduiront, leur expliquent son œuvre, et leur racontent son admirable vie.
3e vœu : qu’on veuille bien effacer au plus tôt l’inscription ridicule au-dessus du premier tunnel après Belvianes.
Il y a là quatre vers :
« Arrête voyageur, le maître des humains..., etc. » qui sont les plus atroces qui soient.
Et qu’à cette place on écrive :
Cette route a été percée à travers les roches de granit presque sans moyens matériels - de 1777 à 1820 -
par Félix Armand, curé de St-Martin-Lys, né à Quillan le 20 août 1742 mort le 17 décembre 1823
* * *
Prière : O fils du sonneur de cloches, nous venons nous humilier devant ton souvenir. Nous avons Voulu, (nous aussi, être bon, être utile à nos frères; mais à la première difficulté, aux premières critiques, nous avons déserté le champ du devoir. O toi qui fus fort et patient, donne-nous un peu de ta patience et de ta force : fils du sonneur de cloches, nous nous humilions devant ton souvenir.
Félix Armand curé de Saint-Martin, plus grand que ceux que l’Histoire appelle grands, plus saint que ceux que l’Eglise a canonisés, nous t’offrons notre cœur comme toi-même l’avais offert à tes frères, nos aïeux ; nous t’offrons notre cœur plein d’admiration, de reconnaissance et de tendresse pour ton énergie, ton intelligence et ton infinie bonté. O héros le plus pur et le meilleur de notre race, de cette race dont le berceau entre Montagne-Noire et Pyrénées, entre la mer et les Corbières. est traversé par l’Aude ensoleillée, et par la route que toi-même as construite, nous brûlons maintenant d’imiter ton exemple, et de suivre avec joie la trace de tes vertus.
O héros le plus pur et le meilleur de notre race, Félix Armand, fils d’un pauvre sonneur de cloches de Quitlan.
Pierre Valmigère.
Article de Laurence Turetti dans le supplément de la Dépêche du Dimanche "Midi ma région mes envies page 22"
L'article est trop récent pour que j'ai pu obtenir les autorisations pour le reproduire ici, les sources indiquées sont des sources que j'ai normalement signalées par ailleurs, sauf il me semble, par rapport à une mention faite par le Colonnel Guiraud en 1839 indiquant que la route faisait souvent moins de 1,70 m et pas plus de 2 m de large - source à rechercher peut-être dans Louis Cardillac. Il est également mentionné l'archéologue Jean Guilaine comme sachant réciter les vers écrits en haut du trou du curé.
Film de Antonio Baraybar retrouvé par Thierry Meynier, numérisé par Philippe Allevy (cliquer sur le lien ou sur une des images suivantes extraites du film)
Philippe Allevy - 2 août 2023 -
"Un document exceptionnel :
Un film de fin mars 1942 du démontage de la statue de Felix Armand.
Félix Armand est né à Quillan en 1742. Nommé en 1774 curé de St Martin Lys il consacra 40 ans au creusement de la route dans le défilé de la Pierre Lys permettant de désenclaver la Haute Vallée de l’Aude.
Quillan, la ville natale de Félix Armand se devait de célébrer le héros qui lui avait permis, grâce à la facilitation du commerce avec la haute vallée de l'Aude, de jouir d'une certaine opulence. Il fut décidé de consacrer une statue à ce grand homme.
En 1859 la statue fut commandée à un sculpteur parisien, M. Bonnassieux, en même temps que le conseil municipal d’alors décidait que la rue Droite face à l’ancien couvent des Augustins s’appellerait désormais rue Félix Armand.
Le 3 avril 1892, la statue en bronze fondu à partir de fûts de canons offerts par Napoléon III arriva en gare de Quillan dans une caisse en bois déposée aussitôt dans un coin du hall de la mairie où elle resta 9 ans. Il lui manquait en effet un socle.
En 1899, une souscription publique permit de récupérer les fonds nécessaires. M. Dupeyron, ingénieur des Ponts et Chaussées, fit tailler un beau piédestal en granit des Pyrénées et un fût en pierre de Nébias portant l’inscription.
L’inauguration de la statue eut lieu le 15 septembre 1901 en présence d’une foule immense.
Le 11 octobre 1941, le gouvernement de Vichy promulgue la loi sur l'enlèvement des statues métalliques en vue de la récupération de métaux non ferreux. En mars 1942 c’est au tour de notre statue de Félix Armand d’être déboulonnée. Les autorités interdisent de photographier le déboulonnage des sculptures ; c'est pourquoi il existe très peu de photographies ou de films montrant l'enlèvement des monuments. Les rares images ont été réalisées dans les villes petites ou moyennes. (Wikipédia)
Ce film est particulièrement important pour notre association Sauvegarde du patrimoine HVA qui sous la présidence de Mme Raymonde Sylvestre a financé la nouvelle statue de Felix Armand qui se trouve actuellement dans le jardin de l’office de tourisme.
Sources :
Saint Martin Félix Armand (teuliere.github.io)
Remerciements :
Thierry Meynier pour nous avoir confié les films de son grand-père Antonio Baraybar."
Date de création : 1865 Date d'inauguration : 1901
Type d'oeuvre : statue
Matériaux : bronze
Sculpteur(s) : Bonnassieux, Jean-Marie-Bienaimé (Pannissières, Loire 1810 - Paris 1892)
Personnage(s) représenté(s) : Armand, Félix (Quillan 1742 - Quillan 1823)
Inscriptions : sur le piédestal : FELIX ARMAND / ... / TRACE ET PERCEMENT / DU PREMIER CHEMIN DANS LES GORGES DE PIERRE LYS
Historique : 1859 : 29 septembre, décrêt autorisant l'hommage public. Le bronze est réalisé grâce à des canons offerts par Napoléon III.
1860 : le préfet institue une commission chargée, sous la présidence de l’évêque de Carcassonne, de mener à bien l’érection du monument ; l’arrêté préfectoral stipule que “l’existence du curé Armand, exempte de toute ambition personnelle et consacrée entièrement aux modestes et pénibles fonctions de pasteur parmi des populations indigentes, est un touchant modèle de persévérance courageuse et de sublime désintéressement”.
1901 : 15 septembre, inauguration
1942 : refondu sous le régime de Vichy
1951 : le socle est démonté et entreposé dans le parc de la Forge.
1974 : la ville élève une stèle commémorative en bordure de la route nationale intitulée le Trou du curé.
Description : H. 5 m.
Expositions : 1892, Paris, Salon (SAF), section monuments publics donc sans numéro
Oeuvres en rapport : Modèle en plâtre à grandeur d’exécution, Roanne, musée Joseph Déchelette.
Source : Fonds Debuisson
Documentation du musée d’Orsay ; A. Le Normand contretype l'album Bonnassieux (78 ALN 50-25 A)
Paris, Archives nationales, Aveyron, dossier blanc, F1cI 139, érection autorisée par décret du 29 septembre 1859
1994, Base Palissy, ministère de la Culture
2002, 25 février, communication écrite de M. Aragou, Maire de Quillan
Bibliographie : 1914, Lami, Stanislas, Dictionnaire des sculpteurs de l'Ecole française au Dix-neuvième siècle, Paris, Honoré Champion, quatre volumes, t. I, p. 139
2018, Lalouette, Jacqueline, Un peuple de statues. La célébration sculptée des grands hommes (France 1801-2018), photographies de Gabriel Bouyé, Paris, Mare & Martin, p. 80
Félix ARMAND Curé de St-Martin - Créateur de la Route de la Pierre-Lis
« Par devant Marc Antoine Escolier, notaire royal à la résidence de Quillan, soussigné, et les témoins bas-nommés, fut présent M. Félix Armand, prêtre desservant la succursale de Saint-Martin-Lis, y demeurant.
« Lequel, sain d'esprit, Ainsi qu'il nous l'a paru à nous notaire et témoins, nous a déclaré vouloir faire son testament, ou disposition de dernière volonté, qu'il nous a dicté comme suit : Je soussigné Félix Armand, prêtre desservant la succursale de Saint-Martin, considérant la certitude de la mort et l'incertitude de l'heure, dispose ainsi des biens qu'il a plu à la divine Providence de me départir. Je veux qu'après ma mort, mon corps soit enterré près de la grande croix du cimetière de Saint-Martin. Je veux que le jour de mon décès, il soit distribué aux pauvres de la paroisse, 41 kilogrammes de pain, ou un quintal de l'ancien poids de table. Je veux que dans l'année de mon décès, outre la neuvaine et le bout de l'an, il soit dit et célébré dans l'église de Saint-Martin, par le prêtre qui sera chargé de la desservir, cent messes de « requiem » pour le repos de mon âme. Je donne et lègue à, Félix Courtade, mon filleul, demeurant à Quillan, la pièce de terre en nature de vigne à moi appartenant, située au bout de la Charla, dans la commune de Quillan.
« Je donne et lègue à M. Pierre Michel Jérôme Utéza, prêtre actuellement habitant à Saint-Martin, mon coadjuteur, tous les meubles meublants, et autres effets qui se trouveront exister dans ma maison d'habitation audit Saint-Martin; à la charge par lui, s'il accepte ce legs, de payer annuellement et à perpétuité aux pauvres nécessiteux de ladite commune, la rente annuelle de dix francs ; et à cet effet, il demeurera tenu de faire le placement du capital aliéné de la somme de deux cents francs, pour assurer dans tous les temps le paiement de ladite rente. Je Veux encore que le capital de la somme de seize cents francs, qui m'est due par le nommé Soulié, boucher, demeurant à Quillan, pour le reste du prix des ventes que je lui consenties par actes publics et enregistrés, soit également placé en capital aliéné au denier vingt, quitte de retenue, et que la rente de quatre vingts francs que doit produire ce capital, soit perçue par le prêtre qui desservira la succursale dudit Saint-Martin, et distribué toujours, avec le concours de l'autorité locale, aux pauvres nécessiteux de ladite paroisse pendant le cours de chaque année. Je veux encore: 1° que la maison que je possède audit Saint-Martin ; 2° que la pièce de terre en nature de champ que je possède dans la commune, au local appelé Planèses ; 3° et que la pièce de terre en vigne que je possède dans la même commune, au local appelé la Forent, restent pour toujours unies et incorporées à la succursale dudit Saint-Martin. En conséquence, le prêtre qui sera chargé de la desservir, demeurera tenu de payer annuellement l'a rente de cinquante francs, qu'il distribuera, toujours avec le concours de l'autorité locale, aux pauvres nécessiteux de ladite commune.
« J'exige que ledit M. Utéza, mon coadjuteur, ne réclame rien de ce qui peut m'être dû par les pauvres dudit Saint-Martin, aûxquels j'en fais don. Tel nous a dit M. Félix Armand être son testament, que nous notaire avons écrit à mesure qu'il nous l'a prononcé ; duquel nous lui avons fait lecture en présence de MM. Joseph Lazerme, docteur en médecine, habitant de Quillan ; de Benoît Marcerou, François Vacquier, et Grégoire Marcerou, habitants de St-Martin, témoins signés avec le testateur et nous notaire.
« Fait à Saint-Martin, dans la maison du testateur, le dix-neuvième novembre mil huit cent vingt-trois.
« Le voyageur qui remonte aujourd'hui le cours de l'Aude au-dessus de Quillan, lit ces vers, à l'entrée de l'une des galeries taillées dans le roc : « Arrête Voyageur: le Maître des humains « A fait descendre ici la force et la lumière ; « Il a dit au pasteur: Accomplis mes desseins, « Et le pasteur des monts a brisé la barrière. » S'il continue sa route, il trouvera à Saint-Martin, et près de son église, une modeste pierre, ou il lira ces lignes, belles de simplicité : Ici repose Félix Armand, Curé de ce village durant 49 ans ; La charité fut son génie; Voyageur, qui l'as béni dans la route, Salue sa tombe en passant.
• Cros-Mayrevieille
1933-11-24
L'Ouest-Éclair : journal quotidien d'informations, politique, littéraire, commercial2
Les inondations causent un déraillement dans l'Aude Le chauffeur est blessé
Montpellier, 23 novembre. Les crues des cours d'eau persistent dans la région.
Dans l'Aude, entre Saint-Aix et Saint-Martin-Lys, un arbre déraciné par les eaux est tombé sur la voie ferrée, provoquant le déraillement d'un train de marchandises. Le chauffeur a été blessé.
Dans l'Hérault, le pont de Canet s'est effondré sous la poussée des eaux.
1933-11-24
Lyon republicain2
Montpellier, 23 novembre. — Les crues des cours d'eau persistent dans la région.
Dans l'Aude. Entre St-Aix et St-Martin-Lys, un arbre déraciné par les eaux est tombé sur la voie ferrée, provoquant le déraillement d'un train de marchandises. Le chauffeur a été blessé.
1Trouvées initialement dans Ressources Patrimoines de la région occitanie, maintenant sur Gallica
2 Félix Armand, curé de Saint-Martin-Lys: sa vie et son œuvre de Louis Amiel (1859).
3Bibliothèque Nationale de France - Gallica